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La Chine bloque l'application audio Clubhouse au grand dam de ses utilisateurs

Une photo d'illustration de l'application Clubhouse. [AFP - Odd Andersen]
La Chine retrouve ses citoyens sur Clubhouse / Tout un monde / 5 min. / le 10 février 2021
Détention massive des Ouïghours, manifestations pro-démocratie à Hong Kong ou concept d'indépendance de Taïwan: aucun sujet n'était tabou pour les internautes chinois sur l'application audio américaine Clubhouse, mais Pékin n'a pas tardé à faire taire les conversations.

La fête aura duré environ une semaine sur cette application qui permet aux utilisatrices et utilisateurs, uniquement sur invitation, d'écouter et de participer à des conversations en direct librement modérées dans des "salles" virtuelles.

Née en mai 2020, Clubhouse avait pendant un bref moment contourné les censeurs et attiré des foules d'internautes chinois, en particulier après la participation du milliardaire Elon Musk à une conversation sur l'application plus tôt dans le mois.

S'exprimer sans entraves

"La première fois, je suis rentré dès que j’ai terminé le travail et je me suis connecté à Clubhouse jusqu’à 3 heures du matin. Parler comme ça, c’était génial. C’était vraiment de la folie", s'enthousiasme, dans l'émission Tout un monde, l'un de ses nombreux utilisateurs qui souhaite garder l'anonymat.

"Moi, je me souviens de ma toute première discussion: c’était au sujet de Taïwan et de Hong Kong", témoigne un autre. Avant de poursuivre: "Les gens parlaient politique, c’était vraiment très très intense."

Tous les deux expliquent avoir passé des nuits entières en ligne, bouleversés de pouvoir s’exprimer sans entraves.

Sujets habituellement censurés

Ces derniers jours, ils ont fait partie des nombreux internautes chinois à avoir rempli les "salles" virtuelles de l'application pour discuter de sujets habituellement censurés, comme l'incarcération par Pékin de communautés ouïghoures majoritairement musulmanes dans la région du Xinjiang, ou les manifestations pro-démocratie à Hong Kong

Mais lundi soir en Chine, l'application a affiché un message d'erreur pour les utilisateurs qui ne disposaient pas de VPN pour établir une connexion sécurisée, un signe indubitable de l'arrivée des censeurs.

"Je pensais que l’application serait censurée d’ici une à deux semaines. Mais je ne pensais pas qu’ils feraient aussi vite", déplore une utilisatrice pékinoise qui dit s’appeler Cindy. Elle regrette déjà cet espace de liberté devenu si rare.

"A l'ère du président Xi Jinping, l'interdiction n'est qu'une question de temps", estime Lokman Tsui, professeur de communication à l'Université chinoise de Hong Kong. Depuis 2012, le Parti communiste n’a en effet de cesse de resserrer son contrôle. Rien sur internet n’échappe à la censure la plus sophistiquée du monde qui recourt notamment à l’intelligence artificielle.

Rare fenêtre de liberté d'expression

Les utilisateurs de Clubhouse ont profité d'une rare fenêtre de liberté d'expression dans un pays où les réseaux sociaux internationaux comme Twitter et Facebook n'ont pas droit de cité.

Même si des versions chinoises de ces plateformes ont émergé et font désormais partie intégrante du quotidien des Chinois, chacun d'entre eux sait que tous les contenus mis en ligne sont suivis de près et censurés.

Pour les entreprises du secteur, effacer des contenus politiquement sensibles, y compris des critiques ou des contestations du gouvernement, est monnaie courante, tandis que les internautes rivalisent de leur côté d'ingéniosité pour tromper la vigilance des censeurs.

Sujet radio Michael Peuker

Adaptation web fgn

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Un phénomène de niche "remarquable"

Clubhouse n’est disponible que sur iPhone, ce qui limite donc les utilisateurs chinois à ceux qui ont les moyens de se payer un tel appareil, soit la classe moyenne-supérieure éduquée. Mais pour Patrick Poon, chercheur basé à Hong Kong et spécialiste des Droits de l’Homme, ce phénomène de niche n’en reste pas moins remarquable.

"J’étais surpris de constater à quel point les Chinois veulent parler. Certes, il s'agit d'une élite: ceux qui ont des iPhones et utilisent des logiciels pour contourner la censure, mais on se rend compte, en les écoutant, qu’ils connaissent vraiment les sujets sensibles dans les détails. C’est impressionnant", se réjouit-il dans l'émission Tout un monde.

Le chercheur regrette toutefois la peur que le gouvernement chinois fait planer pour dissuader les internautes de se connecter à ce genre d'applications. Plusieurs d'entre eux disent en effet craindre de plus en plus la police chinoise qui pourrait se fondre parmi les utilisateurs, écouter les discussions dans les salons pour identifier les participants.

"Le gouvernement chinois agit toujours comme ça: il écrase toute menace à la racine pour éviter de la voir grandir. Il terrorise pour assurer un contrôle social efficace", déplore Patrick Poon.