Une partie du monde la perçoit comme une ressource inépuisable, lorsque d'autres se démènent pour en obtenir à peine quelques litres. Ressource vitale, l'eau pourrait bien devenir ces prochaines années un bien plus précieux que le pétrole, selon les projections des Nations unies. Et pas seulement pour les pays localisés dans la grande "diagonale de la soif". D'ici 2030, le manque d'eau devrait affecter près de 40% de la population mondiale.
"Avec le changement climatique et l'augmentation des incertitudes, on se dirige vers une augmentation des tensions et des rivalités autour de la gestion de l'eau", souligne Christian Bréthaut, professeur assistant à l'Université de Genève et directeur scientifique du Geneva Water Hub.
Invité de l'émission Géopolitis, il tient tout de même à tempérer: "L'eau génère plutôt des dynamiques de coopération". Le chercheur cite notamment le cas du fleuve Sénégal, où les États riverains se partagent la propriété des barrages. Depuis 1972, le Mali, la Mauritanie et le Sénégal ont même créé une organisation chargée d'exploiter les ressources du fleuve de manière rationnelle et équitable.
Rivalités croissantes
La construction du grand barrage de la Renaissance par l'Éthiopie sur le Nil bleu illustre les enjeux et les rivalités qui peuvent surgir entre les États pour la gestion des grands fleuves. Le Nil représente une artère vitale pour 12 pays d’Afrique de l'Est et du Nord, en particulier pour le Soudan et l'Égypte qui craignent que le barrage réduise le débit de l'eau sur leurs territoires. Alors que l'Égypte - et ses 100 millions d'habitants - dépendent à 90% du Nil pour leur approvisionnement en eau, le gouvernement avait même brandi la menace d'une guerre lorsque le chantier a démarré. Les tensions restent vives et plusieurs cycles de négociations entre les trois pays n'ont toujours pas abouti, alors que le remplissage du barrage se poursuit. "L'eau est souvent au coeur d'enjeux géopolitiques et aussi au coeur de discours d'hydro-hégémonie, d'hydro-nationalisme", déplore Christian Bréthaut.
On pourrait aussi évoquer les tensions entre le Mexique et les États-Unis, avec l’assèchement du fleuve Colorado, ou l'immense barrage de Rogoun au Tadjikistan qui prive l’Ouzbékistan d’une partie de ses ressources. Ou encore les grands barrages réalisés par la Chine et le Cambodge sur le fleuve Mékong qui altèrent de plus en plus l'écosystème du fleuve en amont, au Laos, en Thaïlande et au Vietnam.
Surexploitation
Au cours du 20ème siècle, alors que la population mondiale triplait, la consommation d’eau était multipliée par six. L'eau douce est aussi une ressource très inégalement répartie: neuf pays détiennent 60% de toutes les réserves du monde, alors que 17 pays sont actuellement menacés par une grave pénurie.
En 2018, la ville du Cap, en Afrique du Sud, risquait même de devenir la première grande ville du monde privée d'eau potable, révélant au passage de profondes disparités. "Les situations diffèrent énormément entre les quartiers, des quartiers plutôt bien dotés, plutôt bourgeois qui ont évidemment un accès privilégié et qui ont des moyens pour pallier la sécheresse, et les townships qui eux sont très mal raccordés. Donc évidemment, le stress hydrique va augmenter ces rivalités et aussi cristalliser parfois des déséquilibres ou des inégalités d'accès", poursuit Christian Bréthaut. La mégapole sud-africaine a depuis obtenu plusieurs sursis, grâce aux restrictions imposées à la population et quelques épisodes de pluies. Mais jusqu'à quand ?
Le Cap n'est pas la seule ville du monde à vivre sous la menace du "jour zéro". Comme Chennai, Mexico, Karachi, Casablanca ou même Berlin et Rome, 33 métropoles sont confrontées à un "stress hydrique extrêmement élevé", selon le World Resources Institute, c'est-à-dire qu'elles consomment bien plus d’eau que leurs réserves et épuisent progressivement leurs nappes phréatiques.
Christian Bréthaut pointe plusieurs "leviers d'action" possibles pour lutter contre les pénuries chroniques, notamment à travers la construction d'infrastructures: "essayer d'anticiper le changement climatique, avec par exemple de nouveaux bassins de rétention." Il évoque également l'importance d'un solide réseau de canalisations: "Dans ces métropoles, la qualité des infrastructures est souvent très mauvaise." À Rome par exemple, la moitié de l’eau distribuée est ainsi perdue. Encore faut-il avoir les capacités financières pour rénover les réseaux de distribution; ces infrastructures coûtent extrêmement cher. Le chercheur conclut avec un levier beaucoup moins onéreux: la sensibilisation des populations, afin d'initier de nouveaux comportements plus économes en eau.
Mélanie Ohayon
L'eau insalubre tue davantage que toutes les guerres
Un habitant sur trois dans le monde n’a pas un accès direct à de l’eau potable. L’eau insalubre constitue l'une des principales cause de mortalité dans le monde.
Sa consommation entraîne la transmission de maladies comme la diarrhée, le choléra, la typhoïde, l’hépatite A. Près d’un million de personnes, pour la plupart des jeunes enfants, en meurent chaque année.
Dans les pays les plus pauvres, la mortalité due à l’utilisation d’eau impropre peut dépasser 10%, voire se rapprocher des 15 % comme au Tchad.
En 2010, les Nations unies ont déclaré l'accès à l'eau potable comme un droit fondamental.