Ce week-end, une foule de Vénitiens manifestaient contre le passage des énormes paquebots devant la place Saint-Marc. Après 16 mois d'arrêt, un navire de la compagnie MSC a quitté pour la première fois la cité des Doges samedi sous les huées. Ironie du sort, c'est le même bateau qui avait frôlé la catastrophe en 2019 en percutant un quai.
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L'accident, suivi de la pandémie, avaient fait espérer à une partie des habitants une interdiction de lagune pour ces mastodontes des mers. Mais il semble que le tourisme de masse soit de retour, au plus grand désespoir de Toto Bergamo Rossi, président de la Venetian Heritage Foundation, une des nombreuses associations qui oeuvrent pour la survie de Venise.
C'est le bon moment pour éviter de revenir dans une situation comme celle d'avant la crise du Covid: en été 2019, la vie était impossible à Venise
Toto Bergamo Rossi a écrit une lettre au gouvernement italien, signée par des célébrités comme Mick Jagger ou Francis Ford Coppola, pour demander que la reprise du tourisme ne se transforme pas en occasion manquée. "C'est le bon moment pour éviter de revenir dans une situation comme celle d'avant la crise du Covid: en été 2019, la vie était impossible à Venise", se souvient-il lundi dans l'émission Tout un monde.
Un trop-plein de touristes, des bateaux géants - dont le tonnage n'a cessé d'augmenter avec les années - qui ont un très grand impact sur l'écosystème de la lagune, à cause de la houle, de l'érosion et de la pollution qu'ils génèrent, un cocktail qui a rendu Venise invivable pour ses résidentes et résidents.
Beaucoup de demandes, peu d'effets
Depuis des années, des associations d'habitants demandent que les navires ne passent plus si près du centre. Cependant, peu d'effets visibles sont constatés.
Il y a bien eu des tentatives d'intervention, surtout depuis 2013, après le naufrage du Costa Concordia au large de la Toscane. Pourtant, le port des bateaux de croisière, situé juste derrière le centre ville, ne dépend pas de la municipalité mais de l'Etat italien, tout comme celui des porte-containers et des navires commerciaux, qui est aussi dans la lagune, mais à quelques kilomètres de là.
Un bannissement, mais à lointaine échéance
En mars dernier, le gouvernement de Mario Draghi a finalement opté pour un bannissement des gros bateaux de la lagune et le déplacement du trafic passager et marchandises dans un port offshore sur la côte Adriatique.
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"Lancer un concours d'idées pour le port, puis concrétiser le projet et enfin le réaliser prendra des années", souligne Gianfranco Bettin, conseiller municipal vert de Venise. Pour lui, il faudra au moins dix ans. "En attendant, le gouvernement a décidé de construire un certain nombre de débarcadères provisoires pour le trafic des passagers à Porto Marghera, dans la zone industrielle de la lagune. Ce projet de port provisoire devrait pouvoir aboutir dans deux ou trois ans", admet le conseiller municipal. "Mais d'ici que tout soit prêt, les paquebots continueront à emprunter la même route dans le bassin de Saint-Marc."
Un apport économique non négligeable
Ce retour à la situation d'avant-pandémie n'est de loin pas une catastrophe pour un certain nombre d'entreprises portuaires et de commerçants très touchés par la crise.
"L'apport économique de ces croisières est estimé à 500 millions d'euros par an pour la ville, pour une saison normale", chiffre Alessandro Santi, de la Chambre de commerce de Venise, qui admet que la Sérénissime souffre sans aucun doute d'excès de tourisme. "Elle voit débarquer entre 25 et 30 millions de visiteurs par an."
Pour autant, les passagers de croisière qui visitent la ville ne sont qu'entre 1,5 et 2 millions par an, dont une petite partie seulement est en transit. "Seulement 400'000 à 500'000 d'entre eux peuvent être considérés comme des visiteurs au sens propre du terme", détaille Alessandro Santi.
Réguler les touristes?
Les 25 millions de touristes qui affluent à Venise voyagent par train, avion ou cars entiers. Ce nombre devrait être régulé, souligne Toto Bergamo Rossi, comme on le fait dans les musées. C'est d'ailleurs l'un des points que soulève sa lettre. La municipalité, qui a la main sur l'entrée des touristes en ville, a pris des mini-mesures.
"Ils ont fait des essais pour compter les gens à l'arrivée à Venise. Une fois qu'ils sont là, on ne peut pas les chasser, il faut donc prévenir", explique Toto Bergamo Rossi. "Il faudrait déjà un système de réservations au niveau des groupes. Quand il y a des groupes, ça ne marche plus. Cela pourrait commencer à aider." Et de détailler une autre idée: "Il faudrait traiter la ville comme un musée. Dans un musée, les gens n'entrent pas partout. En plus, si c'est plein et qu'on n'a pas de réservation, on n'y entre pas. Il faut avoir des règles. Maintenant, c'est l'anarchie totale."
Il faut avoir des règles. Maintenant, c'est l'anarchie totale
Une autre revendication, à l'ère de la globalisation, serait d'avoir une meilleure gestion des AirBnB: "C'est quelque chose qui a vraiment tué le tissu urbain et la vie vénitienne", déplore Toto Bergamo Rossi. "A Barcelone ou à Berlin, ce marché a été régulé. Pourquoi n'arrive-t-on pas à faire de même en Italie?"
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La reprise économique en tête des préoccupations
Il propose de ne plus accorder de nouvelles licences et de réguler la quantité de gens qui doivent garder leur résidence à Venise. "Avant, des familles ne pouvaient pas acheter à Venise, mais louaient des appartements, envoyaient leurs enfants à l'école et achetaient des produits dans des magasins normaux. C'est toute la chaîne qui est en train de se détruire."
Cet appel à préserver Venise n'est pas le premier, et la première préoccupation du gouvernement italien est plutôt la reprise économique. L'Italie - et en particulier les villes d'art comme Venise - tablent sur une augmentation de 20% de touristes par rapport à l'an dernier, des visiteurs attirés par la baisse du prix des hôtels et la réouverture des restaurants.
Francesca Argiroffo/ebz