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"Le coût de la virilité", près de 100 milliards d'euros par an en France

Couverture du livre "Le coût de la virilité, ce que la France économiserait si les hommes se comportaient comme les femmes", de Lucile Peytavin [RTS - AFP et Capture d'écran]
Le coût de la virilité / Tout un monde / 10 min. / le 9 mars 2021
Dans son essai "Le coût de la virilité", Lucile Peytavin calcule le prix des crimes commis majoritairement par les hommes, qui équivaudrait à près de 100 milliards d'euros par an en France. Comme solution, l'autrice prône une déconstruction des valeurs viriles enseignées aux garçons.

"En France, les hommes sont responsables de l'écrasante majorité des comportements asociaux." Ce postulat de départ de l'essai de l'historienne Lucile Peytavin s'appuie sur les statistiques officielles de l'Hexagone: des hommes y commettent 86% des meurtres, la quasi-totalité des viols (99%), presque tous les incendies criminels (99 %), des vols avec arme (95%), ainsi qu'une grande part des accidents mortels sur la route (84%). En prison, 96,3% de la population carcérale est masculine.

Contrairement à l'âge ou au milieu social, le prisme du genre chez les criminels est peu mis en avant. Deux mécanismes expliquent cette invisibilité, selon l'autrice. "D'abord, on pense souvent que les hommes sont violents parce que cela fait partie de leur nature, ils sont comme ça et donc on ne peut rien y faire", explique-t-elle mardi dans l'émission Tout un Monde.

"Ensuite, la norme est masculine. Dans notre langue par exemple, le mot "homme" désigne à la fois le sexe et l'espèce. Les comportements des hommes sont donc la norme. La violence des femmes, elle, est perçue comme contre-nature dans nos schémas culturels. On la scrute davantage alors que celle des hommes, beaucoup plus étendue, est presque invisibilisée."

>> Voir les statistiques présentées dans le livre du pourcentage d'hommes mis en cause par catégorie d'infractions : Statistiques données dans le livre "Le coût de la virilité" de Lucile Peytavin, 2021 [Scan]
Statistiques données dans le livre "Le coût de la virilité" de Lucile Peytavin, 2021 [Scan]

Près de 100 milliards d'euros de coûts

Tous ces crimes ont un coût pour la société, que l'historienne a décidé de calculer dans son livre paru récemment ("Le coût de la virilité, ce que la France économiserait si les hommes se comportaient comme les femmes").

"Ce que j'appelle le coût de la virilité, c'est celui supporté chaque année par l'État et la société pour faire face à ces comportements asociaux. Ils sont de deux natures. Il y a d'abord le coût direct, supporté par l'État, comme les frais de justice, de forces de l'ordre, de services de santé."

"Mais il y a également le coût indirect qui est, lui, supporté par la société. Il est lié aux souffrances physiques et psychologiques des victimes, que l'on peut estimer financièrement avec les pertes de productivité des victimes et des auteurs, aux destructions de biens, etc. En additionnant ces coûts, j'arrive à près de 100 milliards d'euros par an, ce qui est tout à fait colossal puisque cela correspond à peu près au déficit annuel du budget général de la France."

>> Voir les chiffres détaillés dans le livre "Le coût de la virilité" : Dépenses de l'Etat et de la société française par année, en milliards d'euros, estimés dans l'essai "Le coût de la virilité" de Lucile Peytavin. [Scan]
Dépenses de l'Etat et de la société française par année, en milliards d'euros, estimés dans l'essai "Le coût de la virilité" de Lucile Peytavin. [Scan]

Ce constat ne concernerait pas que la France. Les statistiques de l'OCDE laissent voir des chiffres allant dans le même sens, élargit l'ouvrage. Lucile Peytavin pense qu'il est également possible de transposer son raisonnement à la géopolitique mondiale.

"On peut tout à fait penser que sans une conception virile des relations internationales qui sont régies bien souvent par une volonté de domination, d'asservissement, il y aurait moins de guerres. Et quand on sait que les guerres coûtent environ 14'000 milliards de dollars par an, il serait intéressant d'analyser ces questions-là à l'aune de la virilité."

Lucile Peytavin tient à préciser de quel type de virilité elle parle dans son essai. "Il y a une différence entre la virilité qui repose sur des valeurs de force, qui servent à dominer, à écraser et celle prônant la volonté, l'ambition ou le dépassement de soi, qui sont tout à fait autre chose et qui permettent des progrès dans nos sociétés."

Des valeurs de virilité à déconstruire

Pour l'autrice, la virilité n'est ainsi pas innée, mais acquise. "C'est très important de le dire, je ne vise pas les hommes avec ce livre, mais les valeurs viriles. Les hommes ne sont pas violents par nature. La science a largement démontré que rien ne les prédétermine à se comporter ainsi, ni le cerveau ni la testostérone."

"Celle-ci est souvent pointée du doigt, mais les dernières études montrent que, chez un même individu, un taux élevé de testostérone pouvait aussi bien engendrer des comportements altruistes que pacifiques. Les hommes ne sont pas violents par nature, c'est l'éducation à la virilité qui les pousse à se comporter ainsi."

L'histoire permet également de déconstruire l'idée que la virilité a toujours été présente. "Aujourd'hui, on sait que, dans la paléo-histoire, ou ce qu'on appelle le temps des cavernes, les sociétés étaient relativement égalitaires. Contrairement à ce que l'on croit, les femmes aussi chassaient, elles ne passaient pas leur temps à s'occuper des petits."

"C'est véritablement au néolithique, avec la sédentarisation des populations et l'avènement de l'agriculture, qu'il y a une division des rôles entre hommes et femmes, une hiérarchie du masculin sur le féminin qui s'est creusée en même temps que les inégalités sociales. À ce moment-là, la virilité s'incarne dans l'utilisation des armes en métal par les hommes. Cela prouve finalement que la virilité est une construction culturelle."

Élever les garçons comme les filles

Pour baisser les coûts de la criminalité, Lucile Peytavin invite à réfléchir sur l'éducation des garçons. Elle relève que la moitié de la population, à savoir les femmes, "ont des comportements beaucoup plus pacifiques, plus en adéquation avec les sociétés de droit dans lesquelles nous vivons. Elles sont peu ou pas éduquées avec ses valeurs viriles."

"Ainsi, si on permettait aux garçons d'être éduqués à travers ces valeurs qu'on inculque aux filles, en leur permettant par exemple de jouer avec des poupons pour qu'ils apprennent à s'occuper d'autrui, en développant chez eux davantage leurs sentiments pour qu'il deviennent empathiques, en les contraignant suffisamment pour qu'ils apprennent à respecter des règles, tout ce que font les femmes finalement on économiserait ce coût humain et financier qui est colossal."

Or, il existe une résistance autour de la virilité parce que ce qui est perçu comme féminin est souvent dévalorisé. "Il est par exemple toujours quasiment impossible de mettre un t-shirt rose à un petit garçon. Cela peut paraître anecdotique, ce n'est qu'un t-shirt, mais finalement c'est révélateur de la résistance qu'il y a autour de ces questions de virilité et en même temps de la dévalorisation de tout ce qui est dit féminin. Donc, l'un ne va en fait pas sans l'autre."

Eric Guevara-Frey / Mouna Hussain

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