Pendant sa brève existence, la Commune de Paris, cette "république démocratique et sociale", a pris des mesures novatrices, comme l’école gratuite, obligatoire et laïque, la séparation de l’Eglise et de l’Etat, et l'ouverture des écoles professionnelles aux filles.
A ce moment-là, la France vient de perdre la guerre contre la Prusse. Paris a subi un siège qui l’a plongée dans la misère. Ses citoyens ont monté une garde nationale, équipée de canons pour combattre les Prussiens.
Mais, le 18 mars, le gouvernement provisoire, dirigé par Adolphe Thiers, veut saisir les canons. C’est l’étincelle. Paris se révolte. Thiers ordonne le départ des troupes et des fonctionnaires de Paris et s'enfuit à Versailles.
Instauration de la Commune
Des élections sont organisées dans la capitale, remportées par différents mouvements de gauche. La Commune est instaurée. Elle légifère et adopte des lois sociales d’avant-garde. C’est une forme de laboratoire social sans précédent, estime Laure Godineau, Maîtresse de conférences en histoire contemporaine à l'Université Paris-Nord, qui vient de publier "La Commune de 1871 expliquée en images" aux éditions du Seuil:
"La Commune prend un certain nombre de mesures extrêmement profondes, qui ont pour but de rompre avec le vieux monde. C'est une révolution de l'égalité sociale. Parmi ces mesures, les ateliers abandonnés par ceux qui ont quitté Paris après le 18 mars sont confiés à des sociétés ouvrières de production. Cela permettrait de se débarrasser de ce que de nombreuses personnes au 19e siècle considèrent comme des parasites, à savoir les patrons."
Michèle Audin, mathématicienne et écrivaine, a publié plusieurs ouvrages et tient un blog sur la Commune. Pour elle, le plus intéressant a été l'essai de réformes sociales.
"On décide par exemple d'interdire le travail de nuit des ouvriers boulangers. Ce n'est pas une négociation entre ouvriers et patrons, mais un organisme qui n’est pas vraiment l'État mais presque, qui intervient dans une question sociale. Cela reflète une revendication importante de ces ouvriers qui, s’ils travaillent la nuit, n’ont pas de vie sociale et ne peuvent pas rencontrer d'autres gens, d'autres travailleurs, ils ne peuvent pas lire, ils ne peuvent pas s'instruire et c'était une demande qui était vraiment importante à l'époque."
L'animosité des Versaillais
Des maires des arrondissements parisiens font la navette entre Versailles et Paris pour trouver une issue au conflit ; les Parisiens veulent y croire, en vain. Car, vu de Versailles, où se sont réfugiés le gouvernement d'Adolphe Thiers et l'assemblée à majorité conservatrice, la Commune est considérée comme l'ennemie. Elle inspire la haine et la crainte, explique Laure Godineau.
"La Commune est considérée comme illégitime, donc il y a la crainte de la destruction de Paris, capitale du 19e siècle. Mais cela va beaucoup plus loin. Les anti-communards estiment que c'est une destruction des bases politiques, sociales et de la civilisation. Ils accusent même la Commune de détruire la famille et le système patriarcal. D'où les accusations contre les femmes communardes." Parmi ces femmes, Louise Michel, grande figure du féminisme.
La Commune symbolique aussi une prise de parole et d’autonomie d’une classe ouvrière, ce qui est menaçant et inacceptable aux yeux de la bourgeoisie et des dirigeants de l’époque, raconte Michèle Audin.
"Ces gens misérables qui ne savent même pas lire et qui prennent la parole, qui expriment des revendications modernes, c'est vraiment une révolution. La bourgeoisie a extrêmement peur de ces personnes parce qu'elles remettent en cause sa propriété et l’organisation du travail. Les classes populaires sont considérées comme dangereuses à l'époque, donc il y a eu une haine et une peur terrible. La bourgeoisie parisienne a eu bien davantage peur de la Commune qu'elle n'avait eu peur de la guerre avec la Prusse et le siège de Paris quelques mois auparavant."
Cette peur déclenche alors une réaction violente, d’abord verbale. L’historien Henri Guillemin en donne des exemples frappants dans son récit des événements qu’il a fait sur la RTS en 1971 pour le centenaire de la Commune: "Albert Sorel, futur académicien et historien, a dit: "il n'y a qu'une solution, le canon avec ces gens-là. Pas d'autre trait-d’union que les obus." Ces propos montrent l'état d'esprit des gens convenables."
Des milliers de morts lors de la "semaine sanglante"
Cet état d’esprit va rapidement pousser les Versaillais à lancer l’armée contre Paris. Le 8 mai, Thiers adresse un ultimatum. Le 21 mai, les troupes entrent dans Paris, hérissée de barricades. C'est le début de ce que l'on nomme la "Semaine sanglante", ses combats de rue déséquilibrés et ses exécutions sommaires. Des édifices emblématiques de Paris, comme l'Hôtel de Ville et les Tuileries sont incendiés par les Communards. Le 24, certains exécutent six otages, dont l'archevêque de Paris. Le 26, la foule massacre 11 religieux, 35 gendarmes et quatre mouchards.
Les troupes versaillaises de leur côté ne font pas de quartier. "C'est extrêmement brutal", souligne Marie Audin. "Je pense qu'il y a eu entre 15 et 30’000 morts à Paris rien que pendant cette semaine-là. Mais le rôle de police donné à l'armée a été évidemment réutilisé depuis, comme lors de la bataille d'Alger en 1957 par exemple. C’est une manière de massacrer pour terroriser, pour donner des leçons. Et après, c’est le déni: on affirme que finalement on n'a pas tué tant de gens que ça."
Jusqu’à aujourd’hui, le nombre exact de victimes est incertain. Mais pas de doute sur la violence de la répression qui s’abat sur les Communards. Le 28 mai, 147 d’entre eux sont exécutés devant le mur des fédérés du cimetière du Père-Lachaise et jetés dans une fosse commune. Le fort de Vincennes capitule le 29, c'est la fin de la Commune. Voici venu le temps des exécutions ou déportations des prisonniers communards.
>> Voir l'archive vidéo de l'historien Henri Guillemin racontant l'assaut sur Paris:
Exil en Suisse
Entre 5000 et 6000 prennent le chemin de l’exil. Parmi eux, un millier environ se réfugie en Suisse, essentiellement à Genève, mais aussi à la Chaux-de-fonds et dans le Jura. Une moitié sont des ouvriers et ouvrières, mais il y aussi des intellectuel.le.s qui se retrouvent notamment dans le Café du Nord à Genève, raconte Laure Godineau.
"Cette proscription est assez refermée sur elle-même. La France avait demandé l'extradition des réfugiés communards et il y a eu une affaire liée à l'un d'eux arrêté au Café du Nord. Et puis finalement, il n'a pas été extradé parce que les autorités suisses ont estimé qu'elles ne possédaient pas assez de preuves. À partir de cette affaire-là, la Suisse est devenue un lieu sûr de refuge."
Les membres suisses de l’Internationale ont aussi fourni des faux-papiers à des Communards pour qu’ils puissent s’exiler. C’est que la Commune, pendant ces 72 jours d’existence, a été perçue comme un modèle, une inspiration par les mouvements internationalistes, comme l'explique Michel Nemitz, coopérateur d’Espace Noir à Saint-Imier.
"La Commune de Paris est un des mythes fondateurs du mouvement ouvrier, puis des mouvements libertaires. Il y avait tous ces concepts de fédéralisme, de communalisme, d'autonomie ouvrière qui ont eu leur importance. Ce mouvement pas très enseigné dans les écoles françaises, mais en même temps des personnages comme Louise Michel, qui a fait la Commune de Paris, a donné son nom à des lycées. Il y a aussi Gustave Courbet, Communard connu, qui s'est réfugié en Suisse." Le grand peintre qui a fini sa vie à la Tour-de-Peilz.
Après 150 ans, un héritage toujours ambigu
Aujourd’hui, la France a un rapport mémoriel ambigu face à cet évènement, explique Laure Godineau. "Notre mémoire collective est en partie fondée au moment de la IIIe République, c'est-à-dire à partir des années 1880 et l'amnistie les Communards. L'idée avancée par les républicains, c'est d'oublier la Commune, comme guerre civile, comme lutte fratricide, comme insurrection."
"La République qui va se mettre en place n'est pas du tout cette république démocratique et sociale que voulaient les Communards. On a une mémoire nationale qui se construit en lui tournant le dos. De ce fait, elle est largement absente de l'enseignement. On pourrait dire qu’il ne s’agit que de 72 jours dans l'histoire, ce qui est très peu. Mais en même temps ces 72 jours ont des répercussions symboliques dans l'évolution de l'histoire mondiale."
Un symbole qui divise encore à Paris où les élus de droite et de gauche se sont écharpés le mois dernier pour savoir s’il fallait commémorer ou non les 150 ans de la Commune.
>> Retrouvez toute la série d'archives vidéos (1971) de l'historien Henri Guillemin racontant la Commune de Paris : La série sur la Commune
Patrick Chaboudez / Mouna Hussain avec afp
La France divisée sur la commémoration
En France, l’épisode de la Commune de Paris est pour la gauche un rêve de République sociale, la pionnière de la révolution ouvrière. Pour la droite, un moment d'égarement de la rue et un épisode de violences.
Ce jeudi 18 mars commence un programme de commémorations organisé notamment par la Mairie de Paris, dirigée par la socialiste Anne Hidalgo à la tête d'une coalition de gauche, au grand dam de la droite.
"Commémorer oui, célébrer non", dénonce l'élu de droite Rudolph Granier. "C'est quand même un moment où, dans Paris, des Parisiens ont été assassinés par d'autres Parisiens", estime un autre élu de droite, Antoine Beauquier.
La gauche y voit, elle, le creuset de l'émancipation du prolétariat et "le premier modèle d'auto-organisation populaire", selon les mots du chef de file de l'extrême-gauche française, Jean-Luc Mélenchon.
"Le souvenir des combattants de la Commune n'est pas seulement vénéré par les ouvriers français, il l'est par le prolétariat du monde entier" écrivait Lénine en 1911. C'était "un danger mortel pour le vieux monde fondé sur l'asservissement et l'exploitation", selon lui.
Aujourd'hui, l'héritage est incertain, même s'il est encore revendiqué sur certaines banderoles dans les rassemblements d'extrême gauche ou récemment chez certains "gilets jaunes".
"Les "gilets jaunes" sont les descendants directs des Parisiens de 1871. Ici comme alors, on a affaire à un soulèvement de la misère et à un soulèvement éthico-politique ", estime l'historien Pierre Vesperini.
En face, le préfet de police Didier Lallement, figure de proue de l'action policière contre les gilets jaunes, s'est lui-même comparé à celui qui a réprimé la Commune. Selon le journal Le Monde, il aurait un jour déclaré "Il faut avoir son Galliffet", en référence au général Gaston de Galliffet, entré dans l'Histoire pour avoir dirigé la répression de la "semaine sanglante".