Projets de vie chamboulés, familles déchirées, réunions entre proches devenues impossibles, depuis 15 mois et le début de la pandémie, de nombreux Européens qui disposent du visa légal de "non-immigrant" ne peuvent plus se rendre sur le Vieux continent, de peur de ne plus pouvoir retourner aux Etats-Unis.
Invitée de l'émission Tout un Monde vendredi, Célia Belin, chercheuse à la Brooking Institution de Washington, explique cette situation pour le moins délicate: "Il y a d'un côté tous ces gens qui sont actuellement en Europe et qui espéraient réaliser leurs projets aux Etats-Unis, un projet de travail ou d'échange et qui trouvent portes closes dans les consulats, car on ne délivre plus ce type de visas (...) Et puis, il y a beaucoup de gens dans ma situation qui, après avoir vécu 2 ou 3 ans dans le pays, sont coincés aux Etats-Unis.
Certaines de ces personnes voudraient simplement pouvoir rentrer, rendre visite à un parent, même pour quelques jours, et ils ne peuvent pas, "car ils prendraient le risque de ne pas pouvoir rentrer aux Etats-Unis, là où ils ont bien souvent leur maison, leurs enfants à l'école et là où ils paient leurs impôts", relate encore Célia Belin,
"Nous sommes dans les limbes du système"
Être coincés en Europe, c’est arrivé à des centaines de gens, qui ont dû attendre pendant des mois un droit de retourner aux Etats-Unis ou un renouvellement de leur visa.
Naz French, une Britannique qui vit avec son mari et leurs enfants à Washington, décrit cette détresse et ce sentiment d'être "prise au piège".
"Mes parents sont âgés, ils vivent en Angleterre et récemment ma mère a dû subir en urgence une opération et je ne pouvais pas rentrer chez nous. La chose la plus frustrante pour moi c’est que même si on a des visas valides, qu’on paie nos impôts ici, qu’on contribue à l’économie, que nos enfants vont à l’école aux Etats-Unis, que nous sommes vaccinés, et bien malgré tout ça, nous sommes dans les limbes du système."
Un régime discriminatoire?
Pour Célia Bélin, il s'agit là d'un "régime discriminatoire", qui autorise les détenteurs d'un passeport américain ou d'une green card (ndlr. une carte de résident permanent) à voyager, mais qui l'interdit de facto à ceux qui ont un visa de non-immigrant.
D'après elle, l'autre problème est que l'Union européenne n'a pas exigé une réciprocité pour ses citoyens: "Une décision a été prise au début du mois de mai par les 27. Ils se sont mis d'accord pour une ouverture aux voyageurs non-essentiels dès le mois de juin. Donc pour les Américains, qui eux aussi étaient empêchés de venir en Europe, le purgatoire va prendre fin. Mais comme il n'y a pas eu d'exigence de réciprocité, on se retrouve avec des Européens qui ne peuvent pas venir aux Etats-Unis et une population européenne exilée aux Etats-Unis qui ne peut pas faire le moindre aller-retour, sous peine de tout perdre", explique-t-elle.
Aucun horizon pour une réouverture prochaine
Si les premières restrictions de voyage ont été imposées par l'administration Trump, qui avait également comme ambition de réduire l'immigration sous toutes ses formes, y compris l'immigration légale, peu de choses semblent avoir changé depuis l'arrivée à la Maison Blanche de Joe Biden.
Pour la chercheuse, la rigidité du président américain s'explique par sa volonté de ne pas changer cette image de l'homme politique "ultra-responsable", qui n'ouvrira vraiment qu'au dernier moment. Elle décrit une "surdomination" des équipes de santé à la Maison Blanche mais aussi du CDC, le Centre pour le contrôle et la prévention des maladies.
D'après elle, le problème est que l'évolution de la situation ne semble pas être prise en compte et surtout, qu'aucun agenda n'a encore été donné pour la suite.
"On est dans des circonstances qui ont fortement changé. Aujourd'hui, les Américains commencent à revivre comme d'habitude. La moitié de la population a été vaccinée et on a toujours une administration qui n'adapte pas sa politique migratoire à cette réalité. Il n'y a aucune vision de réouverture, aucun horizon qui est dessiné par cette administration qui ne dit à aucun moment, voilà, tel sera le critère pour la réouverture, tel sera le critère pour le maintien des restrictions", juge-t-elle.
La pression des milieux du tourisme
Si Joe Biden ne semble donc pas pressé de rouvrir son pays aux Européens, certaines pressions commencent toutefois à se faire ressentir, notamment dans le milieu du tourisme.
Récemment, une audition au Sénat a réuni plusieurs acteurs du secteur, qui pointent du doigt les conséquences économiques graves des restrictions de voyage, notamment pour les aéroports.
Contactée, l'ambassade des Etats-Unis à Berne confirme de son côté qu'elle n'a aucun changement à annoncer à ce stade mais dit "se réjouir de la reprise des voyages transatlantiques" dès que "les spécialistes de santé publique américains le recommanderont".
Interview radio: Eric Guevara-Frey
Adaptation web: Tristan Hertig