Publié

Biden à Tulsa pour "rompre le silence" sur le massacre des Afro-Américains

Le président Joe Biden a rendu hommage aux personnes afro-américaines tuées à Tulsa il y a 100 ans
Le président Joe Biden a rendu hommage aux personnes afro-américaines tuées à Tulsa il y a 100 ans / 12h45 / 54 sec. / le 2 juin 2021
Joe Biden a participé mardi à Tulsa aux cérémonies du centenaire d'un des pires épisodes de violence raciste de l'histoire des Etats-Unis. Le président démocrate était attendu de pied ferme par la communauté afro-américaine qui appelle à des réparations financières.

Le président démocrate a affirmé s'être rendu dans l'Oklahoma afin d'"aider à rompre le silence" qui a longtemps pesé sur l'un des pires épisodes de violence raciste de l'histoire des Etats-Unis.

"Les événements dont nous parlons se sont déroulés il y a 100 ans, et cependant, je suis le premier président en 100 ans à venir à Tulsa", a insisté le démocrate en disant vouloir "faire éclater la vérité".

Le massacre raciste de Tulsa a "trop longtemps été oublié dans notre Histoire. Aussitôt qu'il s'est produit, il y a eu un effort manifeste pour l'effacer de notre mémoire", a-t-il dénoncé en soulignant la présence dans le public, devant lui, de trois survivants centenaires de ce massacre: Viola Fletcher, Hughes Van Ellis et Lessie Benningfield Randle.

Des aides

L'administration du président démocrate, qui bénéficie d'un large soutien dans la population noire américaine, a annoncé mardi matin des mesures d'aide économique à la population afro-américaine, censées faciliter notamment leur accession à la propriété ou la création d'entreprises, des points considérés comme cruciaux dans la communauté noire de Tulsa.

Kristi Williams, activiste et descendante de victimes, souhaite que Joe Biden leur "rende justice". "Il y a 100 ans, nos logements, notre développement économique ont été stoppés, nos terrains ont été pris. Aujourd'hui, le pays a l'opportunité de réparer ce tort", a-t-elle déclaré.

Réparations demandées

Lundi, Joe Biden avait estimé que le gouvernement américain devait "reconnaître le rôle qu'il a joué dans le fait d'arracher leur richesse et leurs opportunités aux quartiers noirs", dont Greenwood.

J'espère que ce pays s'occupera enfin des citoyens qu'il a mal traités pendant des siècles

Révérend Robert Turner

A Tulsa, ce n'est qu'un début. Les habitants attendent davantage de la part d'un président qui s'est prudemment déclaré favorable à ce que la question soit étudiée.

L'église méthodiste afro-américaine Vernon. [Keystone - Sue Ogrocki]
L'église méthodiste afro-américaine Vernon. [Keystone - Sue Ogrocki]

Le révérend Robert Turner, dont l'église méthodiste afro-américaine Vernon est l'un des rares bâtiments de Greenwood à avoir échappé à la destruction en 1921, a lancé une pétition demandant des réparations.

Pour lui, Joe Biden doit compenser les torts causés à Greenwood comme ailleurs: "J'espère que ce pays s'occupera enfin des citoyens qu'il a mal traités pendant des siècles, à savoir les Afro-Américains". Aux Etats-Unis, des descendants d'esclaves font des demandes similaires.

Lundi, le maire de Tulsa George Bynum a présenté des excuses formelles pour "l'incapacité de la municipalité à protéger notre communauté en 1921".

Des inégalités toujours présentes

Dans cette localité de l'Oklahoma, Etat du Sud esclavagiste et un des bastions du Ku Klux Klan, les effets de cette destruction se ressentent encore aujourd'hui.

Les inégalités entre le nord de Tulsa, majoritairement afro-américain, et le sud, plutôt habité par la population blanche, sont marquées.

"Quand les touristes visitent Tulsa, ils n'arrivent pas à croire à quel point la ségrégation est toujours présente, ou à quel point le racisme est évident", explique Michelle Brown, responsable des programmes éducatifs au centre culturel local.

"Cela n'a pas changé, nous sommes toujours séparés", témoigne Billie Parker, quinquagénaire afro-américaine qui a grandi à Tulsa, et considère que sa communauté est lésée.

Dans le quartier, ils sont nombreux à affirmer qu'il est temps que l'Etat aide le quartier à retrouver sa prospérité, perdue dans les flammes en 1921.

"Il n'y a ici que de l'herbe, mais il y avait des investissements, de la richesse, il y avait de la vie", rappelle l'élue démocrate du Texas Sheila Jackson Lee, qui plaide pour des réparations.

Faire connaître ce tabou

Viola Fletcher, âgée de 107 ans, est la plus ancienne survivante encore en vie du massacre de Tulsa. [Keystone - Sue Ogrocki]
Viola Fletcher, âgée de 107 ans, est la plus ancienne survivante encore en vie du massacre de Tulsa. [Keystone - Sue Ogrocki]

Le 19 avril, certains des derniers survivants centenaires s'étaient déplacés à Washington pour témoigner devant le Congrès et demander à ce que le pays reconnaisse leur souffrance.

Dès 2001, une commission avait recommandé que les habitants de Greenwood reçoivent une compensation. Jusqu'ici, ces appels sont restés vains.

Au-delà des indemnités financières, les habitants comptent sur la venue de Joe Biden et les commémorations liées au centenaire du massacre pour faire davantage connaître ce drame, longtemps resté tabou.

Une volonté de transparence sur le passé sombre de la ville récemment illustrée par les fouilles entreprises pour retrouver les fosses communes, où avaient été enterrées les nombreuses victimes noires.

jfe avec agences

Publié

Trois cents morts, mais pas de responsable

Le 31 mai 1921, des hommes noirs venus défendre un jeune Afro-Américain arrêté et accusé d'avoir agressé une femme blanche s'étaient trouvés face à des centaines de manifestants blancs en colère devant le tribunal de Tulsa.

Dans une ambiance tendue, des coups de feu avaient été tirés, et les Afro-Américains avaient fui vers leur quartier de Greenwood.

Le lendemain, à l'aube, des Blancs avaient pillé et brûlé commerces et maisons de ce qui était alors surnommé "Black Wall Street", exemple de réussite économique.

Le quartier surnommé "Black Wall Street" avait été mis à feu et à sang. [Keystone]
Le quartier surnommé "Black Wall Street" avait été mis à feu et à sang. [Keystone]

Comme les pertes économiques engendrées, le bilan humain est difficile à estimer, mais selon les historiens jusqu'à 300 Afro-Américains ont perdu la vie, et près de 10'000 se sont retrouvés sans abri, sans qu'un seul responsable blanc soit condamné.

La police, qui n'avait pas essayé d'arrêter la tuerie, avait même armé certains émeutiers, selon le rapport d'une commission d'enquête.

>> Revoir aussi l'interview dans Forum de l'historien Yann Philipp :

100 ans du massacre de Tulsa aux Etats-Unis : interview de Yann Philipp
100 ans du massacre de Tulsa aux Etats-Unis : interview de Yann Philipp / Forum / 5 min. / le 31 mai 2021

Droit de vote attaqué

Joe Biden a profité de ce discours historique pour dénoncer les attaques "absolument sans précédent" contre le droit de vote des Afro-Américains, "le droit le plus fondamental", par le biais de lois restreignant l'accès aux urnes dans certains Etats conservateurs. "Ce droit sacré est attaqué avec une intensité que je n'ai jamais vue", a déclaré le démocrate.

Depuis la présidentielle, les projets de lois limitant l'accès au vote se sont multipliés dans les Etats à l'initiative des républicains. Ils sont dénoncés par les démocrates comme frappant particulièrement les minorités.

A Tulsa, le président a donc promis de se "battre" pour qu'une loi électorale censée protéger l'accès aux urnes soit adoptée en juin par le Congrès des Etats-Unis d'Amérique, ainsi qu'un autre texte nommé en hommage à John Lewis, figure de la lutte pour les droits civiques, décédé en 2020.