Le 10 mai 1981, François Mitterrand était élu avec près de 52% des voix face au sortant Valéry Giscard d'Estaing. Sa victoire était, entre autres, le fruit de dix ans d'une stratégie patiente: d'abord reconstituer un grand Parti socialiste, en prendre la direction, marginaliser ses concurrents, notamment Michel Rocard, puis faire alliance avec les communistes, sans qui rien n'était alors possible.
Réélu en 1988, François Mitterrand est resté 14 ans au pouvoir (dont quatre de cohabitation avec la droite). C'est un record, puisque le seul président à avoir lui aussi accompli deux mandats, Jacques Chirac, y est resté 12 ans, après un septennat et un quinquennat. Le chef de l'Etat est décédé à l'âge de 79 ans en 1996, moins d'un an après avoir quitté le pouvoir.
La "Mitterrandie" s'est retrouvée dimanche au Creusot, en Saône-et-Loire, à l'invitation du maire socialiste David Marti, pour célébrer cette anniversaire: l'ancien président François Hollande, les anciens Premiers ministres Lionel Jospin et Bernard Cazeneuve ou la maire de Paris Anne Hidalgo étaient notamment présents. Plusieurs tables rondes ont été organisées, d'où ressortait un fort sentiment de nostalgie, alors que le Parti socialiste traverse une grave crise.
Une quasi-certitude
Alors conseiller de François Mitterrand, Jacques Attali a participé à l'ascension de la gauche puis à sa victoire. Il en a écrit plusieurs livres, dont récemment encore "Il y aura d'autres jolis mois de mai", un message d'espoir pour la gauche française à une année de la présidentielle de 2022.
Invité lundi de La Matinale de la RTS, il se souvient en particulier de l'annonce du résultat ce 10 mai 1981. "Nous étions quelques-uns réunis dans le bureau du candidat qui était, lui, dans sa circonscription électorale. Ce n'était qu'une confirmation, puisque c'était une quasi-certitude pour nous avec la stabilité des sondages depuis des mois."
Mais pour Jacques Attali, la vraie campagne passionnante s'était déroulée sept ans plus tôt après la mort de Georges Pompidou. Alors qu'il n'avait que 30 ans, François Mitterrand lui avait demandé de diriger sa campagne, "qui était une campagne surprise puisque le président de la République était mort sans qu'on s'y attende vraiment".
La gauche a perdu de justesse face à Valéry Giscard d'Estaing en 1974, mais "c'était passionnant", se souvient-il. "1981, c'était un remake gagnant d'une campagne qui fut passionnante."
Le vaste chantier des réformes
Dès son arrivée au pouvoir, François Mitterrand avait lancé de vastes et nombreuses réformes, comme l'abolition de la peine de mort, la retraite à 60 ans, des nationalisations de banques et d'industries, une hausse du salaire minimum et des allocations familiales, la libéralisation des ondes de radio et de télévision ou encore la décentralisation.
Sept ans plus tard, alors qu'il se représentait à nouveau, le président socialiste n'avait plus vraiment de programme. Aurait-il mieux fait alors de ne pas se représenter? "Je ne crois pas", répond son ancien conseiller, "parce que Jacques Chirac aurait alors été élu et à l'époque il n'était pas aussi démocrate qu'il le fut lorsqu'il fut élu président quelques années plus tard."
Jacques Attali aurait "bien sûr" préféré que François Mitterrand ait un projet. "Mais ni la gauche ni la droite en France n'ont pensé à un nouveau programme, à de nouvelles valeurs, de nouveaux changements" en 1988, souligne l'économiste. "Et c'est pareil aujourd'hui en Europe", poursuit-il, "nous assistons à des querelles de personnes et très peu souvent des querelles de projets pour s'adapter aux changements qui sont nécessaires" partout dans la société.
François Hollande critique la gauche
Interrogé lundi sur France Inter, un autre ancien président socialiste, François Hollande, a estimé que "le problème" de la gauche française est qu'elle "ne propose rien". "La gauche est toujours en train de rechercher je ne sais quelle union, de provoquer je ne sais quelle réunion, d'assurer qu'elle va se mettre d'accord alors qu'en fait elle ne se met d'accord sur rien", a-t-il critiqué.
"Ce que je propose", a fait valoir François Hollande, c'est qu'"une force socialiste (...) fasse un projet, un programme, et l'ouvre à la discussion, avec des partenaires, avec les Français", car "le premier acte de la politique, c'est des idées, (...), de la proposition, pas simplement de la gesticulation, de la combinaison, des arrangements, des tables rondes".
Interrogé au sujet de la gauche actuelle, Jacques Attali estime aussi qu'elle doit se rassembler autour de différents thèmes comme le redressement industriel, la justice sociale, l'écologie ou une plus large démocratie.
Mais il insiste aussi sur "les grands thèmes de mœurs qui vont dominer les trente prochaines années comme la protection des enfants, le droit des enfants, le droit à l'enfance". "On a vraiment un ensemble de réformes majeures à conduire" dans ce domaine, souligne-t-il.
Propos recueillis par Julien Bangerter
Adaptation web: oang/boi
Une possible élection de Marine Le Pen
A une année de la prochaine présidentielle en France, Jacques Attali ne croit guère dans les chances de la gauche, même si "rien n'est jamais vraiment certain". Personne ne s'attendait à l'élection de Nicolas Sarkozy, de François Hollande ou d'Emmanuel Macron, qui sont d'ailleurs arrivés sans programme, rappelle-t-il. "Donc tout est possible".
Pour lui, le plus vraisemblable, "malheureusement", est cependant que Marine Le Pen (Rassemblement National) soit élue. "J'espère que ce ne sera pas le cas, mais si on continue à ne rien lui opposer de sérieux, elle sera élue. Ce ne sera pas sur un projet, elle n'en a pas, mais sur un vide, par le souci qu'on observe en France et dans beaucoup de pays, de dégagisme, de se débarrasser de ceux qui sont là pour faire autre chose."