En Allemagne, après trois mois de "lockdown" strict, la culture fait de petits pas vers un retour à la normale. C'est à l'approche du second confinement qu'Aurélia Paumelle, créatrice de mode à Berlin, imagine le concept "Lockdown Project" pour lutter contre l'inactivité et la morosité.
La créatrice française met sa boutique de vêtements à la disposition de 43 personnalités du monde artistique berlinois, qu’elle habille avec ses créations. Chaque personne invitée a droit à une séance photos, ensuite dispersées sur les réseaux sociaux, pour montrer que le monde artistique continue d'exister malgré l’oisiveté forcée.
"Le but du jeu est forcément de garder une visibilité, mais c'est aussi une nouvelle manière de se soutenir, de créer du beau, explique Aurélia Paumelle. Avoir ces moments de partage et de joie nous permet de survivre émotionnellement."
Plus institutionnel, un projet pilote, débuté le 19 mars, voulait tester la réouverture de six établissements culturels. Les Berlinoises et Berlinois pouvaient réserver un ticket en ligne pour assister à une pièce de théâtre ou à un concert de Philharmonie avec un public réduit, après un test Covid effectué le jour-même. Cette initiative a été suspendue début avril en raison de la remontée du taux d'incidence dans la capitale, ruinant les espoirs des acteurs et actrices de la culture.
>> Lire aussi : La Philharmonie de Berlin renoue avec le public "et ça change de Netflix"
Les musées, eux, ont pu rouvrir à la mi-mars. Le public doit réserver un créneau d'entrée en achetant un ticket en ligne. Depuis quelques jours, l'accès est également conditionné à un test négatif. Malgré cela, les billets sont pris d'assaut et disparaissent en quelques minutes, signe de la soif de culture des Berlinoises et Berlinois.
A Rome, des leçons d'histoire en streaming
L'Italie est le premier pays européen à avoir été frappé par la pandémie, à avoir subi le confinement et la fermeture des musées, cinémas et théâtres. Depuis, la culture cherche de nouveaux modes de transmission.
La maison d'édition Laterza, à Rome, a voulu poursuivre des leçons d'histoire tenues normalement sur des scènes de théâtre depuis 2006. Menacées par la pandémie, ces conférences ont survécu grâce au streaming, explique Giuseppe Laterza, éditeur et organisateur de ces évènements.
"On a lié dix grands théâtres italiens virtuellement. Chaque leçon est donnée par un historien, elle est enregistrée puis publiée sur le web tous les dimanche après-midi." Est ensuite venue l'idée de monnayer ces conférences.
Pour 5 euros, les internautes peuvent accéder à une leçon d'une heure. "La réaction a été extraordinaire. On a vendu plus de 12'000 billets en quelques semaines, preuve qu'il y a un public qui aime l'histoire". Cette accessibilité virtuelle a également permis de toucher un public au-delà de l'Italie. "Certaines personnes accèdent à la plateforme depuis de petits pays, d'Europe, et même des Etats-Unis."
Laure Pepe est l'une des historiennes à avoir donné une leçon d'Antiquité depuis un théâtre vide, ensuite retransmise sur internet. "C'est une grande émotion que de retourner au théâtre où j'allais autrefois régulièrement", témoigne-t-elle. "C'est également une désolation que de voir des fauteuils vides et recouverts de cellophane. Néanmoins, grâce à la diffusion par streaming, le public atteint est assurément plus large que la capacité d'accueil d'un théâtre, surtout pendant cette période".
Grâce à plusieurs initiatives de ce type, la maison d'édition Laterza a profité d'un engouement renouvelé pour la lecture et a finalement très bien résisté à la crise. Jusqu'à faire dire à Giuseppe Laterza que c'était "une année extraordinaire, l'une des meilleures de ces dernières années". Même si elles espèrent bientôt retrouver le public dans les théâtres, les leçons d'histoire comptent poursuivre leur aventure virtuelle.
À Londres, le chant pour redonner le souffle aux malades
Au Royaume-Uni, où la culture est un secteur très important, des établissement tentent de défier la morosité ambiante tout en aidant les victimes de la pandémie. Depuis quelques mois, l’English National Opera propose, en partenariat avec l'un des plus grands hôpitaux du pays, des exercices vocaux aux patients qui souffrent d’une forme longue du Covid.
Le savoir-faire des chanteuses et chanteurs d'opéra en matière de souffle est ainsi mis au service des personnes pour qui respirer est devenu un effort. Ce programme inédit est baptisé "ENO Breathe" et plus de 1000 personnes sont déjà sur la liste.
Suzie Zumpe, professeure de chant et directrice artistique, explique l'importance de ce réapprentissage: "En temps normal, les gens ne sont pas forcément conscients de la manière dont ils respirent. Lorsqu'ils sont malades pendant longtemps, les patients oublient comment respirer normalement, ils n'ont plus souvenir de cet automatisme." Le cours collectif, qui dure six semaines via une application en ligne, fait travailler aux malades leur posture, leur respiration et le fonctionnement de leurs muscles faciaux.
L'un des participants, Wayne, la trentaine et très sportif, a développé une forme aiguë du virus. Contaminé en mars 2020, il ne s’est toujours pas complètement rétabli et souffre d’anxiété. Les techniques respiratoires ont amélioré son bien-être physique et émotionnel. "Lors des exercices, on devient totalement conscient de sa respiration et cela a un effet très apaisant. Sur le plan mental, penser à autre chose aide à chasser certains démons."
Parmi le groupe de 12 ex-malades à avoir testé le projet pilote en septembre à Londres, 90% ont signalé une nette amélioration de leur état général à l’issue du cours. Face au succès rencontré, le programme a été élargi à tout le pays. Les frais de 200 francs sont pris en charge par le système de santé britannique.
Cette thérapie de groupe musicale permet également aux patients de ne plus se sentir isolés. Ce projet s'est aussi avéré salutaire pour les chanteurs et producteurs, privés de représentations depuis plus d'un an, et qui peuvent rendre utile leur art. "ENO Breathe" compte ainsi élargir ce cercle vertueux au plus grand nombre possible. Une levée de fonds a été lancée pour prendre en charge 1000 malades du Covid long cette année, et le poursuivre en 2022.
À Athènes, un musée sur la genèse de l'Etat grec
En Grèce, tous les musées, théâtres et cinémas sont fermés, exception faite pour les sites antiques à ciel ouvert, qui ont pu rouvrir en mars dernier. Cette année, le pays fête le bicentenaire de la révolution de 1821 qui mit fin à quatre siècles d'occupation ottomane et mené à la construction de l'Etat moderne grec cinq ans plus tard.
À cette occasion, Athènes vient d'inaugurer un musée avec les oeuvres de cette période du 19e siècle. La nouvelle pinacothèque, à l'esthétique futuriste, fait corps avec l'ancien musée construit dans les années 1960. En plein centre de la capitale, l'édifice de trois étages accueille dans une surface de 21'000 m2 tout un pan méconnu de la culture grecque.
Maria Plaka Lambraki, directrice de cette "Galerie Nationale", explique sa singularité: "Sur les 20'000 œuvres qu’elle abrite, la plupart sont contemporaines du nouvel Etat grec, à partir duquel cet art a commencé à se développer. De ce fait, il constitue notre musée national”.
Ainsi, si la Grèce a déjà de nombreux musées, beaucoup retracent l'histoire de l'Antiquité, de l'époque byzantine ou encore les diverses traditions et modes de vie populaires. Aucun ne couvrait jusqu'ici la genèse de l'Etat grec, ni ne disposait des infrastructures de la nouvelle pinacothèque, comme un amphithéâtre, plusieurs salles de conférences, du travail éducatif pour les écoliers ainsi que des lieux d'études avec ordinateurs pour les étudiants. Pour la directrice, qui a porté le projet à bout de bras ces sept dernières années, cette Pinacothèque vient combler un vide culturel du pays.
Si la population grecque est très fière de son passé antique et byzantin, elle aimerait également montrer que son pays est bien ancré dans le présent. “La Grèce est profondément enracinée dans l'histoire mais il y a une fracture avec l'histoire moderne européenne, un élément qui lui manque, explique Léonidas, Grec retraité. Ce musée nous permet de nous sentir davantage en lien de parenté avec cette partie de la civilisation que nous le permettaient les marbres de l'Acropole”.
La Pinacothèque a symboliquement ouvert ses portes le 25 mars dernier, jour du bicentenaire de la révolution. Mais le public ne pourra pas le visiter avant juin. Sa directrice espère que cette galerie deviendra alors un "école de la Nation" et un passage obligé pour toute personne visitant la ville.
Catherine Ilic / Angélique Kourounis / Blandine Milcent / Eric Josef / Mouna Hussain