Trois chercheurs de l'Institut chinois de virologie de Wuhan (WIV) ont été hospitalisés en novembre 2019, soit avant que la Chine ne révèle officiellement la maladie à la fin décembre 2019, a rapporté dimanche le Wall Street Journal, qui se base sur un rapport des services de renseignement américains. Selon ce rapport, les chercheurs auraient affiché des symptômes correspondants au Covid-19, mais aussi à une maladie saisonnière plus commune.
Dans sa quête de l'origine du Covid-19, le renseignement américain s'est finalement arrêté sur deux hypothèses: le contact humain avec un animal infecté et la fuite à partir d'un laboratoire de recherche. En l'état, "aucune conclusion définitive" sur la question n'a été atteinte, a estimé Joe Biden mercredi. Le président américain a appelé ses services de renseignement à "redoubler d'efforts" pour expliquer l'origine du Covid-19, exigeant un nouveau rapport d'ici 90 jours.
Reprise d'une accusation lancée par Donald Trump
"Les Etats-Unis continueront à travailler avec leurs partenaires à travers le monde pour faire pression sur la Chine afin qu'elle participe à une enquête internationale complète, transparente, et basée sur des preuves", a ajouté le président américain, déplorant l'attitude de Pékin sur ce dossier (lire encadré).
La théorie d'un accident de laboratoire à Wuhan est revenue en force ces dernières semaines dans le débat américain après avoir été initiée par Donald Trump et son administration. L'ex-président avait à plusieurs reprises rendu la Chine directement responsable de l'apparition de la maladie, qualifiant volontiers son vecteur de "virus chinois".
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"Théorie complotiste" pour Pékin
Pékin, de son côté, a démenti lundi par la voix de son porte-parole diplomatique Zhao Lijian la contamination des trois scientifiques, accusant Washington de diffuser des "théories complotistes et de la désinformation".
Avant le 30 décembre 2019, l'Institut de virologie de Wuhan n'avait "pas été en contact avec le coronavirus. A cette date, aucun personnel ou étudiant-chercheur n'avait été contaminé", a-t-il précisé, confirmant toutefois que le SRAS-CoV-2 avait été apporté dans ce laboratoire pour y être étudié.
Alors que les premiers cas de Covid-19 ont été identifiés fin 2019 à Wuhan, les autorités chinoises ont toujours farouchement combattu la théorie selon laquelle le virus aurait pu s'échapper de l'un de ses laboratoires, affirmant que certains pays tentaient de détourner ainsi l'attention de leurs propres échecs à contenir la maladie.
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Les Etats-Unis appelés eux aussi à la transparence
"Si les Etats-Unis veulent vraiment être transparents, alors ils devraient, comme la Chine, inviter les experts de l'OMS pour enquêter sur la base militaire de Fort Detrick, ainsi que dans tous leurs laboratoires biologiques dans le monde", a-t-il poursuivi. Le laboratoire de Fort Detrick, près de Washington, est au coeur de la recherche contre le bioterrorisme.
Les scientifiques et responsables chinois ont toujours rejeté l'hypothèse de la fuite du SRAS-CoV-2 depuis le laboratoire WIV, affirmant qu'il aurait pu circuler dans d'autres régions avant d'atteindre la ville de Wuhan. Selon eux, le virus aurait même pu entrer en Chine depuis un autre pays par le biais d'importations d'aliments congelés ou d'échanges d'animaux sauvages.
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Appel à une nouvelle étude réellement indépendante
Cette nouvelle passe d'armes relative à l'origine du Covid-19 intervient alors que les membres de l'OMS se sont réunis lundi à l'occasion de la 74e Assemblée mondiale de la santé. A cette occasion, plusieurs pays, dont les Etats-Unis, ont demandé à l'OMS une enquête plus approfondie sur les origines du Covid-19, la première mission menée en Chine ayant soulevé plus de questions qu'elle n'en a résolu.
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Le gouvernement américain cherche maintenant, avec d'autres États membres, à appuyer une évaluation des origines de la pandémie menée par des experts "sans interférence ni politisation". Lors des débats à l'OMS, qui se déroulent en ligne depuis Genève, le représentant américain Jeremy Konyndyk a souligné mardi l'importance d'une "enquête solide, complète (...) et indépendante". D'autres pays, dont l'Australie, le Japon et le Portugal, ont lancé des appels similaires.
Crucial pour éviter une prochaine pandémie
"Le but de cette enquête n'est pas d'attribuer des responsabilités, mais de s'appuyer sur la science, de trouver l'origine du virus et de l'épidémie pour nous aider tous à éviter qu'une telle catastrophe mondiale ne se reproduise", a assuré Jeremy Konyndyk. Déterminer comment le virus, qui a fait plus de 3,4 millions de morts dans le monde, est passé à l'homme est jugé crucial pour tenter d'empêcher la prochaine pandémie.
L'OMS ne peut toutefois, pour l'instant, enquêter de son propre chef dans un pays. Plusieurs pays et experts ont demandé que l'agence bénéficie de pouvoirs étendus pour envoyer rapidement des experts en cas de crise, mais la proposition ne figure pas dans le projet de résolution sur le renforcement de l'OMS qui doit être adoptée cette semaine.
Vincent Cherpillod/agences
Du complotisme à l'hypothèse sérieuse
Depuis la publication en mars dernier du rapport d'enquête de l'OMS en Chine excluant pratiquement l'hypothèse d'une fuite du virus depuis un laboratoire (lire plus bas), le vent a rapidement tourné. La question d'un accident de laboratoire ne relève plus, désormais, du registre du complotisme.
"On le voit avec la publication la semaine dernière dans la revue Science d'une tribune de vingt scientifiques de très haut niveau, qui demandent une enquête complète sur l'origine de ce virus, sans exclure l'hypothèse du laboratoire", a souligné lundi dans le 19h30 de la RTS le journaliste indépendant Brice Perrier, auteur d'un livre sur les origines du SRAS-CoV-2.
Cette hypothèse d'un virus échappé du laboratoire de virologie de Wuhan a longtemps été qualifiée de conspirationniste en raison, notamment, de la publication d'une autre tribune, plus ancienne, dans la revue The Lancet. Menée par le scientifique Peter Daszak, elle discréditait cette hypothèse.
Il est celui qui a orchestré le discrédit de cette hypothèse alors qu'il avait un énorme conflit d'intérêt, car il travaille avec ce laboratoire et contribue même à son financement
Or, constate Brice Perrier, il s'est avéré que Peter Daszak était un collaborateur assez proche du laboratoire de Wuhan mis en cause. "Cela pose question. Il est celui qui a orchestré le discrédit de cette hypothèse, alors qu'il avait en fait un énorme conflit d'intérêt, car il travaille avec ce laboratoire et contribue même à son financement avec des fonds américains", remarque le journaliste indépendant.
Thèse "extrêmement improbable" selon l'OMS
Après un séjour de quatre semaines à Wuhan début 2021, la première phase d'une étude conjointe entre experts de l'OMS et spécialistes chinois avait jugé "extrêmement improbable" un incident de laboratoire. Les experts privilégient la théorie de la transmission naturelle du virus d'un animal réservoir - probablement la chauve-souris - à l'homme, par l'intermédiaire d'un autre animal qui n'a pas encore été identifié.
Les experts recommandaient de poursuivre les recherches sur leur hypothèse principale, mais aussi sur plusieurs autres scénarios sauf un ne méritant pas d'être creusé: celui, précisément, d'un virus échappé d'un laboratoire de Wuhan. Cette recommandation ayant provoqué un tollé, le chef de l'OMS Tedros Adhanom Ghebreyesus a rapidement rectifié le tir, assurant que toutes les hypothèses resteraient sur la table.
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Soupçons de manque d'indépendance
L'étude avait eu lieu sur fond de suspicion de manque d'indépendance de l'OMS envers la Chine. Cette dernière était accusée d'avoir entravé la mission en mettant notamment des mois avant d'accepter la venue sur son sol des scientifiques et en ne leur laissant pas assez de latitude pour travailler librement. La Chine avait également refusé de transmettre aux enquêteurs de l'OMS les données brutes sur les premiers cas de Covid-19, compliquant les efforts visant à comprendre comment la pandémie a commencé.
Le chef de la délégation de scientifiques internationaux Peter Ben Embarek a minimisé la chose devant l'OMS, affirmant qu'en Chine comme ailleurs, certaines données ne pouvaient être partagées pour des raisons de respect de la vie privée, et disant qu'il s'efforçait de trouver des solutions pour avoir accès aux données dans la phase 2 de l'étude. Mais depuis, l'OMS n'a donné aucune information sur son déroulement.