Modifié

Le Kosovo prêt à écrire une nouvelle page de son histoire

Arbnora Fejza Idrizi, artiste kosovare, a créé le drapeau de son pays avec 127'400 origami. [AFP]
Le tournant des prochaines élections au Kosovo / Forum / 2 min. / le 12 février 2021
Dimanche auront lieu des législatives anticipées au Kosovo, moins d'un an et demi après les dernières élections. L'alliance entre la présidente ad Intérim Vjosa Osmani et le leader du parti d'opposition "Autodétermination" séduit une frange jeune et urbaine de la population.

C’est un immense élan d’enthousiasme qui a soulevé ces jours le Kosovo. "Vetevendosje", qui signifie "autodétermination", est sur les lèvres de toute une génération. Les jeunes, les urbains et les femmes vont largement voter en faveur de ce parti d’opposition.

Vetevendosje, allié à la formation de la présidente par Interim Vjosa Osmani, pourrait remporter une courte majorité des sièges du parlement ce dimanche. Le président du parti Albin Kurti et Vjosa Osmani se présentent comme une nouvelle force alternative pour moderniser le petit pays, miné par la corruption.

Fin des rebondissements ?

Ces élections législatives anticipées sont l’aboutissement d’une série de coups de théâtre qui ont secoué la vie politique kosovare l’année dernière. Ainsi, Albin Kurti a fait un très bref passage de quatre mois au poste de Premier ministre.

L'ancien leader étudiant de gauche avait fait alliance avec le parti traditionnel LDK (Ligue démocratique du Kosovo) avant d’être écarté par une motion de défiance. Après plusieurs rebondissements spectaculaires, comme l’inculpation pour crimes de guerre du président en exercice Hashim Thaçi, la Cour suprême a finalement convoqué de nouvelles élections législatives, qui se tiendront dimanche 14 février.

Une affiche électorale représentant Vjosa Osmani et Albin Kurti au Kosovo. [AFP]
Une affiche électorale représentant Vjosa Osmani et Albin Kurti au Kosovo. [AFP]

Une alliance contre le crime et la corruption

La coalition formée par Albin Kurti et la juriste libérale Vjosa Osmani peut surprendre, car idéologiquement, l’un est plutôt marqué à gauche et la deuxième se revendique de centre droit. Mais tous deux représentent une nouvelle génération de politiciens qui veut se démarquer de l’ancienne garde.

Depuis la fin de la guerre en 1999, la politique du Kosovo est dominée par les anciens combattants. S’ils sont toujours respectés pour leur rôle dans la victoire contre la Serbie, leur aura a beaucoup été ternie par la corruption dont souffre le pays et les accusations de crimes à leur encontre. Albin Kurti, 45 ans, et Vjosa Osmani, 38 ans, estiment qu’en mettant un terme à la corruption, le Kosovo va naturellement connaître un boom économique et social.

>> Voir aussi l'interview exclusive de la présidente Vjosa Osmani : Vjosa Osmani: "La Suisse a été là pour le Kosovo dans les moments difficiles"

Conséquences régionales

Vjosa Osmani, docteur en droit, a dans le passé participé personnellement aux négociations pour l’indépendance du Kosovo, et Albin Kurti est un souverainiste convaincu. On s’attend donc, s’ils sont élus, à ce qu’ils adoptent des positions très fermes dans les négociations avec la Serbie sous l’égide de l’Union européenne. Ce d’autant plus que le contexte international a changé.

Donald Trump avait contourné l’UE et réussi à arracher un accord tripartite, essentiellement économique, affiché comme un succès personnel. Mais les candidats se montrent, eux, intraitables sur la reconnaissance par la Serbie de l’indépendance du Kosovo.

>> Voir les résultats des élections : Le parti de gauche anti-élites remporte les législatives au Kosovo

Des Kosovars de Suisse n'ont pas pu voter

La diaspora kosovare est très nombreuse, avec une estimation qu'un tiers des électeurs et électrices vivent à l'étranger. Or, les élections prochaines suscitent un engouement sans précédent parmi la diaspora, avec le parti d'opposition Autodétermination qui séduit une partie de cet électorat.

Mais, en Suisse notamment, une partie de la communauté se plaint de ne pas avoir pu voter. Ces personnes dénoncent des entraves administratives, voire une volonté politique de faire taire leur voix. Dimanche passé, une centaine de personnes se sont rassemblées sur la Place des Nations à Genève pour manifester.

>> Ecouter les propos des manifestantes et manifestants kosovars dans l'émission Ici la Suisse :

Avec les Kosovars de Suisse en vue des élections du 14 février au Kosovo. [RTS - Isabelle Cornaz]RTS - Isabelle Cornaz
Signature de Marielle Savoy - On ne libère pas les femmes en les pointant du doigt / Ici la Suisse / 6 min. / le 10 février 2021

L’ambassade et le consulat du Kosovo à Genève n’ont pas répondu aux sollicitations de RTSInfo, mais la commission électorale centrale confirmait il y a quelques jours que près de 30'000 demandes d’électeurs de la diaspora dans le monde avaient été invalidées pour cause de documents manquants ou encore de personnes n’ayant pas 18 ans. Des arguments peu convaincants aux yeux des personnes qui manifestaient.

>> Ecouter aussi le reportage d'Anouk Henry sur le renouvellement de la classe politique au Kosovo :

Milijije Rexhepi, coordinatrice du bureau des vétérans de Ferizaj. [RTS - Anouk Henry]RTS - Anouk Henry
Elections législatives au Kosovo: le renouveau de la classe politique ? / Tout un monde / 6 min. / le 12 février 2021

Anouk Henry / Isabelle Cornaz / mh

Publié Modifié

Ces Kosovars de Suisse qui rentrent au pays

La Suisse est le deuxième investisseur étranger au Kosovo, après l’Allemagne et devant la Turquie. Et la plupart des 200 entreprises helvétiques sont dirigées par des binationaux. Car certains ont choisi de quitter le confort de la Suisse pour rentrer au Kosovo afin de participer à sa reconstruction.

Dress code d’architecte,  col roulé et lunettes noires, le jeune patron de "Dua.com" nous reçoit dans ses locaux ultra modernes à Pristina. Les poufs colorés donnent aux locaux des allures de start-up. Dua.com, c’est une a application de rencontre pour la diaspora albanaise, qui compte 150'000 clients.

On peut y chercher l’amour, mais aussi des conseils, ou des contacts albanophones dans toutes les villes du monde. "J’ai grandi en Suisse centrale, et j’étais le seul Kosovar de ma classe. Tous mes amis sont Suisses. Ça m’a manqué de fréquenter des gens de culture albanaise."

Valon Asani est né dans la région de Zurich en 1988, son père était professeur d’Albanais. Il a dû fuir les persécutions de Serbes. Le jeune informaticien considère la Suisse comme un pays "normal", contrairement au Kosovo. Mais cela ne l’a pas empêché de venir s’installer il y a 10 ans à Pristina, alors qu’il n’y avait jamais vécu.

Valon Asani est directeur et fondateur de l’agence de rencontre Dua.com, destinée à la diaspora albanaise. [RTS - Anouk Henry]
Valon Asani est directeur et fondateur de l’agence de rencontre Dua.com, destinée à la diaspora albanaise. [RTS - Anouk Henry]

Valon rit lorsqu'il se souvient de son arrivée : "Au début c’était difficile. Je suis venu avec mon frère, mais lui n’a pas supporté. Il a préféré retourner et faire 7 ans de service militaire en Suisse que de vivre au Kosovo !" Corruption, infrastructures déficientes, les difficultés sont grandes pour un entrepreneur. Pourtant, avec un bagage suisse, c’est aussi une mine d’opportunités.

"Quoi qu’on regarde, que ce soit les câblages, les routes, la politique, on a des centaines d’idées, car rien ne fonctionne. C’est comme la ruée vers l’or." La raison pour laquelle cela ne marche pas ? "Pour moi c’est clair, le poisson pourrit par la tête, et comme les politiciens sont totalement corrompus, alors les problèmes viennent d’en haut. Les politiques sont d'anciens combattants, et c’est leur atout. J’ai personnellement entendu l’un d’entre eux me dire : "je me suis battu pour ce pays, alors je peux faire ce que je veux".

>> Ecouter le reportage d'Anouk Henry sur les Kosovars qui rentrent au pays :

Le drapeau du Kosovo. [Keystone/AP Photo - Visar Kryeziu]Keystone/AP Photo - Visar Kryeziu
Ces Kosovars qui retournent au pays à contre-courant / La Matinale / 4 min. / le 9 février 2021

Des études à Zurich au cinéma à Pristina

A l’Armata, Ilir Hasanaj est comme un poisson dans l’eau. Il est le programmateur de l’immense salle de cinéma, qui a gardé son charme d’antan, sols en terrazzo et boiseries d’origine. Elle a longtemps appartenu à l’armée, d’où son nom. Puis elle est passée en main des forces internationales présentes au Kosovo.

Aujourd’hui, la ville de Pristina a confié les clés de la maison à un groupe chargé de lui donner une nouvelle vie. "La première année nous avons organisé plus de 200 événements différents". Ilir Hasanaj est "de retour" au Kosovo depuis 2015. C’était un nécessité : "Zurich comte plus de 30 cinémas. Ici, à Pristina, il n’y en a que 3. Chaque salle qui ouvre est nécessaire".

Après ses études de cinéma, Ilir voulait apporter sa contribution, se sentir utile. Naturellement, il a choisi Pristina. Et l’environnement est aussi plus stimulant. "Ici, tout est à construire. Nous avons par exemple projeté un film qui traitait de la guerre. La conversation qui a suivi a été incroyable, les gens parlaient du traumatisme qu’ils avaient vécu pendant les bombardements, de leur expérience de réfugiés."

Ilir Hasanaj est aujourd’hui le programmateur du cinéma Alternatif Armata à Pristina. [RTS - Anouk Henry]
Ilir Hasanaj est aujourd’hui le programmateur du cinéma Alternatif Armata à Pristina. [RTS - Anouk Henry]

Mais le réalisateur a également fait ce voyage pour lui, pour retrouver ses origines. "Pour moi, grandir en Suisse c’était très stressant. J’étais sous pression. J’ai longtemps eu l’impression que je ne pouvais pas être les deux, Kosovar et Suisse. Donc ça m’a fait beaucoup de bien de pouvoir venir ici et voir l’autre côté."

Bien sûr, la vie est plus difficile ici, mais il ne "cherche pas la sécurité". Il voit aussi les problèmes, la corruption, la pauvreté. Et il voit dans les élections à venir une occasion unique de changement. "Normalement je ne suis pas très politisé, mais au Kosovo c’est impossible d’être apolitique. Parce que chaque problème est lié au dysfonctionnement du gouvernement. Je suis vraiment optimiste et je pense que, cette fois, un vrai changement va pouvoir avoir lieu."