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Pour lutter contre les djihadistes, faut-il accepter de dialoguer?

Un exercice militaire des troupes du Burkina Faso, sous la supervision des forces spéciales néerlandaises, à Thies, au Sénégal, le 18 février 2020. [Keystone/AP photo - Cheikh A.T Sy]
La difficile question de la négociation avec les djihadistes / Tout un monde / 6 min. / le 17 mai 2021
Pour lutter contre le djihadisme, faut-il accepter le dialogue avec les djihadistes? Cette question se pose en permanence alors que dans de nombreux endroits du globe, le tout militaire ne semble pas avoir réussi à endiguer le phénomène. Mais à quoi peut servir la négociation et quelles sont les limites à ne pas franchir?

En Afrique et particulièrement au Sahel, le dialogue avec certains groupes djihadistes est déjà engagé. Pour tenter de ramener la paix et permettre aux populations de vivre, de cultiver leurs champs, de travailler et de construire le modèle de société qu'elles désirent, plusieurs contacts ont été noués avec les insurgés.

Ainsi, au Mali, au Niger ou encore au Burkina Faso, le dialogue existe et tout le monde est au courant. Pour Alexandre Liebeskind, directeur pour l'Afrique de la Fondation pour le dialogue humanitaire, une ONG basée à Genève, la discussion est devenue essentielle au moment où les djihadistes ne semblent pas connaître de recul.

La réponse militaire a atteint ses limites. On a même le sentiment que les groupes djihadistes gagnent du terrain, que leur contrôle territorial augmente de jour en jour, que leurs techniques militaires s'améliorent. Je dirais donc qu'il y a une certaine urgence à ouvrir un dialogue avec ces groupes

Alexandre Liebeskind, directeur pour l'Afrique de la Fondation pour le dialogue humanitaire,

"Ce qui est sûr, c'est que la réponse militaire a atteint ses limites. On a même le sentiment que les groupes djihadistes gagnent du terrain, que leur contrôle territorial augmente de jour en jour, que leurs techniques militaires s'améliorent. Je dirais donc qu'il y a une certaine urgence à ouvrir un dialogue avec ces groupes, tant qu'on est dans une position de négociation qui n'est pas une position de faiblesse", explique-t-il au micro de l'émission Tout un monde.

Une approche qui doit se concentrer sur la protection des civils

A la mi-avril, une cinquantaine d'ONG sahéliennes et internationales en appelaient elles aussi à la fin de la stratégie du tout militaire dans la région. Pour ces organisations, les populations civiles sont les grandes victimes de la situation et il est temps de les remettre au centre des préoccupations.

Bien qu'elle ne considère pas toute action militaire comme illégitime ou inopportune, c'est le même constat que fait la politologue Nyagale Bagayoko, présidente de l'African Security Sector Network: "Nous considérons simplement que les civils sont victimes d'acteurs extrêmement différents, parmi lesquels certains groupes djihadistes. Dans ces conditions, il faut que l'approche militaire et sécuritaire ne se concentre pas uniquement sur la neutralisation des djihadistes mais sur la protection des civils."

Et d'ajouter: "Sur le terrain, et particulièrement au Mali, des processus de dialogue se sont mis en place et des accords ont été passés entre groupes djihadistes et différentes composantes de la société. Ces processus existent donc bel et bien et il nous paraît extrêmement difficile de les ignorer".

Il faut que l'approche militaire et sécuritaire ne se concentre pas uniquement sur la neutralisation des djihadistes mais sur la protection des civils

Niagalé Bagayoko, présidente de l'African Security Sector Network.

Les limites de la discussion

Si tout le monde semble s'accorder sur l'inefficacité de lignes rouges à ne jamais franchir, il existe bien des groupes avec qui toute discussion apparaît impossible. La négociation ne semble par exemple pas réalisable avec les groupes les plus extrémistes, comme Boko Haram au Nigéria. Mais certaines autres organisations sont plus ouvertes. C'est en tout cas l'avis d'Alexandre Liebeskind.

"Al-Qaïda et le groupe Etat islamique sont quelque part des labels de qualité. Les groupes djihadistes se sont affiliés à l'un ou à l'autre. Mais ce qu'on voit au Sahel, c'est des groupes d'insurgés qui sont souvent très locaux, issus du terroir. On n'a pas le sentiment d'une ambition de porter une idéologie hors des frontières du pays ou de participer à la grande entreprise des groupes islamistes actifs au Moyen-Orient par exemple".

On voit très souvent le volet religieux de leur programme, mais c'est souvent un projet beaucoup plus large, politique, social, qui porte sur des questions de moeurs et ça c'est quelque chose qui ne peut appartenir qu'aux acteurs de chaque Etat de négocier et de décider

Niagalé Bagayoko, présidente de l'African Security Sector Network.

Pour Nyagale Bagayoko également, le coeur du sujet est de comprendre les nuances et ne pas se focaliser uniquement sur l'aspect religieux de ces groupes armés: "On voit très souvent le volet religieux de leur programme, mais c'est souvent un projet beaucoup plus large, politique, social, qui porte sur des questions de moeurs et ça c'est quelque chose qui ne peut appartenir qu'aux acteurs de chaque Etat de négocier et de décider", explique-t-elle.

Définir les acteurs de la négociation

Un hélicoptère de l'armée française à Ndaki, au Mali, le 29 juillet 2019. [Reuters - Benoît Tessier]
Un hélicoptère de l'armée française à Ndaki, au Mali, le 29 juillet 2019. [Reuters - Benoît Tessier]

Reste enfin à déterminer le niveau des acteurs de la négociation. Pour éviter l'éparpillement et la multiplication de négociations à un niveau micro-local, il est sans doute nécessaire que les services des Etats concernés, voire des organisations supranationales comme l'Organisation de l'unité africaine, contrôlent les processus déjà initiés.

Victoria Fontan, professeure à l'Université américaine de Kaboul, plaide ainsi pour des discussions hybrides, afin d'éviter au maximum la corruption. "Comme on l'a malheureusement vu en Afghanistan, n'engager que l'étatique encourage la corruption et une certaine inertie politique (...). En encourageant le local, on s'assure d'avoir le soutien des populations, ce qui va certainement avoir plus d'impact que de soutenir tel ou tel leader qui finalement siphonne l'argent que l'on injecte dans toute cette démarche sécuritaire. Il faut donc revenir au local, tout en ayant une assise nationale", juge-t-elle.

Mais si négocier apparaît de plus en plus indispensable, cela ne veut pas dire garantir la paix. En Afghanistan, malgré un accord signé pour le départ des troupes américaines, les attaques et les attentats perpétrés par les talibans n'ont fait qu'augmenter et le retrait américain est plutôt perçu comme une victoire des rebelles. Une situation qu'il s'agira d'éviter dans la poudrière qu'est devenu le Sahel.

Reportage radio: Nicolas Vultier

Adaptation web: Tristan Hertig

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