C'est dans une maison de la petite ville de Polgardi que Tamara et Elvira habitent avec leurs chiens et chats. Tamara, 57 ans, est rousse aux yeux clairs. Elvira est une brune aux yeux bleus de 53 ans. Il y a six ans, elles se sont rencontrées et sont tombées amoureuses l’une de l’autre.
À leur naissance, les deux femmes étaient assignées au genre masculin. Adultes, elles se sont mariées en tant qu'hommes et sont devenues pères de famille. Jusqu'au jour où elles ont fait leur coming-out trans et ont décidé d'entamer les démarches officielles de changement de genre.
Un processus qui a pris du temps, confie Elvira: "Dans la Hongrie socialiste, on ne savait pas ce qu’est une personne transgenre. Les gens qui sortaient de la norme étaient simplement appelés "pédés". Puis, après la chute du communisme, la société s’est ouverte aux idées progressistes. Les autorités ont permis aux personnes transgenre de faire reconnaître leur identité devant la loi. Moi, j’ai fait changer mon identité à l’état civil; maintenant, officiellement, je suis une femme."
Pour Elvira, la procédure a été facile, et n’a pris que quelques mois. Lorsqu'elle a déposé sa demande, le gouvernement du premier ministre nationaliste Viktor Orban venait de revenir au pouvoir, et ne s’était pas encore attaqué à la communauté LGBT.
Loi transphobe votée en 2020
Mais Tamara, qui a voulu faire de même quelques années plus tard, s'est retrouvée bloquée administrativement: "Je ne vivais plus avec mon épouse depuis longtemps, mais pour pouvoir changer d’identité officiellement, il faut divorcer, ce qui a pris beaucoup de temps. Au moment où j’ai déposé mon dossier, les autorités ont suspendu la procédure."
En mai 2020, le parti de Viktor Orban vote une loi qui empêche les personnes trans de faire reconnaître leur genre à l'état civil. Devant la loi, Tamara est donc un homme. Une stigmatisation qui lui a permis de contourner la loi interdisant le mariage homosexuel. Puisque rien n’empêche un homme d’épouser une femme, Tamara et Elvira ont pu s'unir légalement à la mairie de Polgardi le 6 novembre passé.
Pour Tamara, ce n'est pas la société hongroise qui pose problème. "En général, soit les gens sont indifférents, soit ils nous acceptent. Je dois dire que la majorité est tolérante. C’est le gouvernement qui sème la haine", assure-t-elle.
A Polgardi, 11% de la population est protestante, et 30% catholique. Le père Barta, curé de l'église, voit d'un bon oeil ce mariage civil:
"Elles ont simplement utilisé la possibilité offerte par la loi. Ici, personne n’a parlé de ce mariage. Les habitants sont plutôt indifférents. Peut-être que ce détachement a du bon. Au moins, personne ne leur jette des œufs à la figure."
Personnes LGBT en exil
L’histoire de Tamara et d’Elvira est l’arbre qui cache la forêt. De nombreuses personnes transgenre ont porté plainte devant la Cour européenne des droits de l’homme. Certaines ont déjà quitté la Hongrie pour d’autres pays européens où les droits des personnes LGBT sont respectés.
Le 15 décembre passé, le Parlement hongrois a adopté un paquet législatif qui inscrit la notion traditionnelle de la famille et du "genre" dans la Constitution et interdit de facto l'adoption aux couples de même sexe.
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Ce texte définit le genre d'une personne comme étant uniquement celui assigné à la naissance, et ajoute: "L'éducation est assurée conformément aux valeurs fondées sur l'identité constitutionnelle et la culture chrétienne" du pays.
La communauté craint que les mesures anti-LGBT ne s'intensifient à l'approche des élections législatives de 2022.
Florence La Bruyère/Mouna Hussain avec AFP