"Je ne peux pas respirer." Les derniers mots de George Floyd, sous le genou du policier Derek Chauvin, ont choqué l'Amérique et le monde entier. Eric Hall, membre du mouvement Black Lives Matter (BLM), n'a pas oublié les images du meurtre.
"Quand j’ai vu la vidéo de George Floyd, ça a été un traumatisme, une horrible expérience. Encore plus quand vous êtes un jeune Noir aux Etats-Unis", livre-t-il mardi dans un reportage de l'émission Tout un monde. Cet Afro-Américain de 39 ans est le cofondateur des BLM de Birmingham, en Alabama.
Dans le sud des Etats-Unis, la violence policière envers les Noirs ne s’est pas arrêtée, selon lui.
"C'est une réalité et nous continuons de nous battre au niveau local après la mort, encore cette année, de plusieurs Afro-Américains tués par la police. Nous devons faire face à un terrorisme policier. Les personnes noires sont terrorisées par la police au sein de leur communauté", dénonce Eric Hall, évoquant la possibilité d'abolir purement et simplement la police.
"Une nouvelle normalité"
A Minneapolis, le quartier où George Floyd a été tué est devenu une zone autonome: les patrouilles de police n'y entrent plus. Certains voisins regrettent déjà l'absence des forces de l'ordre.
Michael Koval, un ancien chef de la police de Madison (Wisconsin), n'est pas surpris: "Regardez Minneapolis, un an après et cette large volonté populaire d'abolir la police de la ville. Quelles en sont les conséquences? Le taux de criminalité a augmenté. Le maire de la ville est désormais revenu sur sa décision et a concédé qu’il avait besoin de la police."
Dans les rangs de la police américaine, la vidéo de George Floyd a aussi marqué les esprits. Michael Koval a vu certains de ses collègues démissionner et le recrutement est devenu plus difficile. Le policier regrette l'impact du meurtre de George Floyd sur tout le travail des forces de l'ordre.
"Ce qu'on entend, c'est que la police est une institution raciste. Je ne pense pas que ces accusations doivent entièrement retomber sur les épaules de la police. Bien sûr que toutes les vies sont précieuses, et je ne veux pas minimiser ce qui s’est passé avec George Floyd, mais à l’échelle nationale ce genre de dérapage est minime. Pourtant, désormais, avec l’effet des réseaux sociaux, chaque cas va continuer de provoquer des émeutes et de possibles violences. C'est peut-être une nouvelle normalité aux Etats-Unis", déplore-t-il.
Texte bloqué au Sénat
La violence dans les rues américaines ne semble pas s'être arrêtée, car d'autres Afro-Américains continuent d'être tués par la police.
A Washington, le président américain Joe Biden va recevoir mardi la famille de George Floyd, mais il n'a pas réussi, comme il l'espérait, à faire voter un texte contre les violences policières.
Le "George Floyd Justice in Policing Act" est toujours en débat au Sénat. Le texte adopté par la Chambre des représentants prévoit notamment l'interdiction des prises d'étranglement et vise à limiter la large immunité dont jouissent les policiers américains.
Raphaël Grand/gma
Black Lives Matter et le "changement discursif"
La mort de George Floyd a marqué en profondeur la société américaine. Dans les manifestations Black Lives Matter, des Afro-Américains, mais aussi des Blancs, défilent. Les mentalités ont évolué et la société est en train de changer, selon Tristan Cabello, maître de conférence à l'Université Johns Hopkins à Washington.
"Le plus grand changement que le mouvement BLM a apporté dans la société américaine, c'est un changement discursif. Les gens se sont mis à parler tout d'un coup du racisme systémique et de toutes les corrélations qu'il y avait dans la société. Joe Biden est par exemple le premier président à avoir prononcé les mots de racisme systémique aux Etats-Unis. C'est quelqu'un qui se doit d'intégrer dans son logiciel politique les demandes de Black Lives Matter", explique le spécialiste en civilisation afro-américaine.
Le mouvement BLM, très décentralisé et sans leader, est jusqu’ici resté dans la rue. Des tensions sont même nées entre le mouvement et les figures historiques de défense des droits civiques aux Etats-Unis.
"Il y a de grandes tensions entre le mouvement BLM plutôt jeune, axé sur les réseaux sociaux, et celui de la vieille garde des droits civiques afro-américains. Pour ce dernier, ce sont des gens qui opèrent avec des activistes, ils veulent organiser ce mouvement avec un leader à la tête. Leur but à la fin c'est d'être élu", indique Tristan Cabello.
Regain des violences par armes à feu
Avec une hausse de 30% des homicides dans les grandes villes des Etats-Unis, l'année 2020 fut l'une des plus meurtrières depuis un quart de siècle, sous l'effet de plusieurs facteurs croisés.
"C'était un mélange de situations explosives avec la pandémie, une perte de légitimité de la police, un grand stress économique, le tout combiné avec un élément accélérateur: des niveaux record de possession d'armes à feu", explique Jeff Asher, un ancien agent de la CIA devenu analyste en statistiques criminelles.
Il y a encore eu une hausse de 24% des homicides au premier trimestre 2021 par rapport aux trois premiers mois de 2020, selon une étude du Council on criminal justice (CCJ) portant sur 34 des plus grandes villes du pays. "Cette hausse, supérieure à la normale saisonnière, est extrêmement troublante", soulignent ses auteurs.
Elle semble encore avoir empiré ces derniers jours, avec l'arrivée du beau temps et la multiplication des événements en extérieur à la faveur de la levée des dernières mesures de confinement liées à la pandémie de Covid-19. (afp)