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Donald Trump a-t-il brisé le rêve d’indépendance des Sahraouis?

Géopolitis : Sahara, rêve brisé [KEYSTONE - DANIEL OCHOA DE OLZA]
Sahara, rêve brisé / Geopolitis / 26 min. / le 24 janvier 2021
En reconnaissant la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental, l'ex-président américain Donald Trump a bafoué le droit international et les résolutions des Nations unies sur l’autodétermination du peuple sahraoui.

Il y a eu un deal passé entre le président Trump et le roi Mohammed VI. En échange de la normalisation des relations entre le Maroc et Israël annoncée le 10 décembre, Donald Trump a proclamé dans un tweet que les États-Unis reconnaissent la souveraineté du Royaume du Maroc sur le territoire du Sahara occidental. Depuis 45 ans, cette ancienne colonie espagnole est disputée entre le Maroc et les Sahraouis du Front Polisario - soutenus par l'Algérie - qui revendiquent l'indépendance.

"Cette reconnaissance de souveraineté ne règle absolument rien. C'est uniquement la position d'un État, les États-Unis d'Amérique", tient d'emblée à souligner Marcelo Kohen, professeur de droit international à l'IHEID de Genève, invité de l'émission Géopolitis. "Le Sahara occidental reste un territoire non autonome, dans le jargon des Nations unies. Ce sont des territoires coloniaux qui sont soumis au processus de décolonisation."

Même contraire au droit international, le soutien officiel de la première puissance mondiale au Maroc assure au roi un poids symbolique considérable dans ce conflit. Les États-Unis ont annoncé dans la foulée l'ouverture prochaine d'un consulat au Sahara occidental. Une quinzaine de pays - dont le Burkina Faso, la Guinée équatoriale ou les Émirats arabes unis - ont déjà établi des représentations diplomatiques sur la partie du territoire contrôlée par le pouvoir marocain.

Reprise des hostilités?

Les racines du conflit remontent à 1975, lorsque les Nations unies imposent la décolonisation du territoire. "L'ONU avait fixé la manière de procéder, c'est-à-dire l'organisation d'un référendum d'autodétermination", précise Marcelo Kohen. Au lieu de se conformer au droit international, l'Espagne conclut cette année-là les Accords de Madrid pour céder l'administration du territoire au Royaume du Maroc, pour les trois quarts, et à la Mauritanie pour la partie méridionale.

La Mauritanie s'est depuis retirée de l'équation. Mais, depuis le cessez-le-feu décrété en 1991, le Maroc n'a cessé de renforcer son emprise sur le Sahara occidental. Rabat en contrôle aujourd'hui les 80%. Au-delà, de vastes étendues de sable sont considérées par le Front Polisario comme "territoires libérés" de la République arabe sahraouie démocratique. Les deux territoires sont séparés par un mur de sable long de 2500 km.

Le Front Polisario avait décrété la fin du cessez-le-feu lorsque le 13 novembre dernier les forces marocaines sont intervenues au sud, près de la frontière avec la Mauritanie, pour rétablir la circulation dans la zone de Guerguerat, théoriquement placée sous le contrôle des Casques bleus des Nations unies. La route se trouvait bloquée depuis fin octobre par des Sahraouis partisans de l'indépendance. Certains dirigeants sahraouis ont même appelé à une reprise des combats suite à la décision américaine. "Il y a déjà eu plusieurs violations du cessez-le-feu, rappelle le professeur Marcelo Kohen, mais on ne réglera pas la question avec un retour à la lutte armée".

Le Maroc contrôle aujourd'hui 80% du Sahara occidental. Au-delà, de vastes étendues de sable sont considérées par le Front Polisario comme "territoires libérés" de la République arabe sahraouie démocratique. Les deux territoires sont séparés par un mur de sable long de 2500 km. [RTS - Géopolitis]
Le Maroc contrôle aujourd'hui 80% du Sahara occidental. Au-delà, de vastes étendues de sable sont considérées par le Front Polisario comme "territoires libérés" de la République arabe sahraouie démocratique. Les deux territoires sont séparés par un mur de sable long de 2500 km. [RTS - Géopolitis]

Terres de richesses

L'ancienne colonie espagnole recèle des ressources minérales, comme le cuivre, l’or, le fer et même des ressources pétrolières au large des côtes. À Boukraa, le Maroc exploite l’un des plus grands gisements de phosphate au monde et tire les bénéfices de la pêche dans les eaux du Sahara occidental, réputées parmi les plus poissonneuses du globe. Pour le Front Polisario et les organisations qui défendent les droits du peuple sahraoui, il s'agit d'un pillage du territoire. "Il appartient au peuple sahraoui de décider de la manière d'exploiter les ressources du territoire. Et donc il y a un problème quand le Maroc décide unilatéralement d'exploiter les ressources", commente Marcelo Kohen. Le Royaume investit des milliards pour faire de cet immense désert un atout. Laâyoune, principale ville du Sahara occidental, s’est métamorphosée.

Face au Maroc, les indépendantistes sahraouis et leur allié historique algérien font difficilement le poids. Mohammed VI demeure pour les grandes puissances occidentales un allié fidèle et stratégique. À commencer par la France, très engagée économiquement, et l’Espagne, avec qui le pays entretient des relations historiques très anciennes. Les États-Unis ont fait du Royaume une tête de pont dans la lutte contre le terrorisme en Afrique et l'Union européenne reste le premier partenaire commercial du Maroc.

Un référendum toujours possible?

À la suite des incidents sur la frontière avec la Mauritanie, le secrétaire général des Nations unies António Guterres a rappelé la nécessité d'organiser un référendum d'autodétermination pour le peuple sahraoui. Telle est la mission de la Minurso - la Mission des Nations unies pour l’organisation d’un référendum au Sahara occidental - créée il y a 30 ans au moment de l’établissement du cessez-le feu. Depuis, l'ONU s’enlise, incapable d'imposer une solution conforme au droit international.

Marcelo Kohen déplore le manque de volonté politique, mais reste convaincu qu'un référendum demeure la seule manière de régler le conflit: "C'est difficile, c'est complexe, parce qu'il faut se mettre d'accord sur l'élaboration des listes électorales, déterminer qui peut voter. (...) Mais tôt ou tard, la seule solution, c'est l'organisation d'un référendum. Tant qu'il n'y aura pas de référendum, il n'y aura pas de règlement du conflit." L'indépendance du Timor oriental, occupé par l’Indonésie, et qui était lui aussi un territoire non autonome, semblait une mission impossible. Et pourtant, cette ancienne colonie portugaise, après des années de violences, a obtenu son indépendance par référendum en 1975.

Mélanie Ohayon

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La décolonisation, processus inachevé

Depuis la création de l'ONU, plus de 80 anciennes colonies ont accédé à l'indépendance. Ce n'est pas le cas de 17 territoires qui sont encore inscrits sur la liste des territoires non autonomes des Nations unies. Le Sahara occidental fait partie de cette liste, tout comme Gibraltar, les Bermudes, les Îles Caïmans, les Îles vierges britanniques, l’Île de Guam ou les Îles Malouines. Il s'agit en majorité de minuscules espaces, vestiges des empires coloniaux occidentaux.