"J'ai alerté qu'un coup d'Etat était possible, je n'ai pas été crue", dit l'émissaire de l'ONU pour la Birmanie
"Je suis toujours restée en contact avec le gouvernement d'Aung San Suu Kyi, et aussi avec l'armée. Maintenant, j'aimerais pouvoir rentrer en Birmanie le plus vite possible pour procéder à des négociations entre les deux", dit-elle au micro de La Matinale.
Selon ses informations, des manifestations énormes continuent dans les rues: "C'est quelque chose que l'armée n'attendait pas. Ce n'est pas la même situation qu'en 1988, lors des grandes répressions sanglantes. La tension est très très grande: je sais que l'armée a un plan pour contrer les manifestations, mais le peuple n'a aucune envie d'arrêter, car il ne veut pas entrer en dictature et souffrir d'isolement. Il est très important, maintenant, de calmer la situation", remarque-t-elle.
L'envoyée spéciale de l'ONU garde ses liens grâce à la vidéo: "Je suis chaque jour en contact avec eux, parfois juste pour quelques commentaires. Juste après le coup d'Etat, j'ai discuté pendant trois heures avec le numéro deux de l'armée".
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Pressions économiques
Les Etats-Unis ont déjà pris des sanctions contre la junte birmane et l'ONU s'apprête à faire pression, tout comme l'Australie: "Il y a d'autres pays qui vont suivre et je suis en contact avec presque tous les gouvernements par téléphone. Ils m'appellent souvent. Je leur demande d'attendre – surtout l'Union européenne – car il reste une petite fenêtre ouverte pour que je puisse rentrer en Birmanie et avoir une importante discussion avec l'armée. Il s'agit de créer un pont entre la junte et le parti d'Aung San Suu Kyi. Les militaires savent que si chaque pays prend des mesures, ils seront isolés et ils n'auront que leurs très grands voisins qui resteront leurs amis. Cet isolement n'est pas bon pour l'économie".
L'émissaire de l'ONU explique avoir donné un briefing devant le Conseil de sécurité de l'ONU le deuxième jour après le coup d'Etat, virtuellement, pendant deux heures: "A la fin, une prise de position a été arrêtée, également portée par la Chine et la Russie". Elle est en contact régulier avec la Chine: "Pékin n'aime pas la situation actuelle. L'ambassadeur de Chine a donné une interview il y a deux jours et c'était assez étonnant: il a dit qu'il n'aimait pas cette situation. Désormais, je crois que la Birmanie est sous la pression du monde entier", explique-t-elle.
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La junte a toujours été puissante
De l'avis de Christine Schraner Burgener, la communauté internationale n'a pas assez eu de patience: "J'ai toujours alerté le Conseil de sécurité et l'assemblée générale de l'ONU qu'un coup d'Etat pouvait se passer, mais je n'ai pas été crue. Ces instances pensaient que tout irait bien avec Aung San Suu Kyi et son gouvernement démocratique. Mais elles ont oublié que l'armée a toujours eu le pouvoir: elle a 25% de sièges au Parlement, grâce à la Constitution de 2008 que les militaires ont créée eux-mêmes. La junte possède trois ministères qui sont vraiment importants".
Elle souligne qu'Aung San Suu Kyi n'a pas eu une grande marge de manœuvre pour gouverner: "Et la communauté internationale a toujours fait pression sur elle. Ça, ça n'a pas aidé. Je regrette beaucoup ce qui se passe car, pendant trois ans, j'ai pu améliorer la situation sur place, notamment en ce qui concerne les Rohingyas, les groupes ethniques et les droits humains. Mais maintenant, c'est retour à la case départ".
Interview radio: David Berger
Adaptation web: Stéphanie Jaquet
Que peut faire la Suisse pour la Birmanie?
La Suisse doit-elle durcir ses sanctions contre la junte militaire birmane, responsable du coup d'Etat? C'est ce qu'exige la société civile, appuyée par la gauche. Mais pour l'heure, la diplomatie helvétique joue la carte de la prudence.
La Suisse a malgré tout haussé le ton face aux militaires birmans, comme le reste de la communauté internationale. Dans un communiqué, elle a dit être "gravement préoccupée". Elle exige "la libération de toutes les personnes arrêtées" et appelle "au respect des récentes élections et des droits fondamentaux de la population". Berne demande également à l'armée de renoncer à toute forme de violence.
Tout nouveau paiement lié à la coopération en Birmanie est également suspendu. Les programmes en cours sont toutefois pour l'heure poursuivis.
L'interruption des paiements doit laisser le temps à une analyse approfondie. "Nous vérifions si et lesquels de nos projets doivent être suspendus parce qu'ils profitent au gouvernement militaire ou nécessitent d'être gérés par lui", a indiqué Tim Enderlin, ambassadeur de Suisse en Birmanie, jeudi matin dans La Matinale.
Préserver les progrès réalisés
"La question principale pour nous et la communauté internationale en général est de voir quel degré de coopération est encore acceptable pour continuer de soutenir la population et préserver les progrès déjà réalisés, et dans le même temps en évitant de donner une légitimité au nouveau régime", a expliqué Tim Enderlin.
La Suisse ne donne pas d'argent directement à la Birmanie, mais finance à hauteur de 36 millions de francs par an de nombreux projets humanitaires, dans le domaine du développement et pour la transition démocratique du pays.