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Aux Etats-Unis, la menace terroriste ne vient plus seulement de l'extérieur

Les mouvements suprémacistes blancs et néonazis deviennent une menace internationale, selon le chef de l'ONU. [AFP - B.A. VAN SISE]
La lutte contre le terrorisme est une priorité du mandat présidentiel de Joe Biden / Tout un monde / 7 min. / le 23 février 2021
Les Etats-Unis ont émis fin janvier un bulletin d'alerte antiterroriste portant sur une menace interne. Il pointe le risque causé par les extrémistes anti-Biden. Un précédent "stupéfiant", a réagi dans l'émission Tout un monde l'expert en terrorisme Bruce Hofmann.

Assurer la sécurité du pays et prévenir les attaques terroristes sont des priorités essentielles pour tout président à la Maison Blanche. A chaque élection, la question de la sécurité nationale et du terrorisme figure parmi les deux ou trois principales inquiétudes des Américains.

Après les mandats de George W. Bush ou de Barack Obama, marqués par les années post 11 septembre, la publication d'un tout premier bulletin d'alerte au terrorisme intérieur frappe, avec des mouvements extrémistes qui n’hésitent pas à recourir à la violence. La tâche qui attend Joe Biden est donc lourde.

C'est vraiment inédit d'avoir aujourd'hui un avertissement contre des terroristes américains qui cherchent à tuer d’autres Américains!

Bruce Hoffman, professeur à l’Université de Georgetown, à Washington

"Pour moi, c'est absolument stupéfiant qu'on puisse émettre un tel bulletin. Par le passé, on a eu ce genre d’alertes pour des menaces liées à Al Qaida ou au groupe Etat islamique. C'est vraiment inédit d'avoir aujourd'hui un avertissement contre des terroristes américains qui cherchent à tuer d’autres Américains!", s'est étonné le professeur à l’Université de Georgetown Bruce Hofmann. Interrogé mardi dans l'émission Tout un monde de la RTS, il est l’un des principaux experts en terrorisme du Council on Foreign relations, un think tank non partisan qui analyse la politique étrangère américaine.

En grande majorité un problème d'extrême droite

Contrairement aux allégations de Donald Trump, qui place les manifestants de Black Lives Matter sur le même plan que les attaques du Capitole, cette violence émane essentiellement de groupes d’extrême droite.

>> Plus de détails : "Terrorisme" et "émeutes anti-américaines" dénoncés par Donald Trump à Kenosha

"Plus de 93% des manifestations Black Lives Matter qui se sont déroulées aux Etats-Unis entre fin mai et début décembre étaient totalement pacifiques", constate Bruce Hofmann. En revanche, "sur la seule année 2019, pour ce qui concerne la violence à motifs politiques, plus de 90% des auteurs étaient des extrémistes anti-gouvernementaux, des racistes ou des antisémites. Aucune victime n’a été tuée par des activistes ou des extrémistes de gauche. On parle d’une menace totalement différente", estime-t-il. Il s'agit d’une menace d'extrême droite, incarnée en majorité par des mouvements suprémacistes blancs, d’inspiration néonazie.

Une menace pas si récente

Ce phénomène inquiète partout: ainsi, à l’ouverture de la session du Conseil des Droits de l’Homme lundi, le secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres a insisté sur la nécessité d’une action mondiale pour les contrer.

>> Lire à ce sujet : Le secrétaire général de l'ONU veut une action mondiale contre les suprémacistes

Cette menace de l'extrême droite n'est toutefois pas vraiment récente aux Etats-Unis. Pour Bruce Hofmann, les racines du mouvement sont profondes et remontent à la fin des années 70, période durant laquelle les Etats-Unis ont mis fin à leurs engagements au Vietnam. De cette époque remonte une profonde désillusion d'une partie de l'opinion publique à l’égard de leurs gouvernements élus, avec un vrai sentiment anti-migrants. "Ce qui change aujourd'hui, c’est le pouvoir des réseaux sociaux, qui mobilisent, qui radicalisent et qui relient ensemble des gens très différents, qui n’auraient jamais été connectés autrement. C'est ce qui fait que la menace est si importante en ce moment", analyse le spécialiste.

Ce qui change aujourd'hui, c’est le pouvoir des réseaux sociaux, qui mobilisent, radicalisent et relient ensemble des gens très différents, qui n’auraient jamais été connectés autrement

Bruce Hoffman

Pour y faire face, Bruce Hoffman a publié une série de recommandations pour l'administration Biden. Le problème est que ces groupes sont souvent diffus et sans organisation propre ni véritable leadership. Il est difficile de recomposer leur organigramme, d’anticiper leurs actions ou de bloquer les sources de leur financement.

Mais il y a une méthode indirecte pour les contrer: utiliser les listes noires qui catégorisent les organisations comme terroristes et y placer des groupes d'extrême droite étrangers, eux-mêmes liés aux mouvances américaines. Ainsi, le Mouvement impérial russe a été placé sur ces listes. Des membres de ce groupe ont entraîné des suprémacistes blancs américains et ont participé à un rassemblement de l'extrême droite en 2017 en Virginie.

Groupes nourris de complotisme

Problème supplémentaire, l'idéologie de ces groupes se nourrit souvent du complotisme. "Ces théories conspirationnistes soutiennent la majorité des groupes les plus violents et justifient leurs actes. Elles renforcent leurs croyances", remarque l'expert en terrorisme. "Je pense que ces théories doivent être réellement contrées et combattues et non simplement rejetées ou considérées comme folles. Il faut faire des efforts dans l’éducation, et que le gouvernement mette en place une contre-propagande qui éclaire et qui montre aux gens les effets corrosifs de ces théories sur la société", plaide Bruce Hoffman.

A ses yeux, 2021 a tout pour rappeler des signes qui existaient déjà dans le passé. Cette année, les 20 ans des attentats islamistes du 11 septembre seront commémorés, mais aussi les 10 ans du massacre de l’île d’Utoya en Norvège, une attaque perpétrée par Anders Breivik, un terroriste d’extrême droite.

>> Ecouter aussi l'interview du chercheur en psychologie Pascal Wagner-Egger, qui analyse la mouvance complotiste QAnon dans Tout un monde le 12 janvier dernier :

Un Q pour Qanon pendant un meeting de Donald Trump, le 2 août 2018. [Keystone - AP Photo/Matt Rourke]Keystone - AP Photo/Matt Rourke
La mouvance complotiste QAnon : interview du chercheur en psychologie Pascal Wagner-Egger / Tout un monde / 11 min. / le 12 janvier 2021

Sujet radio: Cédric Guigon
Adaptation web: Vincent Cherpillod

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La menace étrangère n'a pas disparu

Si les Etats-Unis se focalisent beaucoup sur les risques de terrorisme intérieur, ils ne peuvent pas relâcher leur vigilance sur les menaces de l'extérieur, notamment celle des groupes djihadistes.

"La guerre contre le terrorisme est loin d’être terminée. On voit que même si le groupe Etat islamique est affaibli, il a étendu son réseau au Cameroun, au Tchad, au Sri Lanka, au Mozambique de façon dangereuse", estime le professeur Bruce Hofmann, qui souligne que Daech n’a pas été complètement anéanti même si son califat a été détruit. "Et dans le même temps, le réseau Al Qaida s’est tranquillement reconstruit et a renforcé ses liens avec les talibans et d’autres organisations affiliées en Afrique, dans la péninsule arabique ou en Asie du Sud", prévient-il.

Dès lors, faut-il retirer des troupes sur le terrain comme l’a initié Donald Trump, ou au contraire maintenir les contingents? "On a ce problème, aux Etats-Unis, de passer d’un extrême à l’autre. Il est évident que déployer 130'000 ou 150'000 soldats à l’étranger pour occuper un pays n’est pas une bonne stratégie. Mais aucun soldat, je pense, n’est pas non plus la bonne réponse", estime le spécialiste.