Les dossiers épineux entre les deux grandes puissances sont nombreux: taxes commerciales, propriété intellectuelle, Hong Kong, le Xinjiang ou encore Taïwan. Difficile pourtant d'attendre beaucoup de cette rencontre.
Le choix du lieu de la réunion témoigne de l'état des relations: Washington ou Pékin étant diplomatiquement inenvisageables, l'Alaska – à mi-chemin entre les deux capitales – s'est imposé comme un compromis acceptable. Mais le format des discussions sera aussi glacial que la température négative de la région: trois séances de trois heures sans aparté. Les négociateurs ne devraient même pas dîner ensemble.
Les deux parties ne s'entendent même pas sur la nature de la rencontre. La Chine parle d'un "Dialogue stratégique de haut niveau", ce qui sous-entend en filigrane le début d'un processus de négociation et de discussion sur la durée.
Le secrétaire d'Etat américain Antony Blinken a lui rejeté cette appellation: "Il n'y a aucun intérêt de notre part, à ce stade, de nous engager dans une série de négociations".
Une prise de température
Une rencontre dans de telles conditions sert essentiellement de prise de température. Au pire, chacun déballera son lot de doléances. Au mieux, les deux côtés tenteront d'identifier les domaines où ils peuvent éventuellement envisager une coopération mutuelle, comme le climat par exemple. Mais les observateurs sont plutôt très pessimistes.
Pékin a redoublé d'agressivité ces dernières semaines, que ce soit en mer de Chine du Sud ou à Hong Kong. Quant à l'équipe Biden, elle n'a pour l'heure pas dévié de la ligne dure de Donald Trump. Washington a même haussé le ton ces dernières 24 heures en annonçant des sanctions à l'encontre d'une vingtaine de hauts responsables chinois impliqués dans le démantèlement du système hongkongais et en lançant des procédures à l'encontre de plusieurs entreprises chinoises actives aux Etats-Unis dans les secteurs des communications et des nouvelles technologies.
En tournée en Asie ces deux derniers jours, Antony Blinken a pour sa part réaffirmé le fort engagement américain aux côtés de Tokyo et Séoul en critiquant vertement la Chine et ses nombreuses violations du droit international. "La démocratie et les droits de l'homme sont remis en cause dans la région […] nous repousserons la Chine si nécessaire, particulièrement si elle recourt à la coercition ou à l'agression pour arriver à ses fins", a-t-il déclaré à la veille des pourparlers en Alaska.
Le ministère chinois des Affaires étrangères a rapidement réagi suite à ces propos, qualifiant les rencontres du secrétaire d'Etat américain avec ses homologues japonais et sud-coréens de "complots entre méchants". Les esprits sont loin d'être apaisés au moment de se faire face.
Michael Peuker/ebz
Washington doit "contenir" la Chine face à la mondialisation
Professeur émérite de Relations internationales à Sciences-Po Paris, Bertrand Badie a rappelé dans La Matinale de la RTS que les Etats-Unis semblent depuis un bon moment dans une phase nationaliste, de méfiance à l'égard d'une mondialisation qu'ils avaient pourtant portée sinon inventée.
"Et la meilleure façon pour eux de se protéger des risques d'une mondialisation qui leur semble finalement défavorable, c'est de rétablir une politique protectionniste", a-t-il expliqué. "Et surtout de contenir le pays qui, actuellement, profite le plus de la mondialisation. Dans leur esprit c'est la Chine, ce qui n'est pas tout à fait faux".
Bertrand Badie a encore relevé que face à Pékin Washington n'a guère de marge de manoeuvre. "Biden n'a pas d'autre choix que de prolonger la politique protectionniste, d'endiguement, de surveillance commerciale mais aussi militaire dans la zone d'Asie orientale face à la Chine de Xi Jinping qui se caractérise par ailleurs par un tour de vis autoritaire qui donnera aux Etats-Unis d'autant plus de champ pour la stigmatiser et la dénoncer".
Un format sans précédent
Le sommet d'Anchorage réunit le Secrétaire d’Etat américain Tony Blinken et le Conseiller à la sécurité nationale Jake Sullivan d'un côté, et le ministre des Affaires étrangères chinois Wang Yi et le diplomate en chef du parti communiste chinois Yang Jiechi de l'autre.
"Ce format deux + deux est sans précédent pour les Etats-Unis", a souligné Antoine Bondaz, chargé de recherche à la Fondation pour la Recherche Stratégique, dans l'émission Tout un monde. "Généralement, quand on parle de deux+deux, c'est le secrétaire d'Etat et le secrétaire à la Défense qui rencontrent leurs homologues. Là, c'est un format innovant".
Pour ce spécialiste qui est aussi enseignant à Science Po Paris, le message de Washington est extrêmement clair: il s'agit de discuter avec les bonnes personnes, avec le parti bien plus qu'avec le gouvernement.
Peu d'attentes américaines
Quand au message sur le fond, "il a déjà été donné par Washington", a relevé Antoine Bondaz. "Premièrement, c'est que la méthode mise en oeuvre désormais par les Etats-Unis est très différente de la méthode mise en place par l'administration Trump", notamment avec une coordination serrée avec les alliés des Américains.
Deuxièmement, a-t-il rappelé, des annonces américaines ont été faites juste avant ce sommet. La Maison Blanche a notamment appelé à une levée des sanctions économiques chinoises sur l'Australie, sans quoi il n'y aurait pas d'avancées commerciales entre la Chine et les Etats-Unis.
"Cela donne un indice: c'est que les Américains n'attendent pas grand-chose de cette rencontre. C'est avant tout pour entamer un processus de discussion".