La mise en scène était soignée mardi, jour du lancement d'une campagne de vaccination massive à travers le Royaume-Uni. Les caméras du monde entier ont d'ailleurs suivi avec attention Margaret Keenan, une nonagénaire de Coventry, dans le centre de l'Angleterre, la première à recevoir l'injection.
Revêtue d'un t-shirt de circonstances, selon la tradition toute britannique des pulls de Noël portés pour les Fêtes de fin d'année, la vieille dame est arrivée à l'hôpital à l'aube, accueillie par une haie d'honneur de soignantes et soignants. "Je me sens privilégiée", a-t-elle déclaré au moment de recevoir la piqûre. Et d'ajouter: "Cela signifie que je peux finalement envisager de passer du temps avec ma famille et mes amis en 2021 après avoir été seule durant une grande partie de l'année".
Un jour de fête
Après elle, un octogénaire nommé William Shakespear s'est présenté à Coventry - ça ne s'invente pas - et cela a valeur de symbole dans ce pays qui a voulu faire de cette première journée de vaccination un jour de fête, allant jusqu'à le baptiser "V-Day" en clin d'oeil à la victoire alliée lors de la Seconde Guerre mondiale.
Pendant que Margaret, William et des centaines d'autres pensionnaires de maison de retraite britanniques se voyaient administrer le vaccin de Pfizer/BioNTech, à Londres, une certaine Lynn connaissait -elle aussi- son heure de gloire, recevant l'injection sous les yeux de Boris Johnson. "Elle a 81 ans, et c'est émouvant d'entendre qu'elle fait cela pour la Grande-Bretagne, et elle a parfaitement raison parce qu'en faisant cela, elle se protège et elle protège le pays tout entier", a souligné le Premier ministre, lui-même affecté par le SRAS-CoV-2 au printemps et en mauvaise posture dans les sondages pour sa gestion jugée "mauvaise" de la pandémie (lire encadré).
Progressivement, cela fera une énorme différence mais nous n'en sommes pas là. Nous n'avons pas encore vaincu le virus
Au total, 40 millions de doses de vaccin ont été commandées. Vingt millions de personnes pourront donc être vaccinées, à raison de deux injections par personne. Après les résidentes et résidents des maisons de retraite, le personnel soignant et les plus de 80 ans bénéficieront en priorité des 800'000 doses déjà reçues.
Quelques doutes
Derrière l'effervescence, certains ne cachent cependant pas leurs doutes face à la rapidité avec laquelle leurs autorités ont donné leur feu vert à l'administration du vaccin. "Il y a encore 5 semaine, j'étais très réticent à l'idée de prendre le vaccin. Je trouvais les essais cliniques un peu trop rapides", confie par exemple Emilio Romero, un pharmacien rencontré par la RTS.
Rattrapé depuis par le Covid, ce Londonien a désormais changé d'avis et se fera vacciner dès qu'il le pourra, sans triomphalisme. "J'ai encore un peu peur, mais j'ai confiance en la science. Je suis sûr que tout ira bien". C'est qu'il faut une bonne dose de confiance, en effet, pour recevoir un vaccin autorisé après une procédure de validation accélérée.
Parmi le personnel soignant, prioritaire lui aussi, certains redoutent de servir de cobayes. Avisés par courrier électronique qu'ils ou elles étaient prioritaires, plusieurs personnes contactées par la RTS ont avoué s'être senties un peu livrées à elles-mêmes face à une telle décision.
Je me sens très concerné par les risques représentés par ce vaccin, mais si les scientifiques répondent à mes questions, je le ferai car actuellement j'ai peur d'aller travailler et de ramener le virus à ma famille
Mais au Royaume-Uni comme dans de nombreux pays, ceux et celles qui oeuvrent en première ligne depuis des mois arrivent à bout de souffle. Alors la plupart feront le vaccin le moment venu, échaudés par ce qu'ils ont vu ces derniers mois et animés par une certitude, à l'instar de cette infirmière de Birmingham: "Après avoir vu mes patients et collègues souffrir du Covid-19 et de ses effets à long terme, ma seule crainte c'est que le vaccin ne fonctionne pas pour tout le monde".
Laurent Burkhalter, à Londres, et Juliette Galeazzi
Le Royaume-Uni, pays le plus endeuillé d'Europe
Avec près de 61'500 morts provoquées par le Covid-19, le Royaume-Uni est le cinquième pays le plus endeuillé au monde, juste derrière les Etats-Unis (284'131 décès), le Brésil (177'317), l'Inde (140'958) et le Mexique (110'074). Sur le plan européen, le Royaume-Uni a enregistré un nombre record de décès, suivi de peu par l'Italie (61'200 morts), selon les chiffres de l'Université Johns Hopkins consultés mardi.
Cela est notamment attribué au retard pris par le gouvernement de Boris Johnson qui avait d'abord misé sur une stratégie d'immunité collective. Finalement, ce n'est que le 23 mars, que le Premier ministre a imposé des mesures de confinement strictes à l'Angleterre, une semaine après la plupart des pays européens.
A l'heure actuelle, le Royaume-Uni - qui teste énormément - fait cependant mieux que certains pays européens, avec un taux de cas positifs qui est redescendu autour de 5%, contre par exemple environ 20% en Suisse.