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"Des Etats ont utilisé le Covid-19 pour réprimer", regrette Agnès Callamard

Agnès Callamard. [AFP - Fabrice Coffrini]
L'invitée de La Matinale - Agnès Callamard, secrétaire générale d'Amnesty International / L'invité-e de La Matinale / 10 min. / le 23 avril 2021
La Française Agnès Callamard a été nommée fin mars à la tête d'Amnesty International pour quatre ans. Son but: être le "sparadrap du capitaine Haddock" des autocrates de la planète. Invitée de La Matinale, elle est revenue sur les défis qui l'attendent.

Jusque-là rapporteuse spéciale de l'ONU sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires, Agnès Callamard avait mené des enquêtes sur l'assassinat du journaliste Jamal Khashoggi en 2018, attribué à l'Arabie saoudite, et sur la mort en 2020 du général iranien Qassem Soleimani dans une frappe aérienne américaine jugée "illégale".

En 2017, le président des Philippines Rodrigo Duterte digère mal ses critiques sur sa politique antidrogue et menace de la gifler après l'avoir couverte d'insultes. Plus récemment, un haut responsable saoudien a menacé à deux reprises de "s'occuper" d'Agnès Callamard si les Nations unies ne freinaient pas ses ardeurs.

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Dans son combat face aux puissants, la nouvelle secrétaire générale d'Amnesty est influencée par les gens avec lesquels elle travaille pour ne pas céder à la peur. "Ce n'est pas que je refuse d'avoir peur. Je suis inspirée par le courage des gens avec qui je travaille. Alexei Navalny, par exemple, ou les jeunes manifestants en Birmanie. Eux font preuve de courage", explique-t-elle vendredi dans La Matinale.

Agnès Callamard voit en Amnesty une plateforme d'actions "incroyable". "J'espère pouvoir faire beaucoup de choses. Lorsque j'étais rapporteure aux Nations unies, j'étais seule. Amnesty, c'est une organisation avec 10 millions de membres, avec une longue histoire et une légitimité", confie-t-elle.

Peine de mort: ne pas arrêter le combat

L'ONG a récemment publié son rapport annuel sur le nombre d'exécutions capitales dans le monde. Résultat: 483 personnes ont été exécutées en 2020. Un chiffre en baisse, mais qui ne prend pas en compte la Chine "qui exécute dans le secret", rappelle Agnès Callamard.

Cette tendance à la baisse ne veut pas dire qu'il faut arrêter le combat, estime la Française au regard de l'évolution du droit international, des pratiques des Etats et de l'état d'esprit des populations.

"Il n'y a aucun doute que, pour la vaste majorité de la population, la peine de mort est quelque chose du passé. Lorsqu'elle est pratiquée, on se rend compte qu'elle est la peine des pauvres, des classes minoritaires: des noirs en Amérique, des immigrés dans les pays du Golfe. Elle s'applique aux gens qui n'ont pas les moyens de se défendre. C'est extrêmement cruel et extrêmement discriminatoire", lance Agnès Callamard sur la RTS.

Recul des droits fondamentaux lié au Covid

Pour Amnesty International, la récente pandémie de Covid-19 a également entraîné un recul des droits fondamentaux.

"Le Covid a fait reculé la démocratie. De nombreux Etats l'ont utilisé pour réprimer ou adopter des droits contre le droit de manifester, contre la liberté d'expression. A travers le monde, nous avons vu des pays qui ont donné à la police des pouvoirs plus importants qu'avant. Que ce soit au niveau de l'usage de la force, des lois adoptées qui sont liberticides ou de la liberté d'opinion, toute cette période a vu une régression très nette", analyse Agnès Callamard.

Et de donner un exemple de cette dérive: "Aux Philippines, le président a demandé à la police de tuer ceux qui osent briser le couvre-feu. Mais qui sort pendant le couvre-feu? Ce sont les plus pauvres. Les victimes des violences policières durant la crise du Covid sont ceux qui n'avaient pas le choix, qui devaient sortir pour chercher à manger."

Propos recueillis par David Berger

Adaptation web: Jérémie Favre

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