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Le port du niqab en France, une démarche "très moderne"

Bilan de 10 ans d'interdiction de la burqa en France (vidéo)
Bilan de 10 ans d'interdiction de la burqa en France (vidéo) / La Matinale / 4 min. / le 26 février 2021
Les Suisses votent le 7 mars sur l’interdiction de se dissimuler le visage, mais en France une loi contre le voile intégral (niqab et burqa) est en vigueur depuis dix ans. Pour la sociologue Agnès De Feo, les musulmanes qui le portent utilisent cet ancien symbole de piété pour des fins nouvelles.

La sociologue Agnès De Feo suit depuis des années les femmes qui portent le niqab (qui ne laisse voir que les yeux alors que la burqa dissimule tout) dans l’Hexagone. Elle en a rencontré près de 200, pour comprendre pourquoi elles le portaient et quels étaient les effets de la loi sur elles.

Elle a tiré de ces entretiens un livre et huit documentaires dont le premier, baptisé "Niqab hors-la-loi", a été tourné juste après l’entrée en vigueur du texte.

Une parole islamophobe libérée

Les témoignages de ces musulmanes montrent chez elles un sentiment de rejet de la part de la société. Certaines ne cachent pas leur colère face à des agressions physiques et une parole islamophobe qui semble s'être libérée, comme si la loi l'autorisait désormais.

Pour celles qui portaient déjà le niqab, cette interdiction a alimenté un sentiment d’exclusion. Pour d’autres, qui ne le portaient pas auparavant, il est devenu un symbole de révolte. Il est passé d’épiphénomène à vêtement contestataire.

"Ces femmes ne sont pas des victimes"

Et selon Agnès De Feo, interrogée vendredi dans La Matinale, ces femmes sont loin d’être des victimes ou - à l’inverse - des fanatiques. Elles portent le niqab de façon volontaire, la plupart sont célibataires et certaines se perçoivent même comme féministes.

C'est pour elles un symbole de piété, qui est aussi une façon de se distinguer, de s’héroïser, de se mettre en opposition dans des familles musulmanes non pratiquantes ou encore de se rendre inaccessibles aux regards des hommes.

Etendard plus complexe que les stéréotypes

Il s'agit donc d'un étendard bien plus complexe que les stéréotypes qui lui sont associés, explique la sociologue. "Ce niqab, selon mes recherches, est une manifestation de jeunes femmes nées en France. La moitié sont des converties à l'islam, donc qui n'ont aucune tradition religieuse derrière. Et celles qui sont d'origine musulmane n'ont pas reçu non plus d'éducation islamique".

Pour Agnès De Feo, le niqab est la manifestation d'une certaine jeunesse utilisant ce symbole parce qu'il est subversif. Mais c'est sans aucun rapport avec ce qu'il peut représenter dans les pays musulmans où il est la tradition. "Ici, on a l'utilisation d'un ancien symbole de piété pour des fins nouvelles, modernes. En fait, c'est très moderne, leur démarche".

Des vêtements désormais marginaux

Quoi qu'il en soit, les niqabs semblent être redevenus plutôt marginaux aujourd'hui en France. C'est notamment dû à l'effet dissuasif des amendes ou à la vague contestataire qui est retombée. Mais c'est aussi la conséquence des images de femmes de Daesh en niqab prisonnières dans les camps de Syrie ou des attentats en France. Ce vêtement est devenu plus compliqué à arborer et peut-être moins désirable aussi. Le débat, lui, ne s’est pas arrêté: il se poursuit encore et toujours autour du port du voile.

Ariane Hasler/oang

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