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Interview croisée: l'ambassadeur israélien en Suisse face au représentant palestinien à l'UNESCO

Jacob Keidar, ambassadeur d'Israël en Suisse, et Elias Sanbar, représentant de la Palestine auprès de l'UNESCO. [AFP/KEYSTONE - ULF ANDERSEN/ALESSANDRO DELLA VALLE]
Les points de vue très différents d'officiels palestinien et israélien / Tout un monde / 13 min. / le 20 mai 2021
Le conflit meurtrier entre Israël et le Hamas palestinien, au pouvoir dans la bande de Gaza, n'a toujours pas trouvé d'issue diplomatique. Jacob Keidar, ambassadeur d'Israël en Suisse, et Elias Sanbar, représentant de la Palestine auprès de l'UNESCO, étaient jeudi les invités de l'émission de la RTS Tout un monde. Interview croisée.

LES VICTIMES CIVILES

Elias Sanbar (E. S.), représentant de la Palestine auprès de l'UNESCO: Actuellement, les combats ont lieu quasiment sur tout le territoire de ce qui fut un jour la Palestine historique. Rien que mardi, nous avons eu 25 jeunes abattus par balle en Cisjordanie. Et nous avons, bien entendu, des bombardements sur les zones civiles palestiniennes, notamment Gaza. Nous avons déjà quasiment 70 enfants tués sous les bombes, des immeubles écroulés...

Israël avance toujours le même argument: les combattants palestiniens ou les terroristes, selon le vocabulaire qui convient, se cachent derrière leur population civile comme un bouclier. C'est un leitmotiv permanent dans toutes les situations coloniales. Ce qui se passe aujourd'hui, c'est que l'armée israélienne est en train de découvrir une règle terrible pour elle: la suprématie militaire ne débouche pas forcément sur une victoire politique. 

>> En lire plus : Poursuite des affrontements entre Israël et le Hamas palestinien

Jacob Keitar (J. K.), ambassadeur d'Israël en Suisse: Nous faisons tout notre possible pour ne pas blesser de civils à Gaza. Nous ne ciblons que les terroristes et les installations militaires du Hamas. Le problème, c'est que le Hamas s'abrite derrière les civils palestiniens. C'est tragique.

J'aimerais ajouter que cela constitue un double crime de guerre de la part du Hamas. Il tire des roquettes. Il attaque des villes et des citoyens israéliens sans distinction… et il se cache derrière sa propre population. Je voudrais le dire avec force: le Hamas a le sang des citoyens palestiniens et israéliens sur les mains.

L'ORIGINE DE LA FLAMBEE DE VIOLENCE

J. K.: Nous n'expulsons pas la population arabe ou palestinienne de Jérusalem-Est (n.d.l.r.: Le tribunal de district de Jérusalem a rendu en début d'année une décision favorable aux familles juives qui revendiquent des droits de propriété dans le quartier de Cheikh Jarrah). Il s'agissait d'une propriété juive dans le quartier de Cheikh Jarrah. Les personnes qui ont le titre de propriété voulaient la récupérer dans le cadre du système juridique israélien et le Hamas a exploité cette situation pour inciter les Palestiniens à la violence. Cela aurait pu être réglé au niveau local. Il n'y avait aucune raison de commencer ces tirs insensés de roquettes depuis Gaza.

E. S: Israël est dans une impasse qu'il n'a pas du tout prévu. C'est le Hamas qui sort vainqueur politiquement. Il n'était pas sur l'échiquier, il est sur l'échiquier. Israël a bombardé. La terre entière a vu des tours s'écrouler et si certains pensent qu'on revient à la case départ, ils se trompent.

La tour Al-Shorouk détruite à Gaza. [AFP - Qusay Dawud]
La tour Al-Shorouk détruite à Gaza. [AFP - Qusay Dawud]

On revient à une situation où les colons sont maîtres du jeu en Israël; le Hamas est de nouveau sur la scène; la question des réfugiés, la question historique fondamentale dans les conditions de la naissance de l'Etat d'Israël, est de nouveau sur la table; des affrontements dans tous les territoires occupés et, sans oublier le fait que les Palestiniens d'Israël ont fait leur jonction avec les Palestiniens des exils et d'ailleurs.

Pour résumer, Benjamin Netanyahu, en jouant aux apprentis sorciers, a réussi à regrouper les parties disloquées du corps national palestinien. C'est cela le grand paradoxe de ce qui est en train de se passer.

LE RÔLE DU HAMAS

E. S.: Je ne suis pas du Hamas. Ce n'est pas mon ambiance politique ou mon idéologique. Je suis plutôt en face. Mais vous avez des circonstances offertes par le Premier ministre israélien (Benjamin Netanyahu, n.d.l.r.) au Hamas pour revenir au centre du jeu. Eh bien, il est revenu. On parle beaucoup de l'idéologie du Hamas. Et c'est juste, c'est important. Mais j'entends très peu parler de l'idéologie terrifiante de dizaines de milliers de colons aujourd'hui.

Vous avez des circonstances offertes par le Premier ministre israélien (Benjamin Netanyahu, n.d.l.r.) au Hamas pour revenir au centre du jeu

Elias Sanbar, représentant de la Palestine auprès de l'UNESCO

Israël devrait être infiniment plus paniqué par la folie des colons, de l'extrémisme fascisant, il n'y a pas d'autre terme, que par celui du Hamas. Le Hamas l'inquiète et cela se comprend, mais je serais beaucoup plus inquiet, si j'étais Israélien, en sachant qu'aujourd'hui je ne peux pas former de gouvernement si les colons n'y sont pas. Les colons tiennent la clef de la composition d'un gouvernement israélien.

J. K.: Le Hamas est une organisation terroriste soutenue par l'Iran, qui menace la sécurité et la paix de toute la région, pas seulement d'Israël. Les pays arabes (qui ont signé des traités de paix avec Israël en 2020, n.d.l.r.) le savent très bien. Cette menace - que nous subissons en commun - nous amène à trouver ensemble des solutions. Nous voulons tous les mêmes choses: la paix, la sécurité et la prospérité dans notre région. Nous devons combattre les forces obscures du terrorisme.

LE CESSEZ-LE-FEU

J. K.: Oui. C'est l'issue la plus logique à la fin. Mais d'abord, le Hamas doit cesser de tirer des roquettes et des missiles sur la population israélienne. S'il arrête, je suis sûr que nous ferons de même. C'est eux qui ont commencé, pas nous.

E. S.: Je condamne (les violences) toute la journée, mais cela ne change rien, hélas. L'aviation israélienne a fait beaucoup de sorties. Imaginez ce que veut dire des centaines de raids, 120 avions chasseurs-bombardiers. Alors, c'est vrai que les autres ripostent. Mais si vous voulez revenir sur la question de ce qui a précédé l'oeuf ou la poule, qui a fait cette entrée dans les mosquées? (Elias Sanbar fait référence à l'entrée de la police israélienne dans la Mosquée Al Aqsa à Jérusalem, ndlr.). C'est quand même la politique israélienne qui leur a donné cette occasion.

Nous sommes tout à fait prêts à négocier avec les Palestiniens. Nous le sommes depuis longtemps et nous avons essayé à plusieurs reprises. Mais le Hamas, ce n'est pas les Palestiniens

Jacob Keidar, ambassadeur d'Israël en Suisse

ET APRES, DES NEGOCIATIONS?

J. K.: Nous sommes tout à fait prêts à négocier avec les Palestiniens. Nous le sommes depuis longtemps et nous avons essayé à plusieurs reprises. Mais le Hamas, ce n'est pas les Palestiniens. C'est une organisation terroriste, une organisation islamique radicale, dont le seul objectif est de détruire Israël et, entretemps, de prendre le contrôle de l'Autorité palestinienne et de la Cisjordanie, de la transformer en lieu de terreur contre Israël. Il n'y a pas de négociations avec le Hamas.

Benjamin Netanyahu lors du sommet de Davos, le 25 janvier 2018. [Keystone - Laurent Gillieron]
Benjamin Netanyahu lors du sommet de Davos, le 25 janvier 2018. [Keystone - Laurent Gillieron]

Israël est sincère dans ses tentatives d'aboutir à la paix. Je vous rappelle que lorsque Benjamin Netanyahu était ici en Suisse, à Davos - il y a trois ans je crois - il a clairement appelé Abu Mazen à le rencontrer quand il voulait, où il voulait, pour reprendre les négociations. Nous ne voulons pas gouverner les Palestiniens. Nous ne voulons pas que les Palestiniens soient des sujets d'Israël. Nous voulons qu'ils se gouvernent eux-mêmes, qu'ils aient leurs propres dirigeants, la prospérité et la paix, bien sûr. C'est notre objectif.

>> Lire aussi : La Suisse peu active dans la résolution du conflit entre Israël et Gaza

E. S.: Il y a énormément de critiques envers l'Autorité nationale palestinienne et je suis le premier à en faire. Mais son talon d'Achille - ce qui fait que son peuple n'en peut plus et la critique - c'est fondamentalement que cela fait 30 ans qu'elle va à la négociation et qu'elle revient les mains vides. C'est ce qui fait la méfiance.

Ce qui fait dire aux gens que ces pauvres naïfs - j'ai été l'un de ces négociateurs - se font rouler à chaque fois. Je ne sais pas si le public se rend compte ce que cela veut dire: 30 ans de négociations sans aucun résultat ou plutôt des résultats encore plus catastrophiques que la situation qui prévalait avant les négociations. Aujourd'hui, on a encore moins de terres, encore plus de colonies, encore plus de pillages dans les zones livrées, etc. Comment voulez-vous que cette autorité garde un semblant de crédibilité par rapport à son public?

>> Réécouter l'épisode du Point J "Proche-Orient: pourquoi ça éclate (à nouveau)" :

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Proche-Orient: pourquoi ça éclate (à nouveau)? / Le Point J / 13 min. / le 19 mai 2021

Propos recueillis par Patrick Chaboudez

Adaptation web: Valentin Jordil

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