Modifié

A Moscou, la reconnaissance faciale prolifère malgré les critiques

Une caméra de surveillance dans le centre de Moscou, en Russie, le 26 janvier 2020. [Reuters - Shamil Zhumatov]
La reconnaissance faciale prolifère à Moscou sur fond de surveillance généralisée / Tout un monde / 6 min. / le 30 novembre 2020
La reconnaissance faciale par vidéosurveillance, combinant données biométriques et intelligence artificielle, a été utilisée en Russie pour traquer celles et ceux qui ne respectaient pas la quarantaine liée au Covid-19. Mais ce système semble mal protégé contre les fuites de données personnelles.

Dans les rues, dans les transports publics, aux tourniquets des métros, bus, tram, aux interphones des entrées d’immeubles: les caméras de surveillance pullulent à Moscou, où elles sont plus de 175'000. Parmi elles, plus de 105'000 sont aujourd'hui équipées d'un système de reconnaissance faciale.

Progressivement introduites dès 2017, l'existence de ces caméras a été révélée par les autorités de la ville au moment de la Coupe du monde de football de 2018.

Contre les délinquants... et les opposants?

Ces caméras intelligentes analysent les traits du visage, les données biométriques comme les yeux, et les comparent à des photos présentes dans les bases de données de la police. Il est ainsi possible d'identifier les individus en temps réel. La ville de Moscou se vante d'avoir pu arrêter de cette manière plus de 3400 individus recherchés par la police durant les 9 premiers mois de cette année.

Des voix critiques s'élèvent contre ce système qui pourrait être utilisé par le pouvoir à d'autres fins, comme la surveillance des opposants. Alena Popova, activiste, a porté plainte, car elle estimait avoir été identifiée en temps réel alors qu'elle protestait dans la rue. Selon elle, il s'agit d'une violation de la loi sur les données personnelles, qui ne permet l'usage de ce type de surveillance que dans deux cas bien précis: si la personne concernée a donné son autorisation, ou en cas de grave délit et après décision d'un juge.

Le tribunal a rejeté sa plainte. Elle en a déposé une autre devant la Cour européenne des droits de l’Homme à Strasbourg. Le département des technologies de l’information de la ville de Moscou, chargé de ce système de surveillance, n'a pas répondu aux demandes de la RTS.

>> Lire aussi : Les caméras continuent d'envahir les villes et la Chine bat tous les records

Malades du Covid sous surveillance

En pleine pandémie de coronavirus, ces caméras intelligentes ont aussi été utilisées pour surveiller les personnes placées en stricte quarantaine, afin qu'elles ne mettent pas les pieds dehors, même pour sortir les poubelles.

En avril, le Parlement de Moscou a introduit un article dans le code des infractions administratives, permettant cette surveillance. Mais des députés estiment que leurs collègues parlementaires ne pouvaient pas modifier ainsi la procédure. C'est l'avis aussi de certains juges, qui annulent aujourd'hui une partie des très nombreuses amendes que des Moscovites ont reçu pour non-respect de la quarantaine ce printemps.

On a fait peur aux gens, ils sont ainsi bien restés chez eux, à la maison, et du coup, on a eu moins de mortalité.

Mikhail Pashkine, président du syndicat des policiers de la ville de Moscou.

Quoi qu'il en soit, cette surveillance aura eu des effets positifs, estime le président du syndicat de la police moscovite, Mikhail Pachkine: "On a fait peur aux gens, ils sont ainsi bien restés chez eux, à la maison, et du coup, on a eu moins de mortalité, pas autant de cas Covid".

Dès le 1er juillet, la ville de Moscou, en vertu d'une loi fédérale, bénéficie d'un statut spécial pour développer les technologies basées sur l'intelligence artificielle, ce qui pourrait rendre légales certaines pratiques.

Données personnelles au marché noir

D'autres voix dénoncent des failles du système et un risque de fuite des données qui se retrouvent sur le marché noir. L’association "Roskomsvoboda", qui lutte pour la liberté sur internet, a ainsi réussi à obtenir des données personnelles via l'une de ses bénévoles.

Cette dernière a envoyé sa photo à une annonce sur internet et, contre la somme de 190 francs, elle a obtenu un rapport complet de 70 lieux où les caméras de reconnaissance faciale l'avaient identifiée en l'espace d'un mois, qui correspondaient de fait avec ses déplacements.

La révélation de ce cas a mené à l'ouverture d'une enquête contre deux policiers suspects. Mais ces fuites ne sont pas les premières constatées. "Il serait important d’ajouter un système de sécurité interne pour empêcher les policiers d’insérer dans le système des photos de personnes qui ne se trouvent pas dans la base de données des délinquants", estime l'association.

Même si les autorités peinent à voir un problème systémique, un appel d'offre a néanmoins été lancé récemment pour identifier les failles et renforcer la sécurité. En attendant, l'association "Romskomsvoboda" demande un moratoire, et la suspension de l’utilisation de ces caméras, tant que la législation ne précisera pas en détail dans quel cas elles peuvent être utilisées.

Isabelle Cornaz / mh

Publié Modifié

Résistance à la reconnaissance faciale

En Russie, certaines personnes tentent de détourner le système de reconnaissance faciale par des masques ou des maquillages empêchant les caméras de surveillance de les identifier.

C'est le cas de la campagne de protestation "Suis-moi", lancée au début de l'année par  l'artiste Ekaterina Nenasheva, qui consiste à se dessiner sur le visage des formes géométriques qui perturbent l'intelligence artificielle.

fb reconnaissance faciale russie

Un porte-parole de la compagnie "NtechLab" qui produit ces caméras a toutefois assuré en avril que les caméras sont efficaces malgré certains subterfuges: "Notre système permet d'identifier les visages dès 40% de visibilité, on peut ainsi reconnaître les gens portant un masque chirurgical, des casques de moto ou les gens de profil", a-t-il affirmé auprès de l'agence de presse russe TASS.