En Inde, la crise sanitaire est si violente "qu'il n'y a plus vraiment de moyen de se protéger"
L'Inde, quatrième pays le plus endeuillé par la crise sanitaire, a dépassé mercredi les 200'000 morts avec plus de 3000 décès signalés en 24 heures pour la première fois, selon les données officielles.
Jeudi, le bilan a été encore plus grave avec 3645 décès, un nouveau record, et près de 380'000 nouvelles contaminations. Le bilan des victimes atteint désormais 204'832.
Des bûchers sur les parkings
Sur place, cette situation est vécue avec effroi. "Depuis quelques jours, ce qui m'horripile le plus est de voir les crématoires déborder de monde, à tel point que les gens y travaillent 24 heures sur 24, raconte le correspondant pour la RTS Sébastien Farcis. Ils sont désormais obligés d'élever des bûchers sur les parkings et les parcs adjacents et une fumée noire sort peu partout de la ville. La mort nous entoure."
Le journaliste se dit frappé par la fulgurance de la pandémie. "Les hôpitaux sont complètement pris d'assaut. Des gens font la queue devant les établissements hospitaliers avec des bonbonnes d'oxygène qui sont souvent vides au moment où ils arrivent, et ils ne peuvent pas être admis."
Pour Sébastien Farcis, qui avoue avoir décidé d'arrêter de sortir de chez lui par sécurité, la situation est tellement violente "qu'il n'y a plus vraiment de moyen de se protéger. Le virus est extrêmement contagieux et aller sur le terrain aujourd'hui, c'est risquer sa vie".
Les campagnes pas épargnées
Comme lors de la première vague, la pandémie de coronavirus a d'abord touché les villes, explique le correspondant. "New Dehli et Bombay sont clairement les deux villes les plus touchées en Inde car ce sont les portes d'entrée du pays pour les visiteurs et donc pour le virus, mais aussi parce que la population des campagnes y afflue régulièrement."
Le virus se répand désormais progressivement dans les villes moyennes, selon Sébastien Farcis. "La crise va sûrement s'accentuer. Cette deuxième vague va durer plusieurs mois et les campagnes vont également être touchées avec un désastre que l'on peut encore difficilement prévoir."
"Les groupes WhatsApp, qui servaient avant pour échanger des bonnes nouvelles ou des messages professionnels, se transforment en appels de détresse continus pour de l'oxygène ou un lit d'hôpital", ajoute le journaliste.
Manque de préoccupation et de ressources
D'après Sébastien Farcis, la catastrophe sanitaire indienne découle de plusieurs facteurs. D'abord, "le pays avait arrêté de se préoccuper du virus". Avec peu de cas détectés, l'Inde pensait avoir surmonté le virus. "Puis les différents variants beaucoup plus contagieux sont arrivés et l'immunité que nous avions en quelque sorte construite à la suite de la première vague s'est effondrée."
Les infrastructures du pays ne sont par ailleurs pas prêtes à faire face à cette crise, constate le correspondant. "Devant une telle vague et un tel besoin soudain en oxygène, le pays n'a pas les ressources nécessaires. L'Inde a peu investi dans les infrastructures sanitaires. C'est ce sous-investissement que l'on paye aujourd'hui et qui fait que l'on est obligé de demander de l'aide au monde entier."
En outre, le journaliste estime que le gouvernement indien fait preuve d'une "certaine irresponsabilité". Selon lui, les dirigeants ne veulent pas perdre la face "et nient l'ampleur du problème", alors qu'il y a deux semaines encore, ils acceptaient que des millions de pèlerins hindous aillent se réunir au bord du fleuve Gange pour le festival religieux de la Kumbh Mela.
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Propos recueillis par Juliane Roncoroni
Adaptation web: Isabel Ares
Les différents facteurs qui ont conduit à la catastrophe
Pour expliquer la situation très préoccupante en Inde, plusieurs facteurs sont à prendre en compte, a rappelé le géographe et politologue Jean-Luc Racine jeudi dans La Matinale.
"D'un côté, il y a eu un optimisme exagéré du gouvernement. Début février, on relevait dans les statistiques officielles 10'000 nouveaux cas par jour et le Premier ministre avait vanté l'efficacité de son premier confinement (…) Le problème, c'est que la pandémie ne se maîtrise pas de façon linéaire. Et donc, lorsque la deuxième vague est arrivée, les choses n'ont pas été prises en compte suffisamment sérieusement."
Jean-Luc Racine souligne également le rôle des nouveaux variants, le britannique qui a fait des ravages à New Dehli, puis le variant indien.
Mais il y a eu aussi la campagne électorale dans cinq Etats, dont certains très peuplés, avec "des foules ne respectant pas la distanciation sociale, ne portant pas nécessairement de masque. Le grand pèlerinage annuel dans la vallée du Gange, avec plus d'un million de pèlerins se baignant dans le fleuve, a aussi aggravé les choses".
Pas assez d'investissements dans la santé
Un autre problème est dû à la taille de l'Inde, rappelle ce spécialiste, avec presque 1,4 milliard d'habitants. Et l'investissement indien dans le domaine de la santé est resté trop faible. "Le manque de prévisions a fait que l'on se retrouve dans cet état dramatique où les hôpitaux manquent d'oxygène."
Le géographe rappelle cependant que le taux de mortalité reste nettement inférieur à celui de nombreux pays européens notamment.