Les pays à revenus élevés représentent 16% de la population mondiale, et pourtant ils concentrent 56% des doses de vaccin injectées. Pour le directeur de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) Tedros Adhanom Ghebreyesus, cette situation est "économiquement et épidémiologiquement auto-destructrice".
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Michel Kazatchkine, médecin français membre du Panel indépendant d'évaluation de la réponse mondiale au Covid-19, mis sur pied par l'Assemblée mondiale de la santé, partage le constat du patron de l'OMS.
Derrière l'inégalité d'accès aux vaccins entre les pays riches et les pays pauvres, "il y a une question morale et d'iniquité manifeste. Mais il y a aussi une urgence épidémique ainsi qu'économique", estime le spécialiste en santé publique globale à l’Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID) à Genève.
Tandis que certains pays riches gardent les vaccins pour eux, d'autres pays producteurs tels que la Chine, la Russie ou bientôt Cuba vont permettre parallèlement l'accès des pays à ressources limitées à leurs doses, explique Michel Kazatchkine.
"Le nationalisme vaccinal va se transformer en tensions géopolitiques."
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Saturation dans la production
La question des brevets de l'industrie pharmaceutique et leurs conséquences dans l'accès aux vaccins contre le coronavirus fait régulièrement débat. Toutefois, selon Michel Kazatchkine, en ce moment, l'enjeu se situe plutôt ailleurs.
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"Le problème est que nous sommes pratiquement à saturation de la capacité de fabrication, analyse le spécialiste. Si nous voulions installer des sites de production additionnelles, il nous faudrait [plusieurs mois] avant qu'ils ne soient fonctionnels. Actuellement, il y a un goulet d'étranglement de la production."
Un manque de stratégie
Pour Michel Kazatchkine, la stratégie vaccinale adoptée par certains pays est insatisfaisante. Le médecin déplore que les "leçons du passé" n'aient pas été retenues.
"Le fait qu'un pays doive répondre très rapidement à une nouvelle alerte épidémique, nous l'avions appris après Ebola et SARS. Pourtant, dans l'ensemble, la plupart des pays du monde n'étaient pas préparés à répondre au Covid-19."
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"Nos pays occidentaux ont laissé faire", ajoute le spécialiste. Alors que l'urgence sanitaire avait été déclaré par l'OMS le 28 janvier 2020, l'Occident "n'a pas vraiment réagi avant le 10 ou 15 mars. Et ce temps perdu, on n'arrive pas à le rattraper".
Ainsi, à la question de comment éviter une prochaine pandémie, Michel Kazatchkine répond que la "précocité et l'intensité de la réponse initiale", à travers une stratégie claire, sont des "éléments fondamentaux".
Propos recueillis par Eric Guevara-Frey
Adaptation web : Isabel Ares
Covax manque sa cible
Le programme Covax, consortium multi-Etats dont l'OMS est partenaire, visait à faciliter l'accès aux vaccins contre le Covid-19 pour les pays les plus défavorisés.
Selon Michel Kazatchkine, les objectifs que s'était fixés le programme ne sont aujourd'hui pas remplis.
Covax devait en effet agir comme une "centrale d'achat" de vaccins pour le monde. En achetant des doses par le biais du programme, le but était que les prix négociés soient meilleurs que ceux obtenus dans une négociation bilatérale avec une industrie pharmaceutique.
Or les pays occidentaux n'ont pas joué le jeu, selon le médecin. "D'une part, les Etats-Unis n'ont pas rejoint Covax, et d'autre part, les pays de l'UE ont finalement décidé de négocier l'achat de vaccins en bilatéral de leur côté."
Le programme avait également pour objectif d'acheter des doses de vaccin afin de les distribuer ensuite aux pays à revenus limités.
"Là, le problème est le même que pour tout le monde, expose Michel Kazatchkine. Les vaccins n'arrivent pas et Covax, ayant commencé avec un peu de retard, ne dispose pas actuellement de doses qui lui permettrait de rattraper le rythme de vaccination des pays riches."