Le président français Nicolas Sarkozy annonçait il y a dix ans une intervention en Libye sur mandat du Conseil de sécurité de l'ONU, qui mènera quelques mois plus tard à la mort du général Mouammar Kadhafi.
Dix ans plus tard, le bilan est catastrophique. Le pays a sombré. Un jeune Libyen avoue même regretter d'avoir fait la révolution. "Nous devions bâtir une démocratie. J’ai contribué à faire plonger mon pays dans la guerre civile", confie-t-il à la RTS. Comme la plupart de ses concitoyens, il est atterré par ce qui s’est produit cette dernière décennie.
Une guerre de milices
Depuis la mort de son dictateur, la Libye ne compte aucune autorité véritable, et il n’existe plus ni armée ni police. En revanche se sont multipliées les milices armées qui se battent entre elles pour le contrôle des richesses, dont le pétrole. Toutes sortes de trafics se sont développés, comme celui des armes, de l’essence, de la drogue, mais également des êtres humains, des migrants.
Chaque parcelle de cet immense pays est contrôlée par une milice, qui compte parfois quelques dizaines d’hommes, parfois plusieurs milliers. Les gouvernements qui se succèdent depuis la révolution n’ont pas d’autres choix que de s’appuyer sur elles pour exercer un semblant d’autorité.
"On ne sait plus qui est qui, résume un Libyen interrogé dans l'émission Tout un Monde. Les rares policiers se comportent parfois comme des milices. Et les milices se comportent parfois de manière exemplaire, assurent la sécurité de quartiers."
À 350 kilomètres des côtes européennes, la Libye s’est ainsi transformée en véritable Far West. La violence y est extrême. Des fosses communes ont même été creusées par des milices, dont les alliances se font et se défont selon les intérêts.
Les groupes armés se rangent souvent derrière des hommes qui veulent diriger le pays, comme lors de la dernière guerre, qui a duré un an pour le contrôle de la capitale Tripoli.
>> Revoir le reportage sur cette guerre en mai 2019 : En Libye, la bataille pour Tripoli
Ain Zara, la ville fantôme
Maisons bombardées, bâtiments éventrés, à Ain Zara, à peine à cinq kilomètres du centre-ville de Tripoli, des quartiers d'habitations entiers sont à terre.
Au milieu des décombres, Mohamed, 40 ans, tente de reconstruire les maisons. "Ca me terrifie de travailler ici. Tous les habitants ont fui, on ne peut plus vivre ici. Mais je dois bien travailler. J'ai six enfants et les autorités n'ont rien fait pour nous aider."
L'ouvrier prévient: "Il faut faire attention, il y a encore des explosifs. Personne n’est venu déminer les lieux. Récemment, un jeune s’est tué en sautant sur une mine."
Pour ne pas céder à la panique, Mohamed tente de prendre la situation avec ironie. "Ici, il y a eu des coups de feu hier. Franchement, c’est la jungle. On ne sais même plus quelle milice contrôle la zone."
On veut que vous restiez à l’écart ! L’ONU doit cesser d’interférer. Les étrangers attisent le conflit.
Depuis cet endroit abandonné qu'il appelle "la ville fantôme", Mohamed adresse un message à la communauté internationale: "On veut que vous restiez à l’écart! L’ONU doit quitter le pays, cesser d’interférer. Elle soutient systématiquement une région au détriment d’une autre. Les étrangers attisent le conflit. On n’en peut plus des kidnappings, du sang, des guerres, des destructions!"
A quelques centaines de mètres, malgré les risques, Younès est l’un des rares à avoir décidé de revenir vivre sur sa terre. Aussi parce qu’il n’a nulle part où aller. Lorsque la capitale a été attaquée, toute la famille a dû abandonner la ferme.
"On a dû fuir sans pouvoir emporter quoi que ce soit, en abandonnant même notre bétail. On est restés sans logement pendant deux ans."
Younès montre les impacts des combats sur sa maison. Un obus a atterri dans son salon. Il tente peu à peu de colmater les murs. "On nous a tout volé, il ne reste rien. Depuis notre retour, ma femme ne cesse de pleurer. Le fruit de 50 ans de labeur est parti en fumée."
Dans ses hangars, à la place du bétail, gisent des munitions russes abandonnées par les combattants. Oueid, le fils de Younès, est soulagé de retrouver sa maison. L'enfant de 12 ans est traversé de plusieurs émotions. "Je suis triste que mon école a été totalement détruite par les missiles et les bombes. Tout cela, c’est à cause des milices de Sarraj et Haftar. Je suis fâché contre eux. Et j’ai peur que la guerre revienne."
Au centre-ville de Tripoli, les habitants et habitantes tentent de continuer à vivre, malgré les milices qui se disputent le pays.
Dans un café, le gérant ne veut pas évoquer le sujet, trop dangereux pour lui. "Non, je ne peux pas en parler, c’est trop délicat. Tout ce que je peux vous dire, c’est que j’espère que les choses vont s’améliorer." Tout comme son établissement, qui a perdu 70% de sa clientèle, l'économie libyenne est à l'arrêt, en raison du Covid, mais surtout du conflit. "J’espère vraiment qu’avec le nouveau gouvernement et les élections prévues en décembre, les choses s’arrangeront."
Ce que je demande à la communauté internationale, c’est de nous aider, pas de nous vendre des armes.
Ces élections sont souhaitées par l’ONU comme première étape vers la paix. En Libye, la population en rêve, mais sans y croire. Pour les Libyens et Libyennes, la communauté internationale ne fait qu'attiser le conflit depuis une décennie.
Rami, 18 ans, prend le soleil sur un banc, pour oublier l’espace d’un instant que lui aussi a perdu sa maison. "Ce que je demande à la communauté internationale, c’est de nous aider, pas de nous vendre des armes comme elle le fait! De nous aider à relancer notre économie, à développer nos infrastructures. Le processus de négociation? Je ne pense pas qu’il aboutira à quoi que ce soit."
A Tripoli, la population sait combien le cessez-le-feu actuel ne tient qu’à un fil. Alors, tant qu’il est respecté, les gens respirent. "Dites dans vos reportages qu’on veut la paix". En Libye, même les miliciens sont épuisés par la guerre.
Maurine Mercier / mh
Méfiance vis-à-vis de la communauté internationale
La Libye vient de se doter d’un nouveau gouvernement. L’ONU table sur des élections en décembre et les négociations se font principalement à Genève.
Les Libyens restent cependant sceptiques face à ce processus, perçu comme une ingérence des membres les plus influents de l’ONU comme la Russie, la France et la Turquie. Alors que l’ONU demande des élections, certains de ses membres financent des mercenaires sur place.
Ensuite, alors que l'ONU a imposé un embargo sur les armes, ces dernières n'ont jamais autant afflué dans le pays, atteignant une dizaine d'armes par habitant.
Finalement, toutes les tentatives onusiennes ont échoué ces dix dernières années. Dans le meilleur des cas, elles n’ont rien résolu. Trop souvent, elles ont même attisé le conflit.
Alors que les Libyens applaudissaient l'intervention internationale en 2011, ils condamnent aujourd'hui ces puissances étrangères qui agiraient en Libye pour leurs intérêts propres et non pour le pays.