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La pandémie intensifie la fragilité alimentaire des pays à bas revenus

Le Programme alimentaire mondial (PAM) estime que 121 millions de personnes supplémentaires pourraient souffrir de la faim en 2021. [AP Photo - Michael Duff]
Le Programme alimentaire mondial (PAM) estime que 121 millions de personnes supplémentaire pourraient souffrir de la faim en 2021. - [AP Photo - Michael Duff]
Les restrictions mises en place pour tenter de contenir la pandémie de coronavirus risquent de précipiter les pays du Sud vers des crises alimentaires, s'inquiètent les institutions onusiennes. Les racines du problème sont toutefois préexistantes au Covid-19.

Le Programme alimentaire mondial (PAM) estime dans un rapport publié en novembre que 121 millions de personnes pourraient tomber dans une insécurité alimentaire sévère au cours de l’année 2021, soit une augmentation de 82% des besoins par rapport à l’ère pré-Covid. L’Amérique latine est la région du monde la plus à risque de connaître un accroissement de la faim, suivie par l’Asie-Pacifique et l’Afrique du Nord.

De son côté, le monitoring du prix des denrées de base mis en place par l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) a identifié des augmentations inhabituelles et inquiétantes du prix des céréales au Brésil, en Argentine, au Nigeria, au Bangladesh ou au Tadjikistan.

Une étude de l’Azim Premji University à Bangalore en Inde a elle montré que huit ménages indiens sur dix affirment consommer moins de nourriture qu’avant la pandémie. Le problème ne vient pas ici de l’augmentation des prix – 89% des agriculteurs du pays disent ne plus réussir à vendre leurs marchandises à leur prix total – mais de l’augmentation massive du taux de chômage et de la pauvreté causée par les confinements successifs.

>> Voir le reportage du 19h30 sur les difficultés de la campagne de vaccination menée en Inde :

Une campagne de vaccination gigantesque a difficilement commencé en Inde.
Une campagne de vaccination gigantesque a difficilement commencé en Inde. / 19h30 / 2 min. / le 26 janvier 2021

Chaînes d’approvisionnement menacées

Contrairement à la grippe aviaire ou la fièvre aphteuse, le coronavirus ne se répand pas à travers les élevages ou les produits agricoles et ne perturbe pas directement les stocks de réserves alimentaires. Toutefois, les restrictions imposées par les Etats pour tenter de contenir la pandémie affectent parfois lourdement les chaînes d’approvisionnement.

Le Lesotho, pays entièrement enclavé dans l’Afrique du Sud, en est un saisissant exemple. Alors que le pays le plus industrialisé du continent a fermé ses frontières terrestres pour contenir le variant qui s’y est développé, le Lesotho se trouve au bord de l’asphyxie. Un article du Guardian s’alarmait récemment qu’un quart des Lesothiens dépendront des aides alimentaires internationales entre janvier et mars.

>> Lire aussi : Le libre-échange en Afrique, une réalité encore lointaine

Les risques de rupture des chaînes d’approvisionnement a poussé le Fonds international de développement agricole (IFAD), la FAO, le PAM et la Banque mondiale à signer un communiqué conjoint. Ces organisations internationales y appellent les Etats à une plus grande coordination et à lever les restrictions sur le commerce de biens agricoles et les services logistiques qui y sont associés.

Fragilité préexistante

Un agriculteur kényan transporte du sucre de canne. [Reuters - Thomas Mukoya]
Un agriculteur kényan transporte du sucre de canne. [Reuters - Thomas Mukoya]

Le problème dépasse cependant la question des limitations des échanges des produits alimentaires, mais concerne l’ensemble de la chaîne de production. Un article publié dans la revue de l’Université d’Oxford Food Quality and Safety établit par exemple que le Covid-19 a fortement affecté les pays dépendants des travailleurs saisonniers – nombreux dans l’agriculture -, les restrictions ayant empêché ceux-ci de se déplacer.

A ce manque de main d’œuvre s’ajoutent encore les employés agricoles annuels infectés par le virus. Minées dans leurs productions, les exploitations sont ainsi fragilisées. Et si les pays occidentaux ont pu mettre en place des programmes d’aide pour soutenir le secteur de production alimentaire, ce n’est pas le cas des pays à bas revenus, déjà au bord de la rupture avant même la pandémie.

C’est la conclusion que tire un autre article, publié dans The Journal of peasant studies, qui met en lumière la fragilité préexistante au Covid-19 des circuits alimentaires mondiaux. Les auteurs de l’étude pointent notamment le remplacement des petites exploitations - souples aux imprévus - par des chaînes de production beaucoup plus larges, et donc plus difficilement adaptables en cas de crises.

Des prix volatiles au niveau local

Cette uniformisation des chaînes de production a également eu pour effet d’appauvrir les petits producteurs qui ont perdu les subsides des Etats et qui ont subi de plein fouet une concurrence avec laquelle ils ne pouvaient pas rivaliser. En conséquence, de nombreux pays d’Afrique et d’Amérique latine, originellement autosuffisants grâce à leurs producteurs locaux, sont devenus dépendants de l’importation étrangère pour leur approvisionnement en denrées de base.

La Banque mondiale le dit elle-même: si pour l’instant il n’y a pas eu de grandes fluctuations sur le marché mondial des grains, le risque se situe au niveau local, où les prix sont beaucoup plus volatiles. Et dans les pays du Sud, où une large partie du revenu des individus est consacrée à l’achat de nourriture, la moindre augmentation de prix se fait lourdement ressentir.

Antoine Schaub

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