Il y a 60 ans, les Soviétiques lançaient la conquête de l'espace

Grand Format

KEYSTONE - Paolo Nespoli / NASA

Introduction

Youri Gagarine est devenu, le 12 avril 1961, le premier humain à voyager dans l'espace. En pleine Guerre froide, l'exploit est considéré comme un symbole du pouvoir soviétique et va lancer la guerre spatiale entre les Etats-Unis et l'URSS. Soixante ans plus tard, la Russie vénère toujours son héros, mais peine à maintenir le niveau de ses prouesses passées. Retour sur cet événement historique.

Chapitre 1
Premier humain dans l'espace

AFP - RIA Novosti / Sputnik
Youri Gagarine, pilote soviétique et premier cosmonaute de l'Histoire. [AFP - Sputnik]
Youri Gagarine, pilote soviétique et premier cosmonaute de l'Histoire. [AFP - Sputnik]

Le 12 avril 1961, le pilote de l'armée soviétique Youri Alexeyevich Gagarine devient le premier cosmonaute de l'Histoire. Il réalise ainsi un vieux rêve de l'humanité en effectuant une révolution d'une heure et 48 minutes autour de la Terre au bord de la capsule Vostok, à 250 kilomètres d'altitude moyenne.

Le pilote de chasse et ouvrier fondeur de formation est choisi pour cette mission à 27 ans à peine. Sélectionné parmi des milliers de candidats, Gagarine a retenu l'attention des patrons du programme spatial soviétique grâce notamment à ses excellentes aptitudes lors des tests. Il a notamment été préféré à Guerman Titov, qui deviendra le deuxième homme à aller dans l'espace, pressenti et formé également afin d'effectuer ce tour de la Terre.

La figure de Gagarine, fils d'un charpentier et d'une paysanne ayant subi l'occupation nazie, formé comme ouvrier-métallurgiste avant de devenir pilote, est l'incarnation du héros populaire. Ses origines ouvrières et ses compétences ont servi de ressource supplémentaire pour la propagande soviétique. Le pilote s'est aussi distingué, selon la légende, en se déchaussant avant de monter pour la première fois à bord du vaisseau Vostok, norme incontournable en Russie au moment d'entrer dans un logement. Enfin, le Soviétique avait également la taille idéale, 1 mètre 58, lui permettant de rentrer dans la capsule, une sphère d'aluminium de 1,6 mètre cube.

>> Revoir les images de la préparation rigoureuse à laquelle s'est soumis Youri Gagarine afin d'effectuer le premier vol humain dans l'espace :

Télescope - Les aventuriers de l'astre perdu: premiers pas sur la Lune, 25 ans après (séquence sur l'URSS)
Séquences spéciales - Publié le 8 avril 2021

La fusée contenant la capsule Vostok a été lancée depuis le cosmodrome de Baïkonour, au Kazakhstan. Lors de son retour sur Terre, après un vol en orbite de 108 minutes, Youri Gagarine a pénétré l'atmosphère terrestre dans le vaisseau, avant de se larguer en parachute à 7000 mètres d'altitude au-dessus de la région de Saratov, dans le sud de la Russie. Le succès de la mission est incontestable, mais des défaillances auraient pu coûter la vie au pilote. La plus grave a été que l'appareil était parti pour atteindre une orbite à une altitude plus haute que prévu. Heureusement, le système de freinage a fonctionné, faute de quoi le cosmonaute et son vaisseau auraient pu être contraints de passer plus de 10 jours dans le cosmos avec des réserves de vivres insuffisantes.

La capsule Vostok 3KA-2 a servi de test final le 25 mars 1961 pour préparer le vol de Youri Gagarine. [Keystone - AP Photo]
La capsule Vostok 3KA-2 a servi de test final le 25 mars 1961 pour préparer le vol de Youri Gagarine. [Keystone - AP Photo]

Le vaisseau Vostok 3KA-2 avait été lancé une première fois dans l'espace en mars 1961 en préparation du vol historique prévu un mois plus tard. La capsule, qui ressemble à une énorme boule munie de larges hublots, avait pour passagers un mannequin et un chien prénommé Zvezdochka. Après avoir réalisé une orbite complète autour de la Terre, Vostok était rentré dans l'atmosphère et s'était posé sans encombre. En 2011, la capsule a été vendue aux enchères à un homme d'affaires russe pour la somme de 2,88 millions de dollars.

>> Lire aussi : Une capsule soviétique vendue aux enchères

Le jour du vol de Gagarine, le Vostok était équipé avec du matériel de secours, un compas et une radio portable, ainsi qu'un canot pneumatique pour un éventuel débarquement sur l'eau et du matériel de pêche. À bord se trouvait également de la nourriture pour dix jours, au cas où l'atterrissage ne se ferait pas, les experts estimant à 50% les chances d'un retour heureux. La mission du 12 avril 1961 s'est cependant déroulée sans problème. Une fois dans l'espace, Youri Gagarine n'a presque rien dû faire, si ce n'est admirer la planète bleue autour de laquelle il tournait en orbite.

Chapitre 2
Héros du peuple

AFP - Maxim Shipenkov / EPA

Après s'être éjecté du Vostok, Youri Gagarine a atterri dans un champ de pommes de terre russe où une fillette et sa grand-mère déterraient les tubercules. L'image de l'homme casqué et en combinaison spatiale orange avait de quoi effrayer, particulièrement en pleine Guerre froide. "N'ayez pas peur, je suis Soviétique comme vous, je reviens de l'espace", leur aurait déclaré le cosmonaute. Selon la légende, avant le décollage, Gagarine a demandé au conducteur de l'autobus qui l'emmenait vers le pas de tir de s'arrêter pour qu'il puisse soulager sa vessie, ce qu'il a fait en urinant sur une roue arrière du véhicule. Depuis, les cosmonautes décollant du centre spatial de Baïkonour suivent cette tradition avant leur envol vers l'espace. Mais la coutume est désormais menacée, la future combinaison spatiale russe présentée en 2019 n'ayant pas de braguette.

Youri Gagarine après son atterrissage, le 12 avril 1961, dans la région de Saratov en Russie. [AFP - Aleksandr Sergeev / Sputnik]
Youri Gagarine après son atterrissage, le 12 avril 1961, dans la région de Saratov en Russie. [AFP - Aleksandr Sergeev / Sputnik]

Aujourd'hui, en Russie, la légende de Youri Gagarine est restée intacte. Soixante ans après son mythique vol spatial, il reste un symbole central pour le Kremlin et sa politique de grandeur de la Russie. Chaque 12 avril, les écoliers russes célèbrent la Fête de la cosmonautique, ponctuée de lectures et de concerts. Des bouquets de fleurs sont également déposés annuellement devant les nombreux monuments à la gloire de Gagarine, tandis que les médias racontent son épopée. "C'est une figure absolument consensuelle qui unit la Nation et un exemple très rare d'unanimité", note l'écrivain Lev Danilkine, qui lui a consacré une biographie.

>> Réécouter le reportage du correspondant

de la RTS

à Moscou, le 12 avril 1961:

Youri Gagarine le 12 avril 1961 à bord du vaisseau Vostok. [AFP]AFP
Emission sans nom - Publié le 12 avril 1961

Ce culte s'explique tout d'abord par le bond technologique qu'incarnent le cosmonaute et sa victoire sur le rival américain. Gagarine représente la destinée d'un homme qui a fait basculer l'Histoire. "Il a fait passer l'être humain de simple être vivant à une forme d'intelligence allant au-delà de la Terre", résume l'historien Alexandre Jelezniakov. Ce statut de héros populaire va de pair avec son grand sourire et son optimisme qui continuent de vivre à travers d'innombrables photographies, affiches, documentaires, mais aussi vêtements, tatouages et souvenirs touristiques à son effigie.

Plusieurs décennies après, Youri Gagarine est toujours fortement apprécié en Russie, comme le témoigne cette fresque en son hommage. [KEYSTONE - Dmitry Lovetsky / AP Photo]
Plusieurs décennies après, Youri Gagarine est toujours fortement apprécié en Russie, comme le témoigne cette fresque en son hommage. [KEYSTONE - Dmitry Lovetsky / AP Photo]

S'y ajoutent en outre les récits sur ses qualités humaines de courage et d'amour, notamment envers ses filles et sa femme, Valentina Gagarina, à qui il a écrit une lettre d'adieux poignante, longtemps gardée secrète, en cas de décès lors de sa mission. "Si quelque chose tourne mal, je vous demande, à toi surtout, Valioucha, de ne pas mourir de chagrin. Car ainsi va la vie."

Dès son retour sur Terre, Youri Gagarine s'est retrouvé logiquement au coeur d'une intense propagande sur la supériorité du modèle soviétique, capable de transformer un plébéien en conquérant. L'écrivain russe Lev Danilkine souligne qu'à ce titre une partie de l'intelligentsia anti-Kremlin considère le cosmonaute comme un "rouage de la gigantesque machine de violence" de l'URSS car son exploit a servi à "inculquer à la population" que les victimes des répressions soviétiques et du Goulag "ne l'avaient pas été en vain", relève-t-il.

Selon Lev Danilkine, le pouvoir de Vladimir Poutine entretient cette logique pour faire de la Russie d'aujourd'hui l'héritière des triomphes du passé. "Le pouvoir actuel s'approprie méthodiquement les cultes populaires: d'abord celui de la victoire pendant la Seconde Guerre mondiale, puis celui de la conquête de l'espace et de Gagarine", soutient l'écrivain, indiquant que l'Etat combat parallèlement toutes "interprétations alternatives" de ces événements. Les Russes sont néanmoins conscients que l'Union soviétique a finalement perdu la course vers l'espace après la conquête de la Lune par les Américains. Mais la vénération de Gagarine permet de "neutraliser" cette amertume, estime Lev Danilkine.

Youri Gagarine, accueilli en héros le 14 avril 1961 à l'aéroport de Moscou par Nikita Khrouchtchev, dirigeant soviétique et premier secrétaire du parti communiste. [AFP - Aleksandr Sergeev / Sputnik]
Youri Gagarine, accueilli en héros le 14 avril 1961 à l'aéroport de Moscou par Nikita Khrouchtchev, dirigeant soviétique et premier secrétaire du parti communiste. [AFP - Aleksandr Sergeev / Sputnik]

Comme tous les grands héros russes, notamment son égal en termes de prestige, le poète Alexandre Pouchkine, Youri Gagarine est aussi un symbole tragique. Les circonstances de sa mort à 34 ans lors d'un vol à bord d'un avion d'entraînement le 27 mars 1968 demeurent mystérieuses, les autorités n'ayant jamais publié le rapport d'enquête complet sur les causes de l'accident. Selon des archives partielles provenant du Kremlin, la version "probable" du drame est une collision de son appareil avec un ballon météo. Mais en l'absence de transparence, de nombreuses théories continuent à circuler. La plus connue veut que Gagarine ait été ivre aux commandes. D'autres affirment même qu'il a été éliminé par le Kremlin, qui se sentait menacé par sa popularité. Quoi qu'il en soit, sa mort reste un choc pour beaucoup de Russes dont certains essaient encore de s'en remettre, selon l'historien Alexandre Jelezniakov.

Chapitre 3
Exploration spatiale sur fond de Guerre froide

AFP

Alors que la Guerre froide s'intensifie, la conquête de l'espace devient à partir des années 50 un enjeu primordial pour l'URSS et les Etats-Unis. Avec la mission Vostok en avril 1961, l'Union soviétique n'en était cependant pas à son premier essai en matière d'expériences spatiales. Le 4 octobre 1957 déjà, l'URSS lançait Spoutnik-1, le premier satellite artificiel de la Terre, et prenait ainsi la tête de la course. L'engin était issu d'un programme visant à mettre au point une fusée capable de frapper les Etats-Unis avec une bombe à hydrogène. Les performances du missile balistique développé initialement pour emporter cette charge en faisait donc un véhicule idéal pour mettre un satellite en orbite, expérience qui n'avait jamais été testée auparavant.

La raison du lancement de Spoutnik-1 est largement liée au contexte politique et à la bataille que se livraient alors les deux puissances rivales. Sans la menace d'une guerre nucléaire, le satellite aurait probablement décollé beaucoup plus tard. Les scientifiques soviétiques ont en effet pressé le Kremlin à autoriser le lancement, alors que leurs adversaires américains prévoyaient de tenter une première expérience similaire l'année suivante.

>> Revoir un extrait de l'émission De la Lune à la Terre de 1979 revenant sur la bataille spatiale entre l'URSS et les Etats-Unis :

Espace - De la Lune à la Terre
Séquences spéciales - Publié le 8 avril 2021

Spoutnik-1 a été envoyé dans l'espace depuis les steppes du Kazakhstan. La petite sphère d'aluminium d'environ 60 centimètres de diamètre, équipée d'un émetteur radio, a mis 98 minutes pour faire le tour de la Terre. Elle a ensuite envoyé le premier message reçu de l'espace, un simple "bip-bip". Le satellite a finalement passé trois mois en orbite, faisant 1400 fois le tour de la planète, avant de se consumer dans l'atmosphère en janvier 1958.

>> En lire davantage : Il y a 50 ans, l'URSS lançait le Spoutnik

Quelques mois après ce premier test, le 3 novembre 1957, Spoutnik-2 emportait dans l'espace le premier être vivant, une chienne recueillie dans les rues de Moscou, pour un voyage sans retour. Là encore, des causes politiques ont motivé le lancement. A l'approche du 40e anniversaire de la révolution bolchévique, le numéro un de l'Union soviétique Nikita Khrouchtchev tenait à démontrer la supériorité de l'URSS sur les Etats-Unis.

La désormais célèbre chienne Laïka a ainsi été glissée dans la capsule du satellite et envoyée en orbite. L'animal ne reviendra toutefois pas vivant sur Terre et mourra après neuf rotations autour de la planète, environ sept heures après le lancement de l'engin, faute de protection suffisante contre les radiations du soleil. L'expérience a d'ailleurs déclenché par la suite un débat international sur la question de la maltraitance des animaux et plus généralement sur leur utilisation dans la science.

>> Réécouter le dossier de l'émission CQFD sur les animaux envoyés dans l'espace :

La chienne Laïka, immortalisée sur un timbre hongrois. [DR]DR
CQFD - Publié le 15 mars 2016

En réaction, les Etats-Unis, surpris par les succès soviétiques, ont cherché à rattraper leur retard. En effet, les réussites du camp adverse signifiaient que Moscou avait pris une longueur d'avance dans la course aux armements, et les Américains ont réalisé que leur adversaire géopolitique pouvait frapper le territoire des Etats-Unis avec des missiles intercontinentaux. Après plusieurs échecs retentissants, le satellite Explorer 1, propulsé par une fusée à poudre, est mis en orbite le 31 janvier 1958. La conquête de l'espace est alors officiellement lancée.

Youri Gagarine à la une du journal américain "The Huntsville Times", le 12 avril 1961. [AFP]
Youri Gagarine à la une du journal américain "The Huntsville Times", le 12 avril 1961. [AFP]

Le vol de Gagarine en avril 1961 a par la suite constitué une nouvelle humiliation pour les Etats-Unis, après l'envoi dans l'espace du premier satellite Spoutnik moins de quatre ans plus tôt. Vingt-trois jours après l'exploit historique du Soviétique, le premier astronaute américain Alan Shepard effectue un "saut de puce" de 15 minutes dans l'espace le 5 mai 1961. Il deviendra également l'un des douze hommes à avoir foulé à ce jour le sol lunaire. Ce n'est cependant qu'une année plus tard, le 20 février 1962, que les Américains réussiront un vol orbital autour de la Terre grâce au cosmonaute John Glenn.

>> Revoir un extrait de 1970 dans Temps présent sur les enjeux politiques de la conquête spatiale dans les années 60 :

Temps présent - Les années 60-70
Séquences spéciales - Publié le 8 avril 2021

Face à l'exploit de Gagarine et au retard évident des Etats-Unis dans la conquête spatiale, le président John F. Kennedy prononçait un discours le 25 mai 1961 lors d'une session du Congrès américain, l'enjoignant à allouer des fonds afin de développer un programme d'exploration spatiale plus ambitieux. Ce discours historique a entre autres permis de mettre les Etats-Unis sur la voie de la Lune. En effet, près d'une année et demie plus tard, le président américain annonçait que son pays enverrait des hommes sur ce satellite naturel avant la fin de la décennie, exploit qui a été réalisé le 21 juillet 1969 par l'astronaute Neil Armstrong.

>> Lire aussi notre grand format : Le fantasme de la Lune

"Si nous voulons gagner la bataille qui se déroule actuellement à travers le monde entre la liberté et la tyrannie, les réalisations spectaculaires dans l'espace qui se sont produites ces dernières semaines devraient nous avoir tous montré clairement, comme l'a fait le Spoutnik en 1957, l'impact de cette aventure dans l'esprit des hommes du monde entier, qui tentent de déterminer la voie à suivre, déclarait Kennedy lors de son discours en 1961. Il est temps pour cette nation de jouer un rôle de premier plan dans la réalisation spatiale, qui à bien des égards peut détenir la clé de notre avenir sur Terre. [...] Je crois que cette nation devrait s'engager à atteindre l'objectif, avant la fin de cette décennie, d'atterrir un homme sur la Lune et de le ramener en toute sécurité sur Terre."

Chapitre 4
La Russie à la traîne

KEYSTONE - Maxim Shipenkov / EPA

Soixante ans après le vol de Youri Gagarine, Moscou se vante toujours de grands desseins en matière d'exploration spatiale. Néanmoins, la réalité est tout autre, l'ambition russe étant actuellement plutôt cantonnée aux applications militaires. Le nouveau vaisseau russe réutilisable censé pouvoir sortir de l'orbite terrestre et remplacer les engins Soyouz a changé trois fois de nom depuis le lancement du projet en 2009 et les différentes versions imaginées n'ont encore jamais volé.

Le propulseur de fusée Soyouz 2.1a décolle de la rampe de lancement depuis le cosmodrome de Baïkonour en mars dernier, au Kazakhstan. [AFP - Russian Space Agency / Sputnik]
Le propulseur de fusée Soyouz 2.1a décolle de la rampe de lancement depuis le cosmodrome de Baïkonour en mars dernier, au Kazakhstan. [AFP - Russian Space Agency / Sputnik]

"L'objectif est d'effectuer le premier lancement, sans pilote, en 2023. Nous commençons à tester les maquettes du vaisseau", a déclaré Alexandre Kaleri, ancien cosmonaute et chef du centre des vols pilotés de la société russe en charge du projet, RKK Energuia. "C'est une étape assez longue", admet-il. L'expert Vitali Egorov explique ces lenteurs par "des difficultés technologiques, les sanctions occidentales visant l'industrie spatiale russe et un manque de financement. Tant que le Soyouz vole, il n'y a aucune nécessité aiguë de construire un nouveau vaisseau", affirme-t-il au sujet de la capsule qui amène les cosmonautes dans l'espace avec la régularité d'un métronome.

>> Lire aussi : La Russie dénonce le "dumping" spatial de l'américaine SpaceX

Depuis 2020, la Russie a perdu le monopole des vols vers l'ISS, concurrencée par les fusées et vaisseaux réutilisables de SpaceX, la société d'Elon Musk recrutée par la NASA. Une nouvelle réalité qui pourrait signifier un gros manque à gagner pour l'agence spatiale russe Roscosmos, qui jusque-là facturait à la NASA plusieurs millions de dollars chaque place vers l'ISS. De plus, son projet de lanceur lourd Angara-A5 est lui aussi à la traîne. L'idée remonte aux années 90, mais il n'a volé que deux fois, en régime test, en 2014 et en 2020.

>> Revoir les images du test de lancement de la fusée Angara en 2014, supervisé par Vladimir Poutine :

La Russie teste sa nouvelle fusee
L'actu en vidéo - Publié le 23 décembre 2014

Le module Science destiné à l'ISS dont le montage a débuté dans les années 1990 est un autre exemple du retard de la Russie. Une multitude de pannes a empêché sa mise en orbite. Moscou envisage désormais un lancement en juillet, et Alexandre Kaleri espère en retour que la durée de vie de la station internationale sera prolongée au-delà de 2024 pour que ce laboratoire puisse être utile.

Cette liste de déconvenues ne désarçonne cependant pas Dmitri Rogozine, le patron nationaliste et anti-occidental de Roscosmos. A l'écouter, l'agence spatiale est capable de ramener des échantillons de Vénus et d'inventer une fusée pouvant effectuer cent allers-retours entre la Terre et l'espace. "Rogozine promet à Vladimir Poutine d'aller sur la Lune, sur Mars ou Vénus, mais ses promesses sont toutes pour les années 2030, lorsque ni l'un ni l'autre ne seront au pouvoir", déclare un ancien responsable de Roscosmos, sous couvert d'anonymat.

Pour les observateurs, la réalité est qu'il n'y a aucune ambition pour des projets scientifiques. "La priorité pour le Kremlin, ce sont les projets militaires, notamment le développement de missiles", relève l'expert spatial Vadim Loukachevitch. Vladimir Poutine vante ainsi en toute occasion ses projectiles hypersoniques qui peuvent frapper l'ennemi, selon lui, comme des "météorites".

>> Revoir l'émission de Temps présent de 1996 dédiée au centre spatial de Baïkonour, autrefois symbole de la puissance de l'URSS, peu à peu délaissé et privé de budgets :

Temps présent - Baïkonour: Fusées à la ferraille
Séquences spéciales - Publié le 8 avril 2021

Les tensions russo-américaines ont en outre fait dérailler la coopération spatiale, l'un des rares secteurs d'entraide préservés entre les deux ennemis géopolitiques. Le chef de Roscosmos fait l'objet de sanctions occidentales, et en février, Moscou a refusé de délivrer son visa au représentant de la NASA. Les Russes ont également renoncé à participer au projet international de station lunaire Gateway, conduit par les Etats-Unis, et dont les premiers modules doivent être lancés en 2024.

>> Revoir le sujet du 12h45 sur la NASA qui renonce au lanceur russe Soyouz, au profit du privé SpaceX, pour rejoindre la station spatiale ISS :

La Nasa utilise SpaceX, société de Elon Musk, pour rejoindre la station spatiale ISS, renonçant ainsi au lanceur russe Soyouz
12h45 - Publié le 16 novembre 2020

A la place du projet américain, Russie et Chine ont annoncé début mars un programme rival. Les deux pays projettent de construire une station "à la surface ou en orbite" de la Lune, où se concentrent de nouvelles ambitions spatiales avec Mars en ligne de mire. Basé sur le principe des "bénéfices partagés", le projet sera ouvert à "tous les pays intéressés et partenaires internationaux". L'agence russe Roscosmos et l'Administration spatiale chinoise (CNSA) n'ont toutefois pas préciser de calendrier ou les sommes investies. La mission devrait permettre selon les Russes d'évaluer des technologies permettant des opérations "sans pilote", dans la perspective d'une présence humaine sur la Lune.

Ce nouveau projet lunaire, s'il se concrétise, pourrait relancer Moscou dans la course avec l'aide d'un partenaire qui ne cache pas ses grandes ambitions spatiales, à l'heure où les Etats-Unis ont plusieurs longueurs d'avance. En attendant, d'année en année, les ressources de Roscosmos sont amputées. Annoncée en août 2020, la dernière coupe de 150 milliards de roubles représente plus de 10% du budget de 1'406 milliards de roubles (soit 15,65 milliards d'euros) prévu pour la décennie 2016-2025. Et à la différence des Etats-Unis, Roscosmos se méfie des partenariats public-privé, du type NASA-SpaceX, craignant que d'autres obtiennent "des budgets et contrats d'Etat", estime l'expert Vitali Egorov.

>> Lire également : Après la Lune en 2024, la NASA veut envoyer un astronaute sur Mars en 2033

A cela s'ajoutent la corruption, les pertes, pannes et retards qui s'expliquent aussi par le détournement de milliards de roubles. "Il ne reste pratiquement plus d'entreprises spatiales dont des responsables n'ont pas été limogés ou arrêtés. Aujourd'hui, le secteur est dirigé par des nouveaux venus sans formation dans les technologies spatiales", soupire encore l'ex-responsable de Roscosmos ayant voulu garder l'anonymat.

>> Réécouter le sujet de Forum sur le vide juridique autour de la conquête de l'espace, alors que des entreprises privées s'y intéressent de plus en plus :

Il y a actuellement plus de 20'000 débris spatiaux de plus de 10 cm de diamètres en orbite autour de la Terre. [Nasa]Nasa
Forum - Publié le 9 novembre 2019

Chapitre 5
Un 60e anniversaire fêté jusque dans l'espace

KESYTONE - Roscosmos Space Agency / AP

La capsule Soyouz MS-18 transportant deux cosmonautes et un astronaute s'est arrimée vendredi à la Station spatiale internationale (ISS). La mission honore le 60e anniversaire de l'envoi du premier homme dans l'espace, Youri Gagarine. "Contact! Le vol habité Soyouz MS-18 s'est arrimé avec succès au segment russe de l'ISS, après avoir effectué seulement deux tours de la Terre", a indiqué l'agence spatiale Roscosmos sur Twitter. Selon des images diffusées par la NASA et l'agence russe, la capsule a touché l'ISS à 11h05, soit deux minutes avant l'heure programmée. La fusée Soyouz s'était arrachée à la gravité terrestre quelques heures plus tôt du cosmodrome de Baïkonour. Pour l'occasion, le lanceur était décoré du profil blanc et bleu de leur illustre prédécesseur dont le vol légendaire remonte au 12 avril 1961.

LIVE NOW: Three space travelers are soon to be welcomed into their new home, the @Space_Station, after lifting off of Earth at 3:42am ET / 7:42am UT.

Watch the hatch opening of their Soyuz spacecraft – targeted for 9am ET/ 1pm UT: https://t.co/A8u9sWkjMI

— NASA (@NASA) April 9, 2021

"Tous les paramètres sont dans la norme", a noté à intervalle régulier le centre de contrôle qui a qualifié le vol de "normal". Environ neuf minutes après le décollage, la séparation du vaisseau Soyouz, baptisé pour l'occasion du nom de Gagarine, s'est faite sans encombre à environ 200 km d'altitude. Les Russes Oleg Novitski et Piotr Doubrov, ainsi que Mark Vande Hei de la NASA, partent pour un séjour de six mois sur l'ISS. A bord de la station, sept collègues les attendent. Deux Russes, Sergueï Ryjikov et Sergueï Koud-Svertchkov, et l'Américaine Kate Rubins doivent ensuite revenir sur la Terre le 17 avril. Peu avant le décollage, l'astronaute Mark Vande Hei a tweeté "Mettez la table du dîner pour 10 ce soir" à l'attention de ses futurs colocataires.

Lors de la traditionnelle conférence de presse pré-départ, les astronautes ont confirmé qu'ils célébreraient, le 12 avril, l'exploit de leur prédécesseur Gagarine. "Nous le fêterons ensemble", a noté Piotr Doubrov, pour qui il s'agit de la première mission spatiale. Vendredi, les trois hommes ont décollé de Baïkonour, comme Gagarine, mais d'un pas de tir différent du sien. Le cosmodrome russe est en cours de modification, au moins jusqu'en  2023, pour pouvoir accueillir la nouvelle génération de fusées Soyouz.

L'astronaute américain Mark Vande Hei (gauche) et les cosmonautes russes Oleg Novitsky (centre) and Pyotr Dubrov (droite), le 9 avril 2021, avant de partir pour un séjour de six mois sur la Station spatiale internationale dans le cadre d'une mission en l'honneur de Youri Gagarine. [CPK / Roscosmos]
L'astronaute américain Mark Vande Hei (gauche) et les cosmonautes russes Oleg Novitsky (centre) and Pyotr Dubrov (droite), le 9 avril 2021, avant de partir pour un séjour de six mois sur la Station spatiale internationale dans le cadre d'une mission en l'honneur de Youri Gagarine. [CPK / Roscosmos]

Le projet de la Station spatiale internationale, lancé en 2000, doit pour sa part arriver à son terme avant 2030 et aucun autre grand projet ne semble encore se profiler pour maintenir une coopération internationale équivalente. Les équipages, eux, restent les meilleurs promoteurs de la nécessité de s'entraider pour progresser. L'astronaute Mark Vande Hei a ainsi souligné jeudi que les puissances spatiales peuvent "faire plus de choses ensemble", en ajoutant qu'il espérait que la collaboration se poursuive.

>> Voir le sujet du 19h30 :

Il y a 60 ans, le soviétique Youri Gagarine devenait le premier humain à voyager dans l'espace
19h30 - Publié le 12 avril 2021

>> Revivre l'épopée Gagarine à travers les archives radio :

Le cosmonaute soviétique Youri Gagarine, premier homme dans l'espace. [Keystone - AP Photo]Keystone - AP Photo
L'archive du jour - Publié le 12 avril 2021