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La Nouvelle-Zélande veut mettre un terme au tabagisme par la prohibition

La Première ministre néo-zélandaise Jacinda Ardern. [New Zealand Herald/AP/Keystone - Mark Mitchell]
Devenir la première nation sans tabac, l’intention de la Nouvelle-Zélande / Tout un monde / 6 min. / le 21 avril 2021
La Nouvelle-Zélande envisage de devenir le premier pays sans tabac en 2025, par le bais d'interdictions radicales. Mais en Suisse, les spécialistes de la prévention doutent de l'efficacité de cette prohibition et en craignent les conséquences.

Le gouvernement néo-zélandais a fait une liste des mesures à mettre en place pour atteindre cet objectif ambitieux. Parmi les plus significatives figure la volonté d’interdire la consommation de tabac à tous les Néo-Zélandais nés après 2004, et qui auront donc 21 ans en 2025. Il s'agit donc de bannir ce produit pour toute une génération, et surtout de décourager les jeunes de commencer à fumer.

Pour parvenir à ses fins, la Nouvelle-Zélande prévoit aussi de fixer un prix minimum du paquet, de diminuer le taux de nicotine dans les produits ou encore de limiter les lieux de vente.

L'approche de la prohibition a montré dans le domaine des drogues illicites tous les effets négatifs qu'elle peut avoir.

Jean-François Etter

Ce projet des autorités néo-zélandaises est salué par certains, mais critiqué par d'autres. L'une des plus grandes craintes est de voir un marché noir se développer à l'échelle nationale.

"Ce qui est un peu plus problématique, c'est l'approche de la prohibition qui a montré depuis bien longtemps dans le domaine des drogues illicites tous les effets négatifs qu'elle peut avoir, notamment sur les droits humains", relève Jean-François Etter, professeur de santé publique à l'Université de Genève, mercredi dans l'émission Tout un monde.

Criminaliser une addiction

Ce spécialiste souligne notamment l'impact disproportionné sur les personnes des catégories sociales défavorisées ou celles qui souffrent de troubles de santé mentale, qui sont plus nombreuses à fumer. "On va imposer à ces groupes-là des mesures répressives, on va criminaliser une addiction", dit-il.

La prohibition du tabac a déjà existé et ça n'a pas mieux marché que sur l'alcool ou les drogues.

Jean-Félix Savary

Jean-Félix Savary, secrétaire général du Groupement romand d'étude des addictions (GREA), rappelle qu'historiquement une telle prohibition du tabac n'est pas une première.

"Quand c'est arrivé dans l'Empire ottoman, on a inventé la peine de mort pour la consommation du tabac", rappelle-t-il. "Et très rapidement, on fumait tellement qu'on a maintenant l'expression 'fumer comme un Turc'. On n'a pas l'habitude de parler de prohibition pour le tabac, mais on sait que ça a déjà existé et que ça n'a pas mieux marché que sur l'alcool ou sur les drogues, alors même que c'est de loin le psychotrope qui tue le plus".

En Nouvelle-Zélande, le tabagisme est responsable d'un décès sur quatre, et le peuple autochtone des Maoris est le plus concerné - surtout les femmes, avec 30% de fumeuses.

Il faut que la prohibition corresponde à la société dans laquelle on vit.

Jean-Félix Savary

Un autre risque est que cette approche par la prohibition se fasse au détriment de la prévention. Mais la Première ministre néo-zélandaise semble prête à le prendre. "Jacinda Ardern vient d'une culture de l'abstinence totale, pas de café, rien du tout… C'est ce qu'elle dit dans les interviews", constate Jean Félix-Savary.

"On peut être dans cette posture-là, il y a beaucoup d'Etats où l'alcool est interdit par exemple. Mais il faut que ce soit cohérent avec la culture, il faut que cela corresponde à la société dans laquelle on vit".

En Europe occidentale, on est clairement dans des sociétés libérales, avec des principes assez importants sur les droits humains, rappelle le secrétaire général du GREA. "De dire qu'on va infliger un interdit à un tiers de la population qui a un problème avec ce produit, c'est quelque chose qui ne correspond pas à notre culture".

On peut réduire la proportion de fumeurs sans arriver pour autant à une interdiction.

Jean-François Etter

Ce qui est peut-être possible en Nouvelle- Zélande ne l'est donc pas forcément en Europe et notamment en Suisse.

Pour Jean-François Etter, professeur à l'Institut de santé globale de l'Université de Genève, il faut plutôt considérer les solutions existantes comme l'interdiction de la publicité, l'éducation, les campagnes ou les aides à l'arrêt du tabac notamment. "Si on met tout ça en place avec une forte volonté politique", dit-il, "on peut aussi réduire la proportion de fumeurs sans arriver pour autant à une interdiction et donc à une criminalisation du comportement".

Faire reculer encore la proportion de fumeurs

Le professeur ne croit guère en un pays totalement débarrassé du tabac, mais il croit en une société composée d'une minorité de fumeurs.

"Ce qui est plausible, c'est qu'il y aura encore une réduction substantielle de la proportion de fumeurs, surtout parmi les nouvelles générations, mais pour autant que les politiques de prévention continuent", avertit Jean-François Etter. "Ce n'est jamais définitif, il peut y avoir une volonté politique aujourd'hui qui n'existera plus dans quelques années. Et à ce moment-là, la proportion de fumeurs va augmenter".

Les deux spécialistes suisses rappellent que le principal problème, pour la santé des fumeurs, est la combustion du tabac. Si on remplace cette combustion par des produits qui ne sont pas brûlés, on fait déjà un pas non négligeable en termes de santé publique.

Natacha Van Cutsem/oang

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