Obliger les opérateurs téléphoniques à bloquer les contenus dommageables pour les enfants, voilà ce que vise une loi votée par les députés de l'Utah. Elle a été promulguée jeudi 25 mars par Spencer Cox, gouverneur de cet Etat de l’ouest américain comptant 3 millions d’habitants.
Le texte exige que les opérateurs filtrent, par défaut, les échanges de données et prévoit des amendes pour chaque mineur qui serait exposé à de la nudité ou à des actes sexuels. Un système de vérification de l'âge doit permettre aux adultes de désactiver le filtre.
L'entrée en vigueur de ces mesures dépendra cependant de leur adoption par au moins cinq autres Etats dans un délai de dix ans, faute de quoi la loi deviendrait caduque. Des organisations américaines de défense des libertés civiles ont d'ores et déjà fait savoir qu'elles s’opposeraient en justice à un texte dont elles estiment qu'il attente à la liberté de parole, droit fortement protégé par la Constitution et la jurisprudence aux Etats-Unis.
L'Utah comme fer de lance
En optant pour ces mesures de censure informatique, l'Utah confirme son rôle de leader dans la lutte contre la pornographie aux Etats-Unis. En 2016, l’Utah a été le premier Etat à déclarer que la pornographie constituait "une crise de santé publique" avant qu'une douzaine d'Etats américains, de tendance conservatrice, ne fassent des déclarations similaires.
>> Lire : L'Utah déclare la pornographie "crise de santé publique"
Le parlement de l'Utah a pris plusieurs initiatives depuis lors dans ce domaine : des filtres anti-pornographie ont été installés sur les réseaux wifi des bibliothèques publiques et les publications ayant un contenu pour adulte – qu'il s'agisse d'imprimés ou de sites internet – ont dû afficher des avertissements explicites sous peine d'être amendées. L'Utah a par ailleurs lancé une campagne auprès des familles pour promouvoir l'acquisition de logiciels de surveillance parentale.
Une église très présente
Si l'Utah s'est fortement profilé dans la lutte contre la pornographie, c'est notamment parce qu'une communauté religieuse y tient un rôle de premier plan : l'Eglise de Jésus-Christ des saints des derniers jours. Cette Eglise, plutôt conservatrice, a lancé il y a quelque années une croisade contre la pornographie.
Cette communauté, qu'on appelle aussi les Mormons, est née aux Etats-Unis au XIXe siècle et, à l'issue d’une histoire mouvementée, s'est implantée sur le territoire qui est devenu l'Utah. Aujourd'hui, entre 60% et 70% des habitants de cet Etat font partie d'une religion qui partage de nombreuses caractéristiques avec les Eglises chrétiennes évangéliques, mais qui est aussi fortement imprégnée par les interprétations originales de son fondateur, Joseph Smith, développées à la suite de la visite d'un ange. Les préceptes conservateurs du mormonisme imprègnent fortement la vie publique en Utah et une très large majorité des parlementaires de l'Etat adhèrent à cette Eglise.
Une succession de croisades contre la pornographie
La croisade contre la pornographie n'est cependant pas une spécificité mormone. A différentes époques, cette thématique a émergé dans le discours religieux en Amérique. Dans les années 50, des prédicateurs évangéliques ont accusé la pornographie de favoriser la diffusion du communisme. Dans les années 80, la lutte contre la pornographie a été – aux côtés de l'avortement et de l'homosexualité – un des thèmes mobilisateurs pour la "Majorité morale", mouvement politico-religieux de droite en lutte contre le "déclin moral" du pays.
L’Eglise de Jésus-Christ des saints des derniers jours a repris aujourd'hui l’étendard de cette croisade, mais le ton semble avoir changé. Dans leur communication publique comme dans les sites internet qu'ils dédient à cette thématique, les mormons ont renoncé à l'opprobre pure et simple pour aborder la question sous l'angle de la prophylaxie spirituelle et relationnelle au sein de la famille (voir l’analyse de Religionnews à ce sujet). Une attitude qu'on pourrait résumer par : consommer du porno, ça reste mal. Mais on peut conserver de la sympathie pour le consommateur.
Un changement de ton et d’attitude qui a peut-être été influencé par les études sociologiques sur la consommation de pornographie au sein des milieux conservateurs protestants. Chercheur à l'Université d’Oklahoma, Samuel Perry a en effet pu montrer que cette consommation n'est pas significativement différente de celle du reste des Américains.
Fabien Hünenberger/ RTSreligion