Engagé depuis des mois dans la course au vaccin, le Parti communiste serait à bout touchant. Les quatre sérums chinois en phase finale des essais cliniques devraient être homologués prochainement. Contrairement à ses rivaux, préoccupés par la vaccination de leurs propres populations, Pékin bénéficie d’une longueur d’avance. Barricadé depuis des mois derrière sa grande muraille sanitaire, le pays est parvenu à endiguer l’épidémie à domicile. Sereines, les autorités peuvent désormais se concentrer sur leur vaste programme de distribution à l’international dans l’espoir de redorer leur image.
Principales cibles de la Chine, l’Asie du Sud-Est, l’Afrique et l’Amérique latine se composent tantôt de marché en pleine croissance, tantôt de pays pauvres dont l’accès aux précieux vaccins risque d’être difficile. Les champions de Pfizer, Moderna ou encore Astra Zeneca s’arrachent en effet actuellement en Europe et aux Etats-Unis où débutent les premières campagnes de vaccination.
Prenant de vitesse un Occident dépassé, la Chine multiplie les contrats de fourniture. Forte d’une énorme capacité de production industrielle, elle a déjà expédié des millions de doses à l’étranger et a même initié la construction de sites de production dans des pays comme le Brésil, l’Egypte, le Maroc ou l’Indonésie.
Un "bien public" relatif
En mai dernier déjà, Xi Jinping avait donné le ton. Le président chinois promettait alors de considérer les vaccins nationaux comme un "bien public mondial". Ce terme bien connu des institutions internationales est généralement synonyme de gratuité. "Ce n’est pas forcément de cette manière que la Chine conçoit cette notion", explique Eric Olander, co-fondateur du "China-Africa Project". "Pékin prévoit de vendre ses produits. On ne sait cependant pas encore quelle sera sa politique de prix", précise-t-il.
Les autorités chinoises ont récemment laissé entendre qu’ils garantiraient des prix abordables, en annonçant également un programme d’aide financière à destination des pays les plus pauvres. Dans ce contexte, un crédit de plus d’un milliard de francs a déjà été mis à disposition de l’Amérique latine et des Caraïbes.
L'Occident ne se presse pas au secours du Sud
De son côté, l’Europe a versé 500 millions d’euros au programme Covax visant à garantir un accès au vaccin aux pays les plus pauvres. Outre ses nombreux engagements bilatéraux, la Chine a elle aussi rejoint l’opération dans le cadre de laquelle elle devrait fournir gratuitement des vaccins. Pékin devrait également s’engager financièrement, même si l’ampleur de sa contribution n’a pas été précisée. En mai, Xi Jinping s’était toutefois engagé à débloquer 2 milliards de dollars en faveur de la lutte mondiale contre la pandémie.
Un acteur brille par son absence: les Etats-Unis. Sous la fameuse bannière "America first", l’administration Trump a simplement décidé de tourner le dos à l’aide internationale, ouvrant un boulevard à la Chine qui s’est engouffrée dans l’espace laissé vacant. "La dure réalité, c’est que la communauté internationale ne se bat pas pour fournir des vaccins à des pays comme ceux d’Afrique", souligne Eric Olander. Des pays dont la plupart s’inquiètent aujourd’hui à l’idée d’être relégués au second plan, sacrifiés sur l’autel des intérêts des pays développés.
Fenêtre d'opportunité idéale pour la Chine
Conscient du besoin, Pékin saisit donc sa chance. "Dans ce contexte, si les Chinois parviennent à combler ce vide, ils seront très bien reçus, et cela va probablement dynamiser leur force de frappe diplomatique. Les gains pourraient être énormes", indique Eric Olander.
Reste à confirmer l’efficacité des vaccins chinois, dont les données scientifiques tardent à être publiées par les autorités. Un vaccin efficace serait un succès certain pour la montée en gamme du "Made in China", l’une des principales exigences de Xi Jinping, décidé à voir croître la qualité et les compétences technologiques de son industrie. Il offrirait aussi – et peut-être surtout – une arme diplomatique imparable à la Chine.
Lors d’une récente tournée en Asie du Sud-Est, le ministre chinois des Affaires étrangères n’a pas hésité à évoquer une assistance sanitaire dans le cadre de discussions au sujet des différends territoriaux en mer de Chine du Sud. "La diplomatie du vaccin pourrait grandement avantager la Chine dans sa lutte d’influence avec les Etats-Unis dans certaines régions, comme en Asie du Sud-Est", anticipe Huang Yanzhong, spécialiste des questions de santé publiques au "Council on Foreign Relations", un centre de réflexion américain. "De nombreux pays qui s’opposent aujourd’hui à l’emprise régionale croissante de la Chine pourraient être contraints d’adoucir leurs positions à la faveur des exigences de Pékin", estime-t-il.
Face à la nouvelle administration de Joe Biden, qui a promis de consolider les alliances en vue de contrer la montée en puissance du géant chinois, la diplomatie du vaccin pourrait s’avérer une stratégie gagnante pour Pékin.
Michaël Peuker/jop