En Libye, la mèche des printemps arabes s'est allumée le 15 février 2011 à Benghazi, la deuxième ville du pays. Des mouvements de protestation ont réclamé plus de liberté, plus de démocratie et un meilleur respect des droits humains.
Face à la colère du peuple, Mouammar Kadhafi a répondu par la force. Mais les manifestations se sont muées en soulèvement armé. Les insurgés se sont unis et ont mis en place le Conseil national de transition. Ils sont alors soutenus par la coalition internationale qui a lancé des raids aériens pour stopper la répression.
Les mois suivants ont été marqués par des combats acharnés. Le régime a subi défaites sur défaites. En août, les rebelles sont entrés dans la capitale Tripoli et se sont emparés du quartier général de Khadafi. Deux mois plus tard, le 20 octobre, dans son fief de Syrte, Mouammar Khadafi est capturé, frappé, humilié. Il est décédé quelques heures plus tard dans des circonstances jamais élucidées. Sa dépouille a été exposée au public et à la presse.
Dix après cette révolte, les défis restent colossaux après 42 ans de dictature et une décennie de violences depuis l'intervention internationale. Après des années d'impasse dans ce pays divisé en deux camps, des progrès politiques "tangibles" ont été accomplis ces derniers mois, selon le secrétaire général de l'ONU. Un cessez-le-feu a été conclu, un rebond de la production pétrolière enregistré et vendredi dernier un nouveau Premier ministre par intérim Abdel Hamid Dbeibah a été désigné pour assurer la transition jusqu'aux élections prévues en décembre.
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"Trop de conflits"
"Dix ans après la révolution, la Libye est un Etat encore plus défiguré qu'il ne l'était sous Kadhafi", estime Emadeddin Badi, expert à la Global Initiative basée à Genève. Les Libyens sont épuisés, des dizaines de milliers sont déplacés et de nombreux exilés rentrés en 2011 pour participer à la construction démocratique du pays sont repartis. Le pays reste miné par les luttes de pouvoir, le poids des milices et la présence de mercenaires étrangers, ainsi que par la corruption. Les infrastructures sont à plat, les services défaillants.
"J'ai vu trop de morts dans ma vie, trop de conflits", témoigne dans La Matinale Marwan, 32 ans, qui a abandonné ses études de médecine pour devenir journaliste lorsque la révolution a commencé.
Et, dans cette anarchie, le pays est devenu la plaque tournante du trafic d'êtres humains sur le continent. Des dizaines de milliers de migrants, venus d'Afrique subsaharienne en quête de l'eldorado européen, y sont la proie de trafiquants, quand ils ne meurent pas en tentant la traversée de la Méditerranée.
Deux autorités
Dix ans après l'immense espoir de liberté, le pays est resté déchiré entre deux autorités qui se disputent le pouvoir avec chacune le soutien de puissances étrangères.
Le camp du gouvernement d'union nationale (GNA), installé en 2016 à Tripoli au terme d'un fragile processus onusien, est fortement appuyé par la Turquie. Son rival, en Cyrénaïque, dans l'est, incarné par le militaire Khalifa Haftar, est soutenu par les Emirats arabes unis, l'Egypte et la Russie.
Depuis l'échec des pro-Haftar à s'emparer de Tripoli l'an dernier, après plus d'un an de combats, les tentatives de médiation se sont multipliées. En octobre, un accord de cessez-le-feu a été arraché sous l'égide de l'ONU. Contrairement aux précédents, il semble globalement respecté.
Le pétrole dilapidé
Le cessez-le-feu a rétabli un semblant de normalité. Dans la capitale, où les forces de sécurité ont regagné du terrain, les milices locales à la gâchette facile se font plus discrètes. Mais le quotidien reste rythmé par des pénuries de liquidités et d'essence, les coupures d'électricité et l'inflation.
Dans ce pays, aux plus grandes réserves d'or noir du continent, les Libyens se sont "progressivement appauvris", souligne Emadeddin Badi.
Le secteur névralgique de l'énergie, qui du temps de Mouammar Kadhafi permettait de financer un état providence, a pâti de la guerre - pétrole dilapidé, infrastructures endommagées, non entretenues, blocus.
L'an dernier, les pro-Haftar ont bloqué les principaux terminaux pour réclamer une meilleure répartition des recettes, gérées à Tripoli. Une fois le blocus levé en septembre, la production a atteint en décembre 1,2 million de barils par jour, dix fois plus qu'au troisième trimestre 2020. Elle reste cependant en deçà des 1,5 à 1,6 million de b/j d'il y a dix ans, quand l'économie du pays reposait à près de 90% sur cette industrie.
lan avec afp
Le rôle de la communauté internationale en Libye et en Syrie
La communauté internationale a joué un grand rôle dans ces printemps arabe, car si ceux-ci ont évidemment pour base des soulèvements populaires, ils ont aussi été synonymes d'intervention étrangère, et en premier lieu en Syrie et en Libye.
Avec plus de 26'000 sorties aériennes et des dizaines de navires envoyés dans la région, l'OTAN a ainsi rapidement provoqué la chute de Mouammar Khadafi en 2011. L'opération s'est appuyée sur une résolution de l'ONU pour protéger le peuple libyen.
Au même moment en Syrie, le président Bachar el-Assad a réprimé dans le sang un soulèvement populaire. Mais l'Occident a tergiversé dans ce pays.
L'Iran, allié du régime de Damas, a ainsi pu envoyer ses Gardiens de la Révolution réprimer les protestataires. La Russie, à force de veto à l'ONU et de présence militaire en Syrie, a de son côté soutenu le président Assad.
Il faudra attendre 2014 et le péril djihadiste pour qu'une coalition internationale se forme contre le groupe Etat islamique. Mais Bachar el-Assad est resté au pouvoir.