En 2020, le nombre de Chinois s'élevait officiellement à 1,41 milliard d'habitants. Par rapport au précédent recensement effectué en 2010, cela représente une progression de 72 millions d'habitants, soit une hausse de 5,38% en dix ans, a précisé devant la presse le Bureau national des statistiques (BNS).
La publication des résultats de ce recensement, attendus début avril, a été retardée de plusieurs semaines, alimentant l'idée selon laquelle les chiffres seraient embarrassants pour le régime communiste.
Car, officiellement, la Chine devrait atteindre son pic démographique vers 2030 avant d'amorcer une décroissance et se faire dépasser par l'Inde. Mais le rythme du ralentissement des naissances et la croissance historiquement faible de la population identifiés dans le rapport pourraient raccourcir l'échéance de plusieurs années.
Une force de travail qui diminue
La démographie est un sujet extrêmement sensible pour la Chine. Telle une épée de Damoclès, elle est suspendue au-dessus du "rêve chinois" du président Xi Jinping. Un déclin de la population menace de faire trébucher le pays sur le chemin du développement. Avec un nombre de retraités en augmentation et de moins en moins d'actifs pour les soutenir, le ralentissement actuel de l'économie chinoise pourrait encore s'accentuer.
Interrogé dans Tout un monde, Yi Fuxian, démographe à l'Université de Wisconsin-Madison, explique: "Ça vient contrarier les ambitions du gouvernement chinois qui martèle que la Chine va supplanter l'Amérique à la tête de l'économie mondiale. Mais avec une force de travail qui diminue rapidement, Pékin n'y arrivera pas. La Chine sera rattrapée par le problème des retraites, la sécurité sociale et l'augmentation drastique des coûts de la santé. Si l'économie ralentit et que les dépenses augmentent, le gouvernement n'aura pas assez d'argent."
Ca vient contrarier les ambitions du gouvernement chinois qui martèle que la Chine va supplanter l'Amérique à la tête de l’économie mondiale. Mais avec une force de travail qui diminue rapidement, Pékin n’y arrivera pas.
Un marché chinois en berne
La Chine n'a pas intérêt à reconnaître la gravité de la situation, estime le chercheur chinois basé aux Etats-Unis. Ses autorités brandissent volontiers la taille de son marché pour attirer les capitaux mais aussi pour intimider et mettre au pas les puissances étrangères.
"Les investisseurs internationaux sont trompés", affirme Yi Fuxian. "Les grands acteurs investissent en Chine, attirés par son gigantesque marché et une demande prometteuse. Dans les faits, la population vieillit. Et une population vieille et retraitée n'a pas d'argent à dépenser. Le marché chinois va se rétrécir. L'étranger pense à tort que l'économie chinoise se porte bien. Ils sont ravis d'investir en Chine. Mais ils verront que les rendements ne seront pas au rendez-vous et opteront pour d'autres pays."
Ces dernières décennies, la Chine a pu capitaliser sur une abondante main-d'œuvre bon marché pour alimenter la croissance. Au moment où la machine ralentit, la diminution du nombre de Chinois en âge de travailler devrait déboucher sur des salaires plus élevés. Cette hausse du coût de la main-d'œuvre pourrait avoir un impact négatif sur les investisseurs.
Les problèmes liés à la bombe à retardement démographique sont multiples et menacent le développement même du pays.
Relancer les naissances
Les autorités envisagent diverses solutions pour stimuler les naissances. De nombreux experts plaident pour un renforcement du système social et des subventions conséquentes octroyées aux familles. Les incitations sont en effet jugées insuffisantes en Chine actuellement. Le succès de potentielles politiques natalistes reste cependant incertain. Abolie en 2015, la politique de l'enfant unique semble avoir été intériorisée par les jeunes Chinois. En outre, l'abrogation du contrôle des naissances n'a pas donné lieu à un rebond de la natalité.
L'augmentation du coût de la vie, la pression sur l'immobilier, l'émancipation des femmes au fil du développement économique sont autant de facteurs qui ont transformé la société. Le nombre de mariages diminue alors que les divorces sont en augmentation. Dans ces conditions, relancer la natalité est un défi de taille.
"C'est bien trop tard", tonne Yi Fuxian. "La Chine aurait dû mettre un terme à la limitation des naissances il y a 30 ans, lorsque le taux de fécondité était déjà en dessous de 2,1 enfants par femme, soit le taux minimal pour garantir le remplacement de la population. En 1991, le taux de fécondité en Chine était de 1,8 enfant par femme. C'est là qu'il fallait mettre fin à la politique de l'enfant unique. Or la Chine a attendu 2015."
Face à l'enjeu, Pékin se veut rassurant: il n'y a pas encore de véritable pression sur la main d'œuvre, les réserves sont suffisantes. Les autorités chinoises mettent en garde contre les prévisions pessimistes: "La Chine n'est pas un pays comme les autres". Une sérénité qui contraste avec un récent rapport de la Banque centrale de Chine: "Les pays développés ont généralement atteint un âge avancé lorsqu'ils avaient des revenus élevés, autour de 30'000 dollars par habitant… Chez nous, il n'est que de 10'000 dollars", s'est alarmée l'institution.
Xi Jinping promet une Chine prospère, moderne et forte d'ici 2049. Un rêve menacé par le repli démographique. De quoi mettre en péril les ambitions mondiales du dirigeant le plus puissant depuis Mao Zedong.
Michael Peuker/aq
Des chiffres biaisés?
Les chiffres annoncés ne convainquent pas Yi Fuxian, démographe à l'Université de Wisconsin-Madison aux Etats-Unis: "Le gouvernement chinois annonçait déjà l'an dernier que la population avait atteint 1,4 milliard d'habitants, mais la population s'élève selon moi plutôt à 1,28 milliard. Derrière l'Inde qui est à 1,38 milliard." La population chinoise serait donc déjà moins nombreuse que sa grande rivale et le déclin aurait déjà débuté.
Même en Chine, beaucoup doutent en coulisses de la situation démographique réelle du pays. "Les données sont gonflées car elles se basent sur les permis de résidence. Or, un permis de résidence confère de nombreuses aides et subventions à son détenteur dans la localité où il est enregistré. A la naissance d'un enfant, certains parents enregistrent leur bébé deux fois. L'enfant aura donc deux cartes d'identité et sera comptabilisé deux fois dans le recensement", explique Yi Fuxian.
Les gouvernements locaux ont sans doute conscience de ce biais, mais y remédier n'est pas forcément dans leur intérêt. "Plus leur population est grande, plus le revenu fiscal redistribué par le gouvernement central est grand. En termes d'éducation, de santé, de social, les fonds sont aussi attribués proportionnellement par Pékin. Il y a une forte incitation à déclarer plus de monde", constate Yi Fuxian.