Publié

Frédéric Tangy: "L'impact du Covid sur notre société est déjà extrêmement violent"

La pandémie de coronavirus rappelle que l'humanité a toujours été marquée, et même façonnée, par les maladies infectieuses. [Keystone - Evgeniy Maloletka]
"L'homme façonné par les virus": interview de Frédéric Tangy / Tout un monde / 11 min. / le 8 février 2021
Selon Frédéric Tangy, directeur du laboratoire d'innovation vaccinale à l'Institut Pasteur, la pandémie de coronavirus rappelle que l'humanité a toujours été marquée, et même façonnée, par les maladies infectieuses. "L'impact du Covid sur notre société est déjà extrêmement violent", déclare-t-il lundi sur la RTS.

Dans son nouvel ouvrage, "L'Homme façonné par les virus", co-signé avec Jean-Nicolas Tournier, Frédéric Tangy relit l'histoire de l'Humanité à travers les maladies infectieuses.

Selon le chercheur, le rôle des virus a souvent été sous-estimé. "Surtout récemment, depuis les révolutions pastoriennes et l'invention des nouveaux vaccins pédiatriques. La plupart des maladies infectieuses qui faisaient peur ont disparu ou se manifestent très peu dans notre hémisphère. Le résultat, c'est que les individus ont plus peur de la vaccination que des infections", explique-t-il dans l'émission Tout un monde.

Un impact sur les guerres

Frédéric Tangy rappelle que de nombreux événements historiques, comme les guerres, ont été marqués par les maladies infectieuses.

"Pour parler par exemple de l'invasion de l'Amérique centrale et latine, les populations amérindiennes ont été décimées non pas par le fer des envahisseurs, mais par les virus, la rougeole et la tuberculose. Les historiens n'ont jamais intégré les maladies infectieuses dans leurs récits. Bien souvent, en tout cas jusqu'à la fin du 19e siècle, elles ont pourtant tenu une place prépondérante", assure le scientifique.

"Le Covid va rester"

Dans son ouvrage, Frédéric Tangy aborde le façonnage de l'humanité par les virus, à la fois génétique et historique. Mais aussi sociétal. "La crise du Covid nous l'impose. On le voit déjà: l'économie mondiale a beaucoup de problèmes, on télétravaille, on ne se déplace plus, on porte des masques et la politique tremble. L'impact sur notre société est déjà extrêmement violent et le sera probablement à long terme. Nos habitudes vont devoir changer", estime le chercheur de l'Institut Pasteur.

Ce dernier relève une certaine forme de déni dans les transformation profondes qui attendent l'humanité. "On détaille bien dans notre livre ce qu'est une maladie émergente. Une fois qu'une maladie a émergé, soit elle reste dans la population, soit elle disparaît. On a des petites émergences extrêmement mortelles, comme Ebola, qui ensuite disparaissent pour ressortir un an ou deux ans après. On les contrôle par chance pour l'instant. D'autres émergences, comme la rougeole, qui est apparue il y a 20'000 ou 30'000 ans, sont toujours avec nous malgré l'utilisation d'un vaccin extrêmement efficace. Le Covid va rester maintenant qu'il s'est bien installé", prévoit Frédéric Tangy.

Une mobilisation planétaire

Selon le chercheur français, la vaccination ne sera pas assez large pour que le virus disparaisse totalement. Il relève toutefois que les vaccins ont été mis au point à une vitesse remarquable, en rupture totale avec ce qui se faisait auparavant.

"C'est un progrès considérable, une grosse avancée technologique. Etant donné l'ampleur de la crise, beaucoup d'argent a été mis à disposition, particulièrement aux Etats-Unis, pour mettre en place des essais cliniques en quelques mois, sur des quantités très importantes de volontaires. Cela ne se faisait pas avant. Ces essais sont très coûteux. L'avancée principale c'est la peur. La planète s'est mobilisée pour se défendre", conclut Frédéric Tangy.

Propos recueillis par Eric Guevara-Frey

Texte web: Guillaume Martinez

Publié