L'Italie a déjà vu débarquer 13'000 personnes en 2021, selon les chiffres de Rome, alors même que l'été, période la plus propice pour tenter la traversée, n’a pas encore commencé. Le nombre de migrants arrivés en Europe depuis le début de l'année est déjà plus important que celui de toute l'année dernière. Et le nombre de noyades recensées - plus de 600 - également.
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Catherine Wihtol de Wenden, directrice de recherche émérite au CNRS, explique vendredi dans La Matinale que cette tendance est liée en partie à l'accord conclu entre l'Union européenne et la Turquie, pour que cette dernière retienne chez elle les vagues d'exil. "Les migrants essaient donc de prendre d'autres routes, par la Méditerranée centrale et non plus la Méditerranée orientale."
Frontières fermées et prises de conscience
En outre, aux guerres, aux sécheresses et à l’instabilité politique s'ajoute la pandémie, qui a plongé des milliers de personnes supplémentaires dans la détresse économique. Et le Covid-19 a également joué un rôle en Europe, explique la chercheuse.
"La crise sanitaire a permis à certains régimes xénophobes de réaliser leur rêve, c'est-à-dire de fermer totalement leurs frontières", dit-elle. "Mais en parallèle, il y a eu une prise de conscience que l'immigration remplissait un certain nombre de besoins de main d'oeuvre en Europe, dans des métiers que ne font pas les nationaux."
Migration minoritaire
Mais pour rappel, l'immense majorité des migrants d'Afrique - 80% d’entre eux - tentent de trouver une vie meilleure sur le continent africain lui-même. Celles et ceux qui tentent la traversée de la Méditerranée pour gagner l'Europe sont donc une minorité. "Il s'agit d'une catégorie assez spécifique", confirme Catherine de Wenden.
"Ce sont principalement des jeunes, d'une forme de petite classe moyenne qui n'ont pas les moyens de payer un visa, mais qui sont suffisamment riches pour pouvoir tenter la migration au-delà des pays voisins, et suffisamment informés et éduqués pour connaître les attraits du continent européen, et pour ensuite pouvoir envoyer de l'argent chez eux s'ils migrent", précise-t-elle.
jop
La mer pour seule échappatoire
L'Italie, à travers notamment l'île de Lampedusa, est en première ligne pour faire face à la crise migratoire. Si bien que le président du Conseil Mario Draghi fait pression pour réclamer une "collaboration" plus intense de la Tunisie et de la Libye. Il veut que ces pays, situés à quelque 350 kilomètres des côtes européennes et d'où partent ainsi l'immense majorité des migrants, freinent les départs. L’Union européenne finance déjà leurs garde-côtes pour retenir les migrants en Afrique du Nord.
Mais malgré cela, et les risques bien connus de la Méditerranée, beaucoup de migrants sont contraints de tenter la traversée. C'est le cas d'Edmée, 28 ans, piégée en Tunisie, où elle survit depuis trois ans après y être parvenue depuis le Sierra Leone.
Cette dernière a déjà survécu à une tentative de traversée lors de laquelle des dizaines de personnes se sont noyées sous ses yeux, témoigne-t-elle dans La Matinale. Sauvée, elle a été ramenée non pas en Italie, mais en Tunisie. La mer est désormais sa seule échappatoire, et ce qui la retient aujourd'hui de tenter à nouveau sa chance, c'est le prix.
Pour elle et ses deux enfants, issus des viols qu’elle a subis en Libye comme l'immense majorité des femmes migrantes, une traversée dans des conditions précaires et dangereuses coûterait environ 9000 dinars, soit l'équivalent de 3000 francs.
En parallèle, la Tunisie voit sa propre jeunesse fuir, faute de perspectives économiques. Les Tunisiens sont la première nationalité de migrants clandestins à arriver en Italie.