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Ukraine: ligne rouge, guerre grise

Le président ukrainien Volodymyr Zelenski était chez Emmanuel Macron la semaine dernière. Demandant à nouveau le soutien des Européens face aux manœuvres russes, répétant le souhait que son pays adhérât à l’OTAN et à l’Union européenne. Il a été reçu avec beaucoup de bienveillance, il est reparti avec peu de certitudes.

L’Ukraine est dans une situation délicate. Une partie de son territoire est déjà aux mains de séparatistes pro-russes. Le Donbass bruisse de coups de canon. La trêve n’y est plus respectée. Les Russes ont mobilisé pendant plusieurs semaines des troupes imposantes le long des frontières jouant de la provocation, guettant le prétexte opportun, laissant grandir la menace d’invasion.

Mais il faut écouter Zelenski. Ce n’est pas une affaire régionale, plaide-t-il. Ce n’est pas la sécurité de l’Ukraine qui est jeu. C’est la sécurité de toute l’Europe, et ce serait une erreur de croire que le lointain ne nous concerne pas. Il a résumé la situation dans une allégorie charmante mais très bourgeoise, confiée au journal Le Figaro : « Nous ne pouvons pas sortir ensemble pour toujours, comme d’éternels fiancés, dit-il, il faut légaliser nos relations, faire des enfants, c’est-à-dire, d’un point de vue allégorique, envisager un avenir commun».

André Crettenand - 2019. [RTS - Jay Louvion]
André Crettenand - 2019. [RTS - Jay Louvion]

C’est une alerte précieuse même si elle a peu de chance d’être entendue. La France hésite sur sa politique russe. Emmanuel Macron dit s’être trompé sur Poutine mais il garde son rêve de l’amadouer comme il espérait circonvenir Trump. Angela Merkel tient à son gazoduc Nord Stream 2 et aux livraisons de gaz russe, essentielles pour assurer la transition énergétique de l’Allemagne.

La demande d’adhésion à l’OTAN embarrasse tout le monde, y compris les Américains. Ni les uns, ni les autres ne veulent être entraînés automatiquement dans un conflit guerrier à cause de ce pays malencontreusement situé sur la carte, comme on le disait autrefois de la Pologne, coupable d’être là-bas.

Les Occidentaux ont choisi de dessiner des « lignes rouges ». A la fois plus éclatantes, et en même temps, plus flottantes. Sujettes à interprétation, qui vous laissent libres d’agir ou non, de peser les conséquences, de minimiser la situation.

Des lignes rouges et une zone grise. Car la guerre n’est plus immédiate et ouverte. C’est un ensemble d’actions, aussi bien sur le terrain qu’à distance, distillées dans le temps. Mouvements visibles aux frontières, préparatifs inhabituels sous couvert d’exercices. Hacking de centres névralgiques. Travail d’influence sur les opinions intérieures adverses. Vérités alternatives instillées sur les réseaux. Les stratèges commencent à en faire la recension et à décrypter cette guerre d’un nouveau genre.

La guerre froide glaçait les attitudes dans un équilibre de la terreur. La guerre « grise » échauffe les esprits. L’arsenal des mesures doit créer un climat particulier chez l’adversaire qui peine à lire les intentions réelles, hésite sur le degré de riposte, échoue à mobiliser ses alliés. A tel point que la perte d’un bout de territoire puisse être considéré comme un moindre mal.

Zelenski sait de quoi il parle. Il a perdu la Crimée et voit le Donbass lui être âprement disputé. Il est la victime de cette guerre du 21 siècle. Le comédien facétieux qu’il fut affronte le tragique de l’histoire.

André Crettenand

andre.crettenand@rts.ch

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