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"Le Covid-19 jette une lumière crue sur les inégalités dans le monde"

Géopolitis: COVID, la bombe sociale [Reuters - Ivan Alvarado]
COVID, la bombe sociale / Geopolitis / 26 min. / le 7 février 2021
La pandémie de coronavirus menace de détruire des dizaines d'années de progrès dans le domaine du développement, faisant grimper le nombre de personnes qui vivent avec moins de deux dollars par jour.

Au moins 150 millions de personnes risquent de tomber dans l'extrême pauvreté du fait de la pandémie de Covid-19. C'est le pronostic alarmant de la Banque mondiale. La crise sanitaire se double d'une crise économique et sociale face à laquelle les pays les plus pauvres sont particulièrement vulnérables.

Ainsi, 90% de la population africaine n'a pas de couverture pour ses frais de santé. Des centaines de millions d'hommes et de femmes dans le monde travaillent dans le secteur informel, sans aucun filet social. Beaucoup se sont vus privés de tout revenu lors des périodes de confinement décrétées par les États.

Des plans de relance inaccessibles

Les pays riches ont débloqué d'immenses sommes d'argent, dès le début de la crise, pour soutenir leurs économies et éviter les faillites. L'Union européenne a accepté un plan de relance de 750 milliards d'euros. La nouvelle administration américaine espère faire voter un plan d'urgence de près de 2000 milliards de dollars.

Des mesures d'aide hors de portée pour les pays les plus pauvres, souligne Kristina Lanz, spécialiste en politique du développement au sein d'Alliance Sud et invitée de Géopolitis: "Les pays du Sud ont souvent une économie peu diversifiée. Ils font face en même temps à une récession économique, à une fuite dévastatrice de capitaux et à la chute des prix des matières premières. Leur seule manière de faire face à cette crise, c'est souvent de s'endetter davantage."

ONU, Banque mondiale, FMI critiqués

Cette crise sans précédent dans l'histoire récente touche le monde alors que l'ONU est affaiblie, après les quatre ans du mandat de Donald Trump. Pour Kristina Lanz, la solution ne pourra pas non plus être apportée par des institutions comme la Banque mondiale ou le FMI: "Ce sont des institutions importantes pour le développement des pays du Sud, mais elles sont toujours contrôlées par les pays les plus riches et les prêts qu'elles accordent sont souvent liés à des mesures d'austérité et de privatisation qui ont fait justement que beaucoup de pays n'avaient pas la capacité de réagir à cette crise d'une manière adéquate, qui ont fait que leurs systèmes de santé n'étaient pas équipés."

Dans les pays en guerre, les gens vivent vraiment une double ou une triple crise.

Kristina Lanz

Les organisations humanitaires peinent aussi à répondre aux besoins des populations dans les pays en guerre, que la pandémie n'épargne pas. "Les gens vivent vraiment une double ou une triple crise", déplore Kristina Lanz. "Si on prend le Yémen, par exemple, c'est un pays qui fait déjà face à un désastre humanitaire. Le système de santé est détruit. Une part importante du personnel de santé a été tué ou a fui. Le Covid-19 arrive dans une situation où beaucoup de gens ont faim." Dans ce pays ravagé par six ans de guerre, 80% de la population dépend de l'aide humanitaire.

La situation est aussi particulièrement inquiétante en Syrie, où les cas de coronavirus ne cessent d'augmenter dans le nord-ouest du pays, alors que des millions de déplacés s'entassent dans des camps de fortune. Les Nations unies ont lancé un appel aux dons record pour constituer un fonds humanitaire d'urgence de 35 milliards de dollars.

La pauvreté au coeur des pays riches

La crise du Covid-19 creuse aussi les inégalités au sein des pays. Les besoins en aide alimentaire ont explosé. Même dans les pays privilégiés, même en Suisse, où les longues files d'attente lors de distributions de colis de nourriture à Genève ont choqué l'opinion publique.

Aux inégalités économiques se superposent les inégalités raciales et de genre, exacerbées aussi par la crise. Aux États-Unis, il y a eu proportionnellement plus de morts dues au Covid-19 dans les minorités afro-américaines et hispaniques. Les femmes sont aussi particulièrement exposées pendant la pandémie: "elles travaillent souvent dans les secteurs les plus touchés par la crise, comme le tourisme, le secteur des services, les hôpitaux", constate Kristina Lanz. "Les femmes représentent 70% du personnel dans le secteur de la santé. Elles sont au front."

Des riches toujours plus riches

La pandémie n'a par contre pas affaibli les plus riches. Les plus grandes fortunes du monde ont continué à accroître leurs richesses. Elon Musk, numéro 1 mondial, patron de Space X et de Tesla, pèse aujourd’hui plus de 200 milliards de dollars. C'est l'équivalent du PIB de la Nouvelle-Zélande ou du Qatar. Selon un rapport publié l’automne dernier par UBS et Price Waterhouse Coopers, 131 nouveaux milliardaires sont venus grossir le club des ultra-riches durant les neuf premiers mois de l'année 2020. Ils sont désormais plus de 2000 au total et ont amassé pour 10'200 milliards de dollars de fortune. C'est quatre fois le PIB du continent africain.

"Le Covid a jeté une lumière crue sur les inégalités tout autour de notre globe, relève Kristina Lanz, mais je crois qu'on doit aussi être conscients que ces inégalités étaient déjà frappantes, même avant la Covid." Selon un rapport du World Wealth and Income Database de 2017, depuis les années 80, les 1% les plus riches ont capté 27% de la croissance économique. "Je crois que le moment est venu de se demander si on veut vivre dans un monde où les hommes les plus riches accumulent des richesses par milliards alors que des enfants meurent de faim chaque jour."

Elsa Anghinolfi

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Vaccins, la stratégie à court terme

Des dizaines de millions de doses de vaccins ont déjà été administrées en Amérique du Nord et en Europe. Quelques dizaines de milliers seulement pour tout le continent africain. En signant des contrats avec les producteurs de vaccins les plus avancés, les pays riches ont mis la main sur plus de la moitié des doses vendues dans le monde.

Une stratégie fortement critiquée par le directeur général de l'OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesus. "Le monde est au bord d'un échec moral catastrophique", a-t-il déclaré le 18 janvier dernier. "Et le prix de cet échec sera payé par des vies et des moyens de subsistance dans les pays les plus pauvres du monde."

L'attitude des pays occidentaux est égoïste, selon Kristina Lanz, et se limite à un calcul à court terme. "Cela nous touchera aussi ultérieurement, souligne-t-elle, car si on laisse le virus circuler dans les pays du Sud, on aura des mutations qui peuvent toujours revenir chez nous. Et il y a aussi les conséquences économiques: nous dépendons aussi d'un monde économiquement stable et pacifique."