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En Syrie, l'aide humanitaire dénonce des attaques sur les hôpitaux

Une ambulance a été détruite lors d'une frappe aérienne dans la ville d'Atareb, le 15 novembre 2016. [Reuters - Ammar Abdullah]
Syrie : l'aide humanitaire dénonce la banalisation des tirs sur les hôpitaux / Tout un monde / 6 min. / le 30 avril 2021
En Syrie, l'hôpital d’Atareb, près d'Idlib, a été visé le 21 mars dernier par des tirs faisant six morts et quinze blessés. Le personnel humanitaire dénonce la banalisation des attaques perpétrées contre les établissements de santé, censés être protégés par le droit international.

La première Convention de Genève datant de 1864 consacre l'inviolabilité des infrastructures de soins qui doivent être protégées et respectées par les belligérants dans un conflit. Il n'est ainsi pas possible en principe de tirer sur les ambulances, ni sur les hôpitaux. Cependant, dans de nombreux conflits, cette convention est violée et les attaques contre les hôpitaux sont passées sous silence ou qualifiées d'erreurs.

C'est le cas notamment en Syrie avec cette attaque contre l'hôpital d'Atareb, à l'est de la région d'Idlib. Une foule de patients, en majorité des personnes âgées et des enfants, se trouvait devant l'établissement lorsqu'une explosion fracassante a retenti.

"Tout d'un coup, j’ai été projeté contre le mur par le souffle de l’explosion, témoigne un infirmier de l'hôpital vendredi dans l'émission Tout un Monde. L’air était rempli de poussière, tout était blanc et on ne pouvait rien voir. J’ai commencé à entendre des cris de patients qui demandaient de l’aide. Je voulais aller les secourir, mais je n’avais pas encore réalisé que j’étais blessé. C’est à ce moment-là que la seconde frappe a touché l’hôpital."

Réouverture de l'hôpital

Au total, six personnes ont été tuées et quinze, dont six soignants, ont été blessées. "Après la seconde attaque, l'électricité a été coupée, nos machines ne fonctionnaient plus et on faisait tout manuellement, renchérit un assistant chirurgical. Puis, quand la troisième bombe est tombée, tout s’est arrêté. Je soignais mes collègues alors que j'étais avec eux quelques instants auparavant. On était épuisés et on avait peur d'être les prochains."

Dégâts causés par la triple attaque sur l'hôpital d'Atareb, le 21 mars 2021. [KEYSTONE - Ghaith Alsayed / AP Photo]
Dégâts causés par la triple attaque sur l'hôpital d'Atareb, le 21 mars 2021. [KEYSTONE - Ghaith Alsayed / AP Photo]

La population d'Atareb a déjà connu la violence des bombardements sur un hôpital, mais depuis un an et la signature d'un cessez-le-feu, les habitants de la région commençaient à souffler et se croyaient presque en sécurité. Malgré les attaques, le personnel médical estime qu'il est de son devoir de rester et d'aider la population civile.

>> Relire : Recrudescence des attaques contre les organismes de santé en Syrie

La plupart des blessés graves ont pu être transportés jusqu'en Turquie, de l’autre côté de la frontière, afin d'y être soignés. Début avril, même si les dégâts sont encore importants, l’hôpital d’Atareb a rouvert car il s'agit du seul centre médical de la zone et les besoins de la population sont énormes.

Un conflit qui s'enlise

Quelques heures après cette triple attaque, le poste frontière de Bab al-Hawa a lui aussi été visé et plusieurs camions remplis d’aide humanitaire ont été détruits. Ce poste, qui fait frontière avec la Turquie, est le dernier point encore ouvert pour approvisionner la région d'Idlib et permet à l'aide humanitaire d'atteindre les territoires en dehors du contrôle de Damas et des forces pro-Assad.

>> Revoir le décryptage de Géopolitis sur les humanitaires régulièrement pris pour cible :

Un convoi d'aide du CICR à Daraya en Syrie. [Keystone]
L'Humanité en danger / Geopolitis / 16 min. / le 5 février 2017

Après avoir fait fermer les précédents postes, la Russie fait aujourd'hui pression pour supprimer ce point de passage qui constitue une aide essentielle pour les quatre millions d'habitants qui survivent dans la région. Avant la révolution, ce gouvernorat comptait 1,3 million d'habitants, qui ont dû abandonner leur maison afin de fuir les violences. Actuellement, ils vivent pour la plupart dans des logements précaires ou sous des tentes.

>> Lire aussi : En Syrie, une décennie de guerre

Les conditions de vie se sont nettement améliorées ces derniers mois, mais elles restent très précaires et les dispositifs médicaux, comme les soignants, manquent cruellement pour prendre soin d’une population épuisée par dix ans de guerre. Depuis cette attaque ciblée à Atareb, les bombardements n'ont pas cessé contre la population civile de la région d'Idlib. Les avions russes et du régime lâchent quasi quotidiennement leurs obus sur des habitations, malgré la signature d’un cessez-le-feu début mars 2020.

Edith Bouvier et Hussam Hammoud/iar

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Possible attaque russe

Les témoins de l'attaque sur place ont entendu le bourdonnement d'un drone au-dessus de la zone de l'hôpital, quelques instants avant la frappe. Dans les heures qui ont suivi, le personnel de l’établissement a pu récupérer des débris et des pièces. Selon les premières investigations, il s'agirait d'obus d'artillerie à guidage laser, connus sous le nom de "Krasnopol" et guidés précisément vers leur cible par un drone russe ou syrien. L'ONU a demandé des explications à Moscou, sans obtenir de réponse.

Ces dernières années, de nombreux hôpitaux situés dans les territoires contrôlés par les insurgés ont volontairement partagé leurs coordonnées GPS avec les Nations unies, et donc avec la Russie alliée de Bachar al-Assad, dans le cadre d'un système géré par l'organisation mondiale appelé "déconfliction humanitaire".

Celui-ci ne semble cependant pas améliorer la situation. Au contraire, il semblerait que les informations des centres médicaux ou des écoles inscrites sur la "liste d'exclusion" ont été utilisées pour localiser et détruire les hôpitaux, ce qui est contraire à l'intention initiale de l'ONU.

Multiplication des attaques contre les établissement sanitaires

Il s'agit de la cinquième attaque contre les soins de santé enregistrée depuis le début de l'année 2021. L'ONG Physicians for Human Rights dit avoir corroboré des rapports faisant état de 566 attaques distinctes contre un total de 348 installations médicales en Syrie entre mars 2011 et mai 2019. Près de 900 travailleurs médicaux auraient ainsi perdu la vie dans ces attentats. En outre, 509 des incidents enregistrés, soit 90% des attaques, ont été attribués au gouvernement syrien ou à ses alliés.

Depuis le début du conflit, les médecins pour les droits de l'homme ont documenté près de 600 attentats contre les soins de santé, alors que l'expérience passée montre que toute augmentation des attaques contre les soins de santé dans le nord-ouest du pays peut être le signe avant-coureur d'une nouvelle escalade de la violence dans la région.