La pandémie de SARS-CoV-2 change la criminalité: un business illégal d'un nouveau genre apparaît avec l'essor de faux vaccins. Les premières saisies du genre sont récentes pour Interpol, l'organisme international de coopération policière.
Jürgen Stock, secrétaire général de l'organisation, participait jeudi aux Swiss Cyber Security Days; il possède plus de quarante ans d'expérience dans le domaine de la police. Pour lui, l'opération de la semaine passée n'est "que la partie émergée de l'iceberg".
Dans l'émission Tout un monde, il souligne que la situation est très dynamique: "Des groupes de cybercriminels actifs dans le crime organisé essayent de tirer profit de la pandémie mondiale en exploitant sans vergogne l'insécurité, la vulnérabilité, les besoins qui existent à cause de la situation sanitaire".
Interpol a averti la communauté internationale en décembre déjà du risque de commerce illégal de vaccins contrefaits, dès que leur distribution commencerait: "C'est exactement ce à quoi nous sommes confrontés actuellement!", souligne-t-il. "Des vaccins commencent à être falsifiés, distribués mondialement – en passant d'ailleurs en partie par des circuits de distribution légaux – et à être proposés sur le marché. Ce sont particulièrement les marchés des pays dont le système de santé est sous-développé qui sont susceptibles d'être touchés par ce commerce illégal".
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Puisqu'il s'agit de criminalité globale, l'organisme essaie de rassembler les pays concernés et lance les demandes de renseignements appropriées. Le but est "d'empêcher non seulement la distribution des vaccins falsifiés, mais aussi d'arrêter ces coupables qui font du profit sur la misère des gens", explique Jürgen Stock.
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Le problème semble pour l'heure encore contrôlable. L'affaire majeure de ces vaccins falsifiés produits en Chine et distribués en Afrique du Sud met toutefois en lumière l'ampleur internationale du phénomène.
Parmi les 194 Etats membres d'Interpol, certains ont rapporté l'existence de production locale de faux produits: "Dans la mesure où les sérums seront distribués de façon décentralisée, la criminalité va augmenter. Les gouvernements doivent réfléchir à la sécurisation des canaux de distribution et intégrer cette dimension dans leur politique nationale de distribution", remarque l'expert: "Il est important de ne pas chercher uniquement à vacciner rapidement la population; il faut aussi garder en tête la sécurité globale pour que ces groupes criminels puissent être stoppés" (lire encadré).
Du vol classique à la cybercriminalité de haut niveau
Des risques pèsent sur l'ensemble des filières des vrais vaccins, toute la chaîne étant concernée. Interpol travaille en étroite collaboration avec l'OMS et les groupes pharmaceutique, afin de permettre aux entreprises et aux gouvernements concernés de surveiller l'acheminement des sérums. Il s'agit ensuite d'identifier les points faibles de la chaîne de livraison et de trouver des solutions pour y remédier.
Selon le secrétaire général d'Interpol, la palette des effractions est grande: "Cela va de la criminalité classique – vol de vaccins, attaques d'entrepôts – à la fabrique de contrefaçons vendues en partie sur le Dark Web dans ce qu'on appelle l'économie underground"."
Gouvernements, secteur privé, laboratoires sont potentiellement des endroits sensibles et "la vulnérabilité est accentuée par l'urgence de la situation", remarque Jürgen Stock. Les criminels envoient notamment des demandes de rançon: "Nous avons eu des cas terribles d'hôpitaux et de laboratoires universitaires complètement paralysés suite à des cyberattaques. Leurs données piratées n'ont pu être débloquées qu'en échange de sommes astronomiques à payer en cryptomonnaie, en Bitcoins".
Tout un spectre de criminalité
Avec la pandémie, c'est tout un spectre de malfrats qui sévit: "Des organisations mafieuses classiques proposent par exemple à des entreprises locales en difficultés économiques des prêts à des taux d'intérêt exorbitants, créant ainsi des dépendances. L'investissement de profits illégaux dans les circuits de l'économie légale représentent des dangers énormes pour nos économies nationales".
Dans le secteur cybernétique surgit une spécialisation croissante: "Les criminels n'appartiennent pas à des mafias au sens traditionnel du terme, mais peuvent être liés par une origine commune ou par des liens de parenté".
Certains malfaiteurs se réunissent sur des forums: "Ils communiquent sur Internet pour un projet particulier en fonction de leur expertise dans l'attaque de certaines cibles; ils apportent leur savoir-faire et, ensuite, ils se dispersent ou se réorganisent avec d'autres". Un défi pour la police, qui se retrouve devant des structures très flexibles, hautement spécialisées, qui utilisent toutes les possibilités d'anonymisation permises par le net.
Les polices doivent adapter leur réponse
Traditionnellement, les polices sont organisées sur le plan national, alors que la cybercriminalité, elle, n'est presque jamais nationale, ni même régionale: elle est transnationale. "Les auteurs se trouvent sur un continent, les serveurs informatiques sur un autre et les victimes peuvent être éparpillées dans le monde entier", précise le secrétaire général d'Interpol. Face à ce constat, toute enquête doit être organisée et coordonnée au niveau international: "C'est le seul moyen pour découvrir et démanteler les structures du crime organisé et arrêter ses auteurs".
Ensuite, il faut considérer le contexte des divers systèmes juridiques des Etats impliqués et la façon dont leurs polices sont formées et équipées: "Interpol investit dans la formation et l'entraînement. Il faut également fournir des outils d'enquête appropriés à des États qui n'en disposent pas encore mais qui ont un rôle utile à jouer, par exemple pour une situation de menace en Suisse, en Europe ou ailleurs", conclut-il.
Interview radio: Eric Guevara-Frey
Adaptation web: Stéphanie Jaquet
La cybersécurité concerne tout le monde
Dans de nombreuses régions du monde, le confinement a fait baisser la criminalité de rue. En revanche, Jürgen Stock note qu'à l'inverse, la violence domestique a augmenté, "tout comme celle à l'égard des enfants – y compris la violence sexuelle directe ou indirecte via Internet – parce que les enfants ont passé plus de temps sur les réseaux". Il avertit: "Cette nouvelle augmentation significative de la cybercriminalité se poursuivra sans aucun doute dans les années à venir".
La question de la cybersécurité est à prendre au sérieux: "Aussi bien dans nos relations privées, avec tous nos téléphones portables et nos ordinateurs, qu'au travail. Le télétravail offre des vulnérabilités supplémentaires aux criminels. Il faut donc que le monde des affaires, lui aussi, collabore plus étroitement avec la police et mette l'accent sur la cybersécurité".
Pour lui, ce n'est qu'une question de temps avant que chaque entreprise ne soit attaquée: "Une compréhension globale de la cybersécurité et des contre-mesures disponibles, ainsi qu'une bonne coopération avec les autorités chargées de faire respecter la loi, doivent faire partie de toute stratégie nationale de sécurité informatique".