Arrière-arrière-petit-fils du célèbre écrivain, Pierre Tosltoï a arrêté sa carrière de journaliste en 2016 pour intégrer la Douma, le Parlement russe, dont il est actuellement le vice-président. Il siège également comme vice-président de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe.
Le politicien est ainsi bien placé pour évoquer les relations houleuses entre son pays et l'Union européenne, qui sont pour lui la conséquence des sanctions européennes. "Depuis 2014, l'Union européenne mène une guerre économique contre mon pays. Elle a commis beaucoup de fautes graves dans ses relations avec la Russie. L'Union européenne imagine que la Russie va céder aux sanctions économiques, ce qui n'arrivera jamais", regrette-t-il dans l'émission Tout un Monde.
"Aujourd'hui, les relations entre l'Europe et la Russie sont plus ou moins au niveau de la Guerre froide avant la chute de l'URSS, et ce n'est pas de notre faute, mais de celle de l'UE qui manipule les pays du continent. Mais avec le plus grand pays d'Europe, ça ne se passera pas comme cela."
Une hypocrisie européenne dénoncée
Quand à l'annexion de la Crimée, à l’origine des sanctions européennes, Pierre Tolstoï réprouve le terme. Pour la Russie, il s'agit surtout de réparer une erreur historique. "Il fallait non seulement faire revenir la Crimée, mais l'Ukraine toute entière. Le terme annexion est tout de même assez insultant, et cela montre les doubles standards des Européens. Lorsqu'il s'agit du Kosovo ou des îles Falkland, annexées par la Grande-Bretagne, alors non, bien sûr, on ne peut pas comparer. Cet écart montre l'hypocrisie et le double standard. Alors évidemment, après cela, on ne peut plus parler de confiance."
On va peut-être attendre la chute de l'Union européenne et après on rediscutera avec les pays individuellement
On est loin aujourd'hui du projet d'une Europe de Lisbonne à Vladivostok qui était évoquée suite à la chute du mur de Berlin. "À mon avis, cette occasion a été manquée, surtout lorsque les pays de l'OTAN ont décidé d'inclure les pays de l'Est après le retrait de troupes soviétiques de l'Allemagne. On ne peut pas construire d'unité dans les circonstances actuelles."
La Russie préférerait nouer de nouveaux liens avec les pays européens directement, sans intermédiaire de Bruxelles en qui elle n'a plus confiance. "On va peut-être attendre la chute de l'Union européenne, qui ressemble de plus en plus à l'Union soviétique dans les années 80, et après on rediscutera avec les pays comme la France et l'Allemagne, pour créer de nouvelles relations sur le continent européen."
Je ne sais pas pourquoi l'Occident considère Navalny comme un politicien, un leader d’opposition.
Les relations entre Moscou et l'UE ont été mises à mal par l'empoisonnement puis l'arrestation de l’opposant Alexeï Navalny. "Pour moi, c'est un gars qui faisait des enquêtes sur la corruption, parfois très intéressantes. Je ne sais pas pourquoi l'Occident le considère comme un politicien, un leader d’opposition. Je crois qu'il y a beaucoup de clichés autour de ce dossier. Mais il faut comprendre que la Russie a son propre système judiciaire et qu'il ne va jamais changer, même si tous les pays de l'Europe l'exigent."
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Mais la Russie a-t-elle les moyens de s'opposer sur le long terme à l'Occident? "Bien sûr, regardez la carte de l'Europe. Tous les pays de l'Union européenne et le reste de l'Europe qui essaient de mener une guerre économique contre nous ne sont qu'un petit morceau comparé à la Russie. Ne vous inquiétez pas, on a assez de pouvoir, on peut attendre, donc il n'y a pas de problème."
"Mais moi personnellement, je ne veux pas une confrontation avec l'Occident. Il faut comprendre que la Russie est une civilisation à part. Arrêtez de donner des leçons, de venir avec des ultimatums. Ce n'est pas le langage qu'on utilise avec mon pays."
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La stratégie de Vladimir Poutine
Sur la stratégie de Vladimir Poutine, Pierre Tolstoï réfute l'analyse de journalistes sur ses ambitions de grandeur. "L'objectif majeur de la politique étrangère de Vladimir Poutine est de servir les intérêts de son pays. Si Poutine avait voulu restaurer un grand pays, aujourd'hui, les frontières iraient jusqu'à la Pologne. Mais ce n'est pas le but. L'objectif, c'est de surmonter la dégradation totale qui a eu lieu à l'époque de Mikhaïl Gorbatchev et Boris Eltsine. On a des bons résultats en économie et sur d'autres plans."
Ce n'est pas aux Européens d'accuser la Russie de violer le droit international.
Quand à ceux qui accusent le président russe de remettre en cause l'ordre international via des déstabilisations, ingérences et blocages à l'ONU, le vice-président de la Douma renvoie la balle: "Depuis la chute du mur de Berlin, ce sont les États-Unis et l'Europe qui ont discrédité l'ordre international. Ce sont eux qui ont organisé l'agression de l'OTAN contre la Serbie, qui ont installé la "démocratie" en Afghanistan, en Libye, en Irak. Mais on voit bien les résultats de ces actions qui ont été faites contre l'ordre international, sans la permission du Conseil permanent de l'ONU. Ce n'est donc pas aux Européens d'accuser la Russie de violer le droit international."
Pierre Tolstoï défend les interventions russes dans plusieurs conflits: "La Russie est allée en Syrie après la demande de Bachar al-Assad, qui est le seul leader légitime aujourd'hui. Ce sont les Russes qui ont éliminé le groupe Etat islamique. Et puis regardez le conflit entre l'Azerbaïdjan et l'Arménie. Qu'ont fait l'Europe et le Conseil de l'Europe? Toutes ces organisations créées pour arrêter les guerres n'ont rien fait. C'est la Russie qui a arrêté la guerre dans le Haut-Karabakh."
Patrick Chaboudez / Mouna Hussain
La stratégie du désordre
Isabelle Mandraud, journaliste au Monde et ancienne correspondante à Moscou, vient de publier un livre avec Julien Théron sur la politique de Vladimir Poutine, appelé "La stratégie du désordre". Pour elle, la Russie tente de déstabiliser l'ordre international en menant des pressions politiques, ingérences, cyberattaques et éliminations d’opposants.
Cette stratégie aurait eu comme point de bascule l'annexion de la Crimée en 2015, suivi du conflit avec l'Ukraine dans la région du Donbass. Puis le soutien sans faille à Bachar al-Assad en Syrie. "Pour la première fois depuis la guerre d'Afghanistan, la Russie va intervenir militairement loin de ses frontières, avec une préparation impressionnante. Elle soutient un tyran, fait le ménage de façon assez dramatique, mais en même temps elle a profité du vide laissé par les Occidentaux."
Dans sa contestation de l’ordre international, la Russie de Poutine n’est pas isolée. Pour Isabelle Mandraud, Poutine est un "précurseur de cette révolution autoritaire mondiale et plurielle". Il peut compter sur des appuis comme la Chine, à la fois partenaire et rivale.
Quant aux sanctions européennes, la journaliste estime que le président russe joue l'indifférence. "Il y a eu des sanctions qui ont franchement fait du tort à la Russie, la population en a fait les frais, j'ai vu le rouble complètement dégringoler, donc il y a un impact. Mais cela ne suffit pas à faire plier Vladimir Poutine. Son message pour l'Europe, c'est qu'il veut des relations bilatérales avec chaque pays, et non discuter avec l'UE".
Isabelle Mandraud parle d’une politique d’intimidation, en jouant en permanence sur les tensions en tous genres avec un ennemi désigné: l’Occident. Elle écrit même: "La Russie est en guerre."
"Oui, la Russie est en guerre, en tout cas c'est comme ça qu'elle se vit. Elle se voit confrontée à un monde hostile, le monde occidental, et elle entretient cette image d'hostilité. Elle persuade sans arrêt la population par la propagande que le pays est assiégé, que les Occidentaux n'ont qu'une idée, c'est de changer le pouvoir et de se ruer sur les richesses de la Russie. C'est une pression exercée en permanence sur la population."