Sergueï Jirnov est un ancien officier du service de renseignement soviétique. Aujourd'hui poursuivi dans son pays pour divulgation de secrets d'Etat, le Russe est réfugié politique en France depuis 2001. Il a publié en avril un livre avec François Waroux, ancien membre de la DGSE, les services de renseignement français. L'ouvrage a pour titre "KGB-DGSE: deux espions face à face" (Mareuil Editions).
Après la chute de l'URSS et les années d’effondrement économique et de corruption qui ont marqué les années 1990, Vladimir Poutine est arrivé à la tête de l'Etat russe en 2000 en s'appuyant sur l'image du KGB auquel il a appartenu et qui, dans le désordre de l'époque, "représentait la dernière barrière de stabilité, le dernier service qui n'était pas corrompu", explique Sergueï Jirnov.
Service secret en plein boom
Les services de renseignements russes sont accusés d’interférence dans les élections américaines, de cyber-attaque massive et d’empoisonnement d’opposants, ce qu'ils démentent fermement. Pourtant, Sergueï Jirnov estime que ces agences se sont beaucoup développées.
Ayant travaillé à la première direction générale du KGB, il a constaté sur des images provenant de Google Maps que, depuis son époque, "ils avaient construit deux fois plus de bâtiments dans le secteur opérationnel du quartier général du service d'espionnage et cinq fois plus dans les services techniques qui sont autour. Vous imaginez bien que ces bâtiments ne sont pas vides, ce qui implique que le niveau d'espionnage de Vladimir Poutine est quatre fois supérieur à celui de la guerre froide, qu'on disait abominable."
Poutine joue en quelque sorte le petit caïd dans la cité, et pour s’imposer partout et créer des nuisances, il utilise le service d'espionnage.
Sergueï Jirnov pense que le président russe agit de la sorte pour redonner un statut de superpuissance à son pays, statut perdu après la chute de l'Union soviétique. Mais, estime l'ex-espion, pour avoir une large influence sur la scène internationale, il faut être porteur d’une idée universelle.
"L'Union soviétique incarnait l'idée de collectivisme - alors que les Etats-Unis étaient le symbole de l'initiative privée. La Russie de Poutine n'a pas ce type d’idée. Pour compenser, ce dernier utilise les services secrets. Il joue en quelque sorte le petit caïd dans la cité ; et pour s’imposer partout et créer des nuisances, il utilise le service d'espionnage, qui est derrière tout ce qu'on lui reproche."
Vladimir Poutine a par ailleurs, selon lui, repris la méthode soviétique des "agents d'influence". Il s’agit de personnes qui occupent déjà un poste important dans la politique ou l’administration ou des artistes avec une certaine notoriété. "On va approcher cette personne, mais jamais lui proposer de signer un accord", raconte l'ancien agent du KGB. "Souvenez-vous de Gérard Depardieu à qui Poutine a offert le passeport russe et pour qui l'acteur a joué le clown". Marine Le Pen a "participé de la même manière à ce spectacle", affirme-t-il "Poutine l’a invitée pendant la campagne présidentielle en 2017".
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Espions encore utiles?
Dans son livre, Sergueï Jirnov dresse un bilan général plutôt négatif des services de renseignement dans le monde. Ils ont commis trop d'erreurs, selon lui, et leur travail n’aurait souvent que peu d'impact sur les dirigeants politiques. Il estime qu'aujourd'hui, les plus grandes agences d'espionnage ne sont plus celles des Etats, mais bien les géants de la technologie surnommés GAFAM. "Google, Apple ou Microsoft connaissent beaucoup plus de secrets que toutes les agences d'espionnage et de renseignements de tous les Etats réunis."
Pour l'ex-espion, les agences de renseignement peuvent encore se montrer utiles dans les quelques Etats où les satellites ne passent pas, comme en Afghanistan, au Pakistan ou au Mali, et où le renseignement humain garde son importance. "Autrement que dans ces cas, elles ne servent absolument à rien, c'est un jeu de dupes."
Patrick Chaboudez / mh