Le Mexique est le pays le plus dangereux du monde pour les journalistes, à égalité avec la Syrie. Une dizaine de reporters sont assassinés chaque année à cause des cartels de la drogue.
Parmi ces journalistes tués figure Regina Martinez, du journal Proceso. Elle est assassinée chez elle, le 28 avril 2012. Cette journaliste est retrouvée dans sa salle de bain, rouée de coups, tuée par strangulation. La police parle d'un crime crapuleux et passionnel. Cette version officielle cache en réalité l'assassinat d'une journaliste qui dérange. A cette époque, Regina Martinez prend régulièrement la plume pour accuser le gouvernement de corruption. Elle enquête également sur le fonctionnement des cartels et la violence extrême engendrée par les groupes criminels.
"Tuer des journalistes ne doit pas tuer leurs enquêtes"
Pour son ami et directeur du journal Proceso, Jorge Carrasco, le travail de Regina doit être poursuivi. "Il faut maintenir vivantes les enquêtes des journalistes assassinés. Notre objectif, avec l'aide de Forbidden Stories, c'est de continuer leur travail qui portaient sur des thématiques clefs pour le Mexique. C'est tellement important. Tuer des journalistes ne doit pas tuer leurs enquêtes".
Parmi ces thématiques à poursuivre ou ces enquêtes impossibles à mener sur place, plusieurs touchent directement à l'Europe et à la Suisse. Une de ces investigations porte sur l'arrivée des cartels mexicains sur le marché européen.
Des chimistes mexicains sont envoyés en Belgique et aux Pays-Bas pour fabriquer des drogues de synthèse (voir encadré ci-dessous). Il y a également la question des réseaux d'approvisionnement des cartels. Véritables multinationales du crime, les cartels importent des substances chimiques du monde entier pour fabriquer de la drogue de synthèse. La Suisse est un pays de transit, mais aussi la destination finale de certaines de ces drogues hautement addictives.
François Ruchti, avec la collaboration de Benedikt Strunz (NDR), Anne Michel (Le Monde), Audrey Travière (Forbidden Stories), Kristof Clerix (Knack), Wil Thijssen (de Volkskrant) et Philipp Eckstein (NDR)
Cette enquête a été réalisée dans le cadre du projet Cartel. C'est une série d'investigations collaboratives de 25 médias, coordonnées par la plateforme Forbidden Stories.
Les cartels mexicains arrivent en Europe
Ces derniers mois, de nombreux laboratoires clandestins de drogues de synthèse ont été démantelés aux Pays-Bas et en Belgique. La police a arrêté au moins 19 ressortissants mexicains liés aux cartels de la drogue au Mexique, selon une enquête de Forbidden Stories et de la RTS.
Le 10 mai 2019, la police néerlandaise découvre à Moerdijk un bateau rempli de matériel de chimie. Ce bateau est un atelier clandestin de fabrication de méthamphétamine, une drogue de synthèse de plus en plus consommée en Europe. La police y trouve plus de 70 kilos de drogue, des produits chimiques et trois citoyens mexicains, considérés par la police comme des chimistes expérimentés, "des cuisiniers " de la méthamphétamine.
L'affaire du port de Moerdijk n'est pas un cas unique: la police belge a démantelé 4 laboratoires depuis 2019. Du côté hollandais, c'est 32 ateliers clandestins découverts, selon des chiffres compilés par Forbidden Stories. Parmi ces affaires, une dizaine de laboratoires étaient liés à des ressortissants mexicains. Des documents de justice indiquent qu'au moins 19 "cuisiniers" mexicains ont été arrêtés.
Collaboration entre criminels européens et cartels mexicains
Les chimistes sont mexicains, mais l'infrastructure, les outils techniques des laboratoires sont fournis par des groupes belges ou hollandais.
Cyrille Fijnaut, criminologue hollandais et spécialiste des réseaux criminels, explique les raisons de cette coopération dans l'émission Tout un monde: "Les cartels mexicains souhaitent limiter les risques liés au transport des drogues à travers les frontières. C'est donc moins risqué de produire sur place, là où vous allez vendre. Pour cela, ils ont besoin d'appuis locaux, de criminels capables de fournir l'infrastructure et la sécurité".
Même si la police a pu arrêter de nombreux criminels, ces revers ne vont toutefois pas stopper les cartels mexicains. Le marché européen de la drogue est considéré comme moins concurrentiel et moins saturé que les Etats-Unis. Reste à espérer que les cartels mexicains n'importent pas leurs méthodes ultra-violentes en Europe. Chaque année, les cartels sont responsables de milliers de morts au Mexique.