Ce n'est qu'après quatre ans et demi que l'Union européenne et le Royaume-Uni ont finalement prononcé leur divorce. Les négociations ont été rudes jusqu'à la signature de deux accords formant un grand bloc de 1400 pages, qui trône sur le bureau bruxellois de Michel Barnier.
"Ce sont des accords équilibrés qui protègent les intérêts des entreprises, des citoyens, des consommateurs européens et qui organisent de manière ordonnée ce qui reste un divorce."
Commencée en 2016, ce négociateur en chef de l'UE pour le Brexit arrive au terme de sa mission. Dans un mois, il quittera ses fonctions et rentrera dans sa France natale pour y poursuivre sa carrière politique. Mais même après tout ce temps, le constat reste pour lui le même qu'au premier jour: "Un divorce reste un divorce. C'est du perdant perdant."
Un divorce qui a connu des rebondissements. Après la signature du premier accord, et son adoption par le Parlement britannique, Londres a voulu le modifier, unilatéralement. Un geste rare, qui a terni la confiance dans le Royaume-Uni. "Ce qu'ils ont fait a créé un coup de froid sur la confiance. Même s'ils ont finalement décidé de respecter l'accord, cela nous incite à de la vigilance."
Quant à savoir si les Britanniques respecteront l'accord commercial, Michel Barnier refuse de faire un procès d'intention. "Les Britanniques ont retrouvé leur souveraineté totale, et ils ont le choix d'en faire ce qu'ils veulent. Est-ce que cette liberté va devenir un outil de dumping contre nous? Nous avons prévu dans ce traité des dispositions pour répondre à de tels risques."
Le Royaume-Uni mieux loti que la Suisse?
Depuis le Brexit, de nombreuses voix s'élèvent en Suisse pour dire que le Royaume-Uni s'en sort mieux en matière de relations avec l'UE. Londres aurait récupéré plus de souveraineté que la Confédération helvétique, notamment en échappant à la juridiction de la Cour de Justice européenne.
"On est dans des circonstances totalement différentes, défend Michel Barnier. Le Royaume-Uni quitte l'Union européenne d'un seul coup. Ce n'est pas le cas de la Suisse qui est depuis longtemps dans une démarche de proximité avec le marché unique."
Pour le négociateur de l'UE, la Suisse a choisi cette coopération et n'en perd pas pour autant sa souveraineté. "Les 27 pays de l'UE sont souverains, comme la Suisse l'est aussi. La question, c'est qu'est-ce qu'on fait de notre souveraineté?"
"La Suisse est dans le ciel unique, dans Schengen, elle a une équivalence de réglementation et de certification de produits industriels... Les Britanniques, au nom de leur souveraineté, ont refusé tout cela. C'est leur choix. Mais moi je pense que c'est dans l'intérêt de la Suisse que d'avoir davantage de proximité avec nous."
L'unité face à l'urgence
Souvent montrée comme divisée, l'Union européenne a pourtant fait front commun ces dernières années. Pour Michel Barnier, cette unité a été alimentée par le sentiment d'urgence des dirigeants européens face au Brexit, au changement climatique, à l'hostilité de Donald Trump et aux menaces terroristes.
"Je pense que tous les dirigeants européens, les parlementaires, comme moi-même, avons eu le sentiment que le Brexit était beaucoup plus grave que la seule relation bilatérale entre nous et le Royaume-Uni. Qu'il y avait derrière cela une question existentielle pour l'UE."
"Nigel Farage m'avait d'ailleurs dit à l'époque: "Après le Brexit, vous n'existerez plus." Et maintenant encore, il faut rester vigilants. Il y a toujours des forces qui veulent détruire l'Union européenne de l'intérieur."
Maintenant que le Brexit est acté, l'Union européenne va écrire son avenir à 27 Etats, et leurs liens sont en train de s'approfondir bien au-delà du marché unique, assure Michel Barnier.
"Regardez ce qu'il se passe dans cette crise du Covid. Il y a des domaines, comme la santé, où il y a une vraie valeur ajoutée à agir ensemble." En juillet dernier, les 27 se sont ainsi mis d'accord pour emprunter en commun et redistribuer à ceux qui en ont le plus besoin 750 milliards d'euros pour relancer l'économie du continent.
"Je pense que dans le monde tel qu'il est, tel qu'il vient, il vaut mieux être ensemble. Maintenant, le Brexit est fait, de manière ordonnée grâce à ces deux traités. L'avenir de l'Europe est bien plus important que le Brexit."
Mouna Hussain / Alain Franco