L'avenir dira si l'opération contre le Capitole à Washington le 6 janvier avait été pensée et calculée pour prendre le pouvoir aux Etats-Unis ou s'il s'agissait d'un acte spontané à l'appel d'un président téméraire, finalement dépassé par l'ampleur du phénomène. Quoi qu'il en soit, les images tournées à Washington ont révélé la capacité à mobiliser de Donald Trump, mais aussi de certains groupes affiliés à l'extrême droite américaine, l'alt-right, qui réunit Proud boys, mouvements patriotes ou encore le tristement célèbre Ku Klux Klan.
"On peut se demander si cet assaut sur le Capitole est l'équivalent de la prise du Palais d'hiver par les Bolcheviks en 1917 ou de la Marche sur Rome de Mussolini en 1922", reconnaît Marc Lazar*, spécialiste du fascisme, invité dans l'émission Géopolitis de la RTS. Prudent, l'historien précise cependant que ces deux événements relevaient -eux- clairement d'une opération visant à prendre le pouvoir, menée par un parti bien organisé avec des formes militarisées utilisées comme moyen de pression.
A ce titre, la foule bigarrée de pro-Trump à Washington n'a pas grand-chose en commun avec les "chemises noires" qui, à l'époque, ont poussé le roi Victor-Emmanuel III à reconnaître Benito Mussolini à la présidence du Conseil italien. "Lors de l'assaut sur le Capitole, à un moment donné, les institutions, à commencer par le vice-président Mike Pence, ont refusé de céder à la pression de la rue", souligne Marc Lazar.
Le Capitole a prouvé la capacité de résistance de la démocratie américaine
En 2019, 940 "groupes de haine" étaient recensés aux Etats-Unis par le Southern Poverty Law Center. Si leurs profils sont hétéroclites, ils ont en commun de partager une rhétorique identitaire et d'appeler à la haine sur les réseaux sociaux ou lors de rassemblements. Leur nombre qui a doublé en vingt ans est, aux yeux de l'historien, "l''expression d'une colère sociale et de processus de radicalisation politique avec, aussi, des formes d'instrumentalisation" qui peuvent faire penser au fascisme.
Démocratie versus dictature
Le professeur à Sciences Po Paris nuance ces similitudes en rappelant que "le fascisme a un projet politique, quasiment anthropologique: prendre le pouvoir pour ensuite établir une dictature et transformer l'humanité pour faire naître un homme nouveau".
Une distinction essentielle entre le fascisme et les populismes de droite tels qu'ils se manifestent aujourd'hui réside, explique Marc Lazar, dans leur rapport à la démocratie. "A la différence de leurs ancêtres des années 1930 qui détestaient la démocratie et voulaient l'abattre, les mouvements de type populiste actuels ne sont pas tellement pour un renforcement de l'Etat et, sur le plan économique, ils sont plutôt libéraux", observe-t-il.
Tout le paradoxe réside dès lors, analyse l'historien, dans le positionnement d'organisations représentées au Parlement comme la Lega en Italie ou la Rassemblement national (RN) en France, et qui se définissent comme "les meilleurs démocrates" alors qu'ils n'acceptent ni la contradiction ni les débats d'idées.
Autant ces formations populistes de droite prétendent respecter la démocratie, autant elles veulent bousculer les institutions au nom d'une souveraineté populaire sans limites
Si la défaite de Donald Trump à la présidentielle américaine a porté un coup dur aux populistes de droite européens qui l'ont soutenu jusqu'au bout, son départ de la Maison Blanche ne devrait pas les affaiblir pour autant.
Une confiance à réinventer
"Il y a une forme d'épuisement de la démocratie représentative et libérale dans nos pays et un déficit de confiance des électeurs envers les autorités, d'une part, et des autorités envers les électeurs d'autre part", estime Marc Lazar.
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Pour l'historien, il appartient aux responsables actuels de repenser la démocratie et de la rénover en réponse aux manifestations de plus en plus violentes et au-delà de la surveillance des mouvements ultras. Car, avertit-il, "il ne faut pas laisser le monopole de la revendication démocratique aux populistes".
Juliette Galeazzi
* En 2019, l'historien Marc Lazar a publié "Peuplecratie. La métamorphose de nos démocraties" avec le sociologue Ilvo Diamanti (Gallimard, 192 pages)