Yuri Ambrazevitch a tenu à répondre aux questions de la RTS en français pour expliquer la position du régime. Pour rappel, le président de la Biélorussie Alexandre Loukachenko a revendiqué la victoire à la présidentielle en août dernier, malgré les accusations de fraudes massives.
Une partie de la population est ensuite descendue dans la rue, mais elle a été jusqu'à aujourd’hui violemment réprimée, de manière "systématique", affirmait il y a quelques jours la haute-commissaire aux droits de l’homme de l’ONU Michelle Bachelet.
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RTSinfo: Le Conseil des droits de l’homme de l’ONU dénonce une répression systématique en Biélorussie, des arrestations arbitraires massives et de la torture impliquant les forces de l’ordre. Que répondez-vous à ces accusations?
Youri Ambrazevitch: Dans le rapport du Haut-commissariat aux droits de l’homme, il manque de nombreux éléments essentiels pour comprendre les événements qui ont lieu en Biélorussie. Difficile de les énumérer brièvement. Mais d’abord, on doit se demander: est-ce que les manifestants ont vraiment eu raison de contester les résultats officiels de l’élection présidentielle? Quand on regarde le nombre maximum de manifestants revendiqués par les concurrents d'Alexandre Loukachenko eux-mêmes, il s’agit de 300'000 ou 400'000 personnes tout au plus. Ce qui équivaut largement au nombre d’électeurs qui n’ont pas voté pour le président sortant. Les personnes descendues dans la rue sont très minoritaires.
Comment justifiez-vous la violence de la répression?
On accuse le pouvoir et le gouvernement biélorusse de violences policières excessives, ainsi que d'abus de la part des forces de l’ordre, mais toutes les allégations de viols et de disparitions forcées attribuées aux policiers sont restées sans déclaration écrite, sans la moindre preuve. Elles n’ont eu qu’un seul objectif: discréditer la police et le gouvernement, ainsi qu'appeler à la colère des manifestants. Il n’y a pas de prisonniers politiques en Biélorussie. Par contre, 2500 dossiers ont été ouverts pour poursuivre des crimes côté manifestants, des attaques contre les policiers, du vandalisme, du hooliganisme, ou encore du harcèlement des agents de l'Etat et des membres de leur famille par des partisans de l’opposition.
Il n’y a pas de preuves permettant de qualifier l’usage de la force policière comme excessif et abusif
Pourquoi aucune enquête pénale n’a été ouverte concernant les violences policières, alors même que l’Etat reconnaît que plus de 900 plaintes ont été déposées?
Il y a même eu plus de 900 plaintes déposées. Ces plaintes pour violence de la part des forces de l’ordre, durant les affrontements et dans les centres de détention, sont en train d’être vérifiées. Mais d’après le Comité d’enquête et le Ministère de l’intérieur, les plaintes déjà vérifiées n’ont pas donné raison aux plaignants. Il n’y a donc pas de preuves permettant de qualifier l’usage de la force policière comme excessif et abusif.
Si le pouvoir prétend qu’il n’y a pas eu de fraudes massives, pourquoi est-ce qu’il refuse de recompter les voix en présence d’observateurs indépendants? Même l’OSCE n’a pas été invitée à suivre ces élections... Et l’écrasante majorité des journalistes étrangers n’ont pas été accrédités pour le scrutin.
On fait les élections en Biélorussie pour les électeurs biélorusses, pas pour plaire à l’extérieur. Nous avons invité la mission d’observation de l’OSCE, ce sont eux qui n’ont pas mis en place les dispositifs pour venir, peut-être en raison du Covid-19. Ils ont été invités le jour-même où ils ont refusé de venir (l’OSCE affirme au contraire que les autorités biélorusses n’ont pas envoyé d’invitation à temps, n.d.l.r.). En revanche, la mission d’observation de la Communauté des Etats indépendants, regroupant des ex-républiques soviétiques, elle, est venue. Ils ont rendu leurs conclusions.
Tous les principaux leaders de l’opposition ont été soit emprisonnés, soit forcés à l’exil. Cette attitude du pouvoir peut-elle permettre un quelconque dialogue?
Le pouvoir a déjà clairement indiqué une voie possible pour parvenir à des changements. En permettant, notamment, aux citoyens d’exprimer leur opinion sur une modification de la Constitution et sur la modernisation du système politique. Le président l’a annoncé: dans un an, nous aurons une nouvelle Constitution. Je ne peux pas prédire pour l’instant quels seront les changements, mais cela concernera peut-être le rapport de force entre les différents organismes de l’Etat et le rôle des partis politiques. Tout cela, c’est une voie de sortie de crise.
Quel rôle doivent jouer les pays occidentaux et l’Union européenne?
J’espère qu’un jour ou l’autre, nous reviendrons à une période de normalisation des relations avec nos voisins d’Europe occidentale et avec l'Union européenne dans son ensemble. Malheureusement, l’attitude de l’Union européenne n’est aujourd’hui pas du tout convaincante. Prendre des sanctions, cela a un impact sur la mentalité et sur l’attitude de nos concitoyens envers l'Union européenne. J’ai travaillé presque huit ans à Bruxelles. Je sais donc que la meilleure façon de promouvoir les valeurs que vous êtes en train de défendre par des sanctions ou des mesures restrictives, c’est d’entamer, d’engager des projets communs. C’est la meilleure façon d’agir, toujours.
Regardez bien ce que représente Svetlana Tikhanovskaïa. Regardez sur internet le nombre d’abonnées qui la suivent sur les réseaux sociaux. Ça n'excède jamais 100'000 personnes. Tout est dit.
Quand des témoignages évoquent la torture commise par les forces de l’ordre et que l'on voit de simples citoyens qui sont arrêtés quand ils sortent de chez eux et emmenés dans des fourgons policiers, qui n’ont même pas d’insignes, il est difficile d’imaginer des projets communs...
La vie est toujours plus compliquée que les images à la télévision. Si on regarde bien, on voit que les manifestations en Biélorussie ont eu, dès le mois d’août, une double nature. Ces manifestations se sont transformées en émeutes, et il y a eu des forces intéressées à créer ces émeutes. Ces protestations étaient préparées et coordonnées par plusieurs groupes et chaînes d’information sur les réseaux sociaux. Il y a donc eu cet aspect dans les manifestations, que nous qualifions en Biélorussie de tentative de coup d’Etat.
Est-ce que le pouvoir biélorusse a l’intention d’entamer un dialogue avec les leaders de l’opposition comme Svetlana Tikhanovskaïa ou le conseil de coordination de l’opposition?
Regardez bien ce que représente Svetlana Tikhanovskaïa. Regardez sur internet le nombre d’abonnés qui la suivent sur les réseaux sociaux. Ça n'excède jamais 100'000 personnes. Tout est dit.
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Propos recueillis par Isabelle Cornaz
Adaptation web: Valentin Jordil