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Svetlana Tikhanovskaïa: "Alexandre Loukachenko n’est pas légitime aux yeux des Biélorusses"

Exilée à Vilnius, en Lituanie, la figure de proue de l’opposition biélorusse, Svetlana Tikhanovskaïa, a accordé une interview à l'émission Forum de la RTS. Elle sera la semaine prochaine en Suisse pour faire entendre la voix de l’opposition biélorusse, violemment réprimée par le président Alexandre Loukachenko.

Le 7 mars, Svetlana Tikhanovskaïa viendra en Suisse à l’invitation du Festival du film et forum international sur les droits humains de Genève. Elle souhaite rencontrer des parlementaires suisses, des membres d’organisations internationales et de la diaspora biélorusse. Elle espère également pouvoir s'entretenir avec l’Union européenne de radio-télévision pour demander que la télévision d’Etat biélorusse, contrôlée par le pouvoir, soit exclue de leur liste de membres.

>> Relire : Le président biélorusse Loukachenko promet une réforme constitutionnelle

RTSinfo: Qu’attendez-vous de la Suisse?

Svetlana Tikhanovskaïa: La Suisse n’est pas restée à l’écart. Tout comme l’UE, elle a imposé des sanctions, elle n’a pas reconnu la légitimité d’Alexandre Loukachenko. Nous tâcherons d’organiser des rencontres, c'est en discussion, pour que la Suisse puisse être davantage impliquée. Il va de soi que la résolution de la crise politique incombe en premier lieu aux Biélorusses eux-mêmes. C’est notre affaire et nous ne voudrions pas que d’autres pays s’impliquent dans la crise politique. Ce dont il faut parler, ce qu’il faut dénoncer, c’est la crise humanitaire en Biélorussie, la violation des droits humains, la violence.

Vous souhaitez également agir pour libérer la binationale suisse et biélorusse Natallia Hersche, qui a été condamnée à deux ans et demi de prison à Minsk pour avoir ôté le masque d’un policier…

Nous espérons pouvoir rencontrer la famille de Natallia, ici, en Suisse. Nous avons déjà échangé à distance. La Suisse, elle, doit défendre ses propres citoyens et doit être plus impliquée au minimum dans cette affaire. L’ambassadeur suisse à Minsk, lui, a rencontré Natallia. Il a été présent lors des audiences. C’est vraiment un exemple de comment doit se comporter un ambassadeur. Que devrait faire la Suisse pour obtenir sa libération? C’est difficile à dire. Je pense qu’elle devrait mener des pourparlers avec notre gouvernement. Mais je ne crois pas que Natallia veuille être utilisée comme une monnaie d’échange. 

L’espoir du changement est-il toujours présent en Biélorussie?

Je ne parlerais pas d’espoir, mais de certitude. La certitude que tout finira par changer, car ce n’est plus possible autrement. La façon de penser des gens a changé. Ils ont vu toute cette violence contre eux, ils ne l’oublieront pas. Ils ne pardonneront pas. Alexandre Loukachenko n’est pas légitime aux yeux des Biélorusses. Il n’est plus personne, c’est une question de temps. La patience des Biélorusses est terminée. Malgré la répression des manifestations dans la violence, la lutte continue. Les gens inventent sans cesse de nouveaux modes de protestation et étant donné que nos manifestations sont pacifiques, cela demande de la créativité.

La patience des Biélorusses est terminée. Malgré la répression des manifestations dans la violence, la lutte continue

Svetlana Tikhanovskaïa

Les températures glaciales, les outils de répression utilisés par le régime ont freiné la contestation…

Bien sûr, l’hiver, cela a eu un impact, et le découragement après ces arrestations massives, ces passages à tabac. Les gens ont eu besoin d’un répit. Mais progressivement, je pense que les gens vont retrouver la force de sortir manifester dans la rue, car ils sont conscients que s’ils sont moins nombreux lors des manifestations, le danger est plus grand. Par ailleurs, certains ne sortent pas dans la rue, mais accrochent le ruban de la contestation pour montrer que la lutte continue, écrivent une plainte au comité d’enquête ou viennent soutenir les prisonniers politiques lors des audiences. Finalement, ce sont des milliers de pressions de tous les côtés contre le régime.

Quel rôle la communauté internationale doit-elle jouer?

A la suite de ces élections, en août, de nombreux pays ont déclaré que ce scrutin avait été falsifié et qu’ils n’ont plus reconnu Alexandre Loukachenko comme président légitime. C’était un grand soutien pour les Biélorusses. Nous avons compris que nous n’étions plus seuls, que la moitié du monde était avec nous. Puis les sanctions qui ont suivi, le fait qu’on a cessé d’accorder des crédits, tout cela c’est une pression psychologique et économique contre Alexandre Loukachenko et ses acolytes. (>> Relire également: Le président biélorusse Loukachenko placé sur la liste noire de l'UE) Par ailleurs, le principe de justice universelle a commencé à être utilisé avec des enquêtes en Lituanie, en Pologne ou en République Tchèque contre ceux qu’on soupçonne d’avoir donné l’ordre des violences en Biélorussie ou qui ont exécuté ces ordres. Cela montre que l’arbitraire et l’absence de justice ne peuvent pas régner éternellement, qu’on peut y mettre fin.

Cela suffit-il­?

Il faut élargir les sanctions. La liste actuelle est très courte. Elle contient à peine cent personnes. C’est très très peu. Il faudrait inclure, ne serait que pour l’exemple, un certain nombre de juges ou de policiers locaux, et pas uniquement l’entourage proche du président, mais au contraire viser des personnes de rangs inférieurs. Car l’entourage proche a déjà été sanctionné cent fois et il sait comment s’opposer à ces sanctions ou les contourner.

Etes-vous déçue de l’attitude de la Russie ?

Nous n’avons pas eu de contacts officiels avec les autorités russes, ce que nous regrettons, car la Russie est notre pays voisin, et nous voulions leur dire que le changement de président chez nous, l’organisation de nouvelles élections n’auraient pas d’impact sur nos relations. Ils ne peuvent pas nous ignorer, nous ne pouvons pas les ignorer. Nous voyons que même pour le Kremlin, ce n’est pas confortable de soutenir une personne comme Loukachenko. Mais d’un autre côté, nous savons que nous ne pouvons compter que sur nous-mêmes.

Propos recueillis par Isabelle Cornaz

Adaptation web: Valentin Jordil

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