Cet événement avait provoqué la plus grande crise politique de l'histoire démocratique de l'Espagne. La manoeuvre avait été jugée illégale par le Tribunal constitutionnel espagnol et Madrid avait mis la région sous tutelle. La Catalogne est toujours gouvernée par les indépendantistes. Plusieurs dirigeants ont été emprisonnés - ils purgent encore leurs peines de prison, mais en régime de semi-liberté maintenant - et Barcelone avait vécu, en 2019, plusieurs jours de guérilla urbaine.
Ambiance beaucoup plus calme
L'ambiance est maintenant très différente. Elle est surtout beaucoup plus calme. Le Covid-19 y est évidemment aussi pour quelque chose. La campagne électorale balance entre une certaine normalisation et une situation étrange, avec des meetings sur les réseaux sociaux.
Aucune commune mesure avec la tension vécue en 2017 et en 2019. Les résultats de dimanche montreront si les débats sur l’indépendance ont disparu et si la société n’est plus autant polarisée. Car la normalité apparente de la situation ne signifie pas forcément que tout est oublié et qu'on a passé l'éponge.
Un moment épique
La réalité est subtile. Oriol Bartomeus, professeur de sciences politiques à l’Université autonome de Barcelone et à l’Université de Barcelone, interrogé jeudi dans l'émission Tout un monde, fait la différence entre l’épique et la politique: "Les personnes qui ont participé aux événements de 2017 s’en souviennent comme un moment épique, joyeux, une expérience dont ils se sentent fiers. Les indépendantistes l’ont réellement vécu comme une période magique".
Mais selon lui, "cette mémoire s’est brisée sur ce qui s’est passé par la suite. Des personnes estiment qu’elles ont été trahies par l’élite politique indépendantiste. Dans le sens où le peuple a fait quelque chose de merveilleux, mais qu’ensuite, la classe politique séparatiste n’a pas su le concrétiser".
Cartouches brûlées
Politiquement il ne reste pas grand-chose. Les indépendantistes ont brûlé leurs cartouches en 2017. Plusieurs anciens dirigeants indépendantistes ont été condamnés à la prison.
Joan Botella, professeur de sciences politiques à l’Université autonome de Barcelone, résume de manière crue les conséquences: "Le mouvement indépendantiste de 2017 en tant que tel a disparu. Il ne prend pas d’initiatives nouvelles. Il n’y a pas d’avancées, pas d’actions. Nous avons affaire à une gestion de la défaite, à des verdicts de justice, et à quelques manifestations. On pourrait dire en résumé que le mouvement indépendantiste tente d’assimiler, de digérer sa défaite".
Division de la société
Et autre conséquence, aux yeux de Joan Botella: "La division de la société en deux blocs s’est encore accentuée. On n’a plus deux camps pro- et anti-indépendance, mais deux blocs: l’un veut maintenir un climat agité, et l’autre est partisan de la pacification".
Les constitutionnalistes ne sont pas d’accord entre eux sur la méthode à employer, et le camp indépendantiste, même s’il gouverne en coalition entre deux partis, est divisé aussi, comme l’explique Joan Botella: "C’est difficile, il n’y a pas de stratégie claire pour l’avenir. Ils savent que la revendication permanente de l’autodétermination et la demande d’amnistie des prisonniers ne sont pas viables. Mais le premier qui le dira sera accusé de trahison. Nous sommes donc bloqués".
Seul élément de cohésion
"Le seul élément de cohésion entre les indépendantistes - et qui leur donne un certain rôle -, ce sont les anciens dirigeants séparatistes en prison. Ils sont très importants du point de vue sentimental, voire personnel. Et cette sentimentalité est volontairement entretenue, car elle permet de gommer les différences entre les partis séparatistes", analyse Joan Botella.
Un élément confirme cette profonde division: les indépendantistes opposent leur veto par écrit à des pactes de gouvernement régional avec le candidat socialiste. Le politologue se montre pessimiste, car un tel fossé laissera des traces et il n’est pas sans rappeler, d’une certaine manière, la division à laquelle font face les Etats-Unis.
Sujet radio: Valérie Demon
Adaptation web: Jean-Philippe Rutz