Yoav Shamir est réalisateur. Il n’avait jamais entendu parler de Raël avant de recevoir une étrange invitation émanant du prophète en personne. Celui-ci souhaitait récompenser le cinéaste pour son "point de vue controversé sur la politique israélienne" et le nommer guide honoraire du mouvement raélien. Selon le carton d’invitation, il s’agit d’un honneur "qui n’est accordé qu’à quelques privilégiés".
Parmi ces privilégiés, on trouve notamment Madonna, Hugh Hefner (fondateur du magazine Playboy) ou l’écrivain français Michel Houellebecq. Aucun de ses illustres prédécesseurs ne s’était jusque-là déplacé pour recevoir son prix mais le cinéaste, poussé par sa curiosité, saisit l’occasion et se rend en Slovénie, accompagné d’une camerawoman. Sur place, il est accueilli, comme son nouveau rang l’exige, par un discours, des chansons et un feu d’artifice. Durant des semaines, ses séjours au sein des différentes communautés raëliennes seront filmés et donneront le jour au documentaire ci-dessous.
Chanteur, journaliste sportif et pilote
Selon Brigitte Boisselier, "évêque" et membre du premier cercle de la secte, les adeptes seraient aujourd'hui près de 100'000, ce qui ferait de Raël "le prophète ayant le mieux réussi après seulement quarante ans de pratique". Pourtant rien ne prédestinait Claude Vorilhon (son vrai nom) à ce genre de carrière, si on peut l'appeler ainsi.
Né en 1946 à Vichy, c'est un enfant frêle et timide, brimé par ses camarades d'école. A l'adolescence, il achète une guitare et s'aperçoit que les filles, qui ne le remarquaient pas jusque-là, sont sous le charme. Il décide alors de monter à Paris et devient chanteur de rue. Après avoir été remarqué par un producteur, il sort quelques titres comme Sacrée sale gueule ou Monsieur votre femme me trompe, sous le pseudonyme de Claude Celler.
A vingt-cinq ans et malgré une certaine ressemblance physique avec le Grand Jacques, Claude Vorilhon réalise qu’il ne sera pas le nouveau Brel. Il se tourne alors vers son rêve d’enfant: piloter des bolides. Pour financer sa passion, il devient journaliste sportif et lance un magazine baptisé Autopop. Succès immédiat! Autopop devient en quelques mois le magazine auto le plus populaire de France. Mais deux ans plus tard, au moment où son journal périclite, Claude Vorilhon "rencontre" les Elohims. Et rien ne sera plus jamais pareil.
Un prophète en mission
En mars 1974, invité sur le plateau du Grand Echiquier, une émission de télévision célèbre à l’époque, il raconte son expérience. Il décrit l'occupant d’une soucoupe volante qui l'invite, en décembre de l'année précédente, à passer six jours avec lui et lui transmet "une série de messages, à la fois clairs et révolutionnaires", à délivrer au reste de l'humanité. Cet alien à forme humaine lui confie que ce sont les représentants de son espèce, les Elohims, qui ont créé les êtres humains et toutes les religions terrestres.
Mais surtout, Claude Vorilhon se voit confier une mission: construire une ambassade pour que les Elohims puissent se poser sur Terre, "officiellement" et au grand jour. Une semaine après son passage dans l'émission télévisée, il reçoit des milliers de lettres rédigées par des gens qui veulent le soutenir dans sa nouvelle mission. Le mouvement raëlien est né.
"Ma petite entreprise..."
Quarante ans plus tard, la petite entreprise se porte bien. Raël est adulé par ses adeptes qui s'enivrent même de ses silences. Il vit au Japon, à Okinawa, dans une villa côtière offerte par un disciple et passe ses journées à méditer, ou jouer à la pétanque en compagnie de ses "anges". Selon l’explication fournie, ces femmes sont les élues d'un ordre strictement féminin que les Elohims ont demandé à Raël de mettre en place. Le jour venu ce seront elles, choisies pour leur beauté, qui auront la charge d'accueillir nos créateurs extra-terrestres.
Les différentes catégories d'anges sont reconnaissables aux plumes qu'elles portent autour du cou. Les plumes blanches indiquent une vie sexuelle classique. Les femmes portant une plume rose, quant à elles, ne se destinent qu'à Raël et aux Elohims… Lorsque ceux-ci daigneront enfin nous rendre visite. D'ici là, le prophète est seul à goûter à leurs charmes.
Etoile de David, svastika et Fluide Glacial
Au rayon bizarreries, Raël peut s'enorgueillir d'une belle panoplie d'articles. Tout d’abord le logo de la secte: une étoile de David (symbole du judaïsme), avec au centre un svastika, tristement détourné par les nazis. Mélange des genres pour le moins détonant. Ensuite le coup de "comm" réalisé avec l'annonce, en 2002, du premier clonage humain, jamais avéré. Ou encore son goût, aux relents eugénistes, pour une "géniocratie", à savoir un modèle de société basé sur le quotient intellectuel.
Parmi ses détracteurs on trouve certains de ses premiers fidèles, comme Patrick Darnay, porteur de la carte numéro 2 de l'association. Celui-ci quitte le mouvement après la parution du deuxième livre de Raël Les extra-terrestres m’ont emmené sur leur planète. Dans cet ouvrage, Raël raconte le repas qu’il aurait partagé avec Jésus-Christ, Bouddha, Moïse et Mahomet. Pour Patrick Darnay, l'idée de ce banquet œcuménique aurait germé lors d'une visite de Claude Vorilhon durant laquelle il feuillette un numéro du magazine Fluide Glacial. A l’intérieur, une BD du dessinateur Gotlib racontait, sur un mode humoristique, cette histoire de rencontre entre prophètes.
Croire, envers et malgré tout
Alors qui est vraiment Claude Vorilhon, alias Claude Celler, alias Raël? Un escroc patenté qui a trouvé la bonne combine et l'exploite jusqu'à la corde? Un illuminé qui a fini par croire à ses propres délires ou le véritable prophète d'une religion extra-terrestre? Quoi qu'il en soit, certains de ses adeptes se moquent de savoir si le bonhomme est crédible ou non. Comme l'affirme l'un d'entre eux dans le documentaire: "Si un jour Raël en personne me disait: Tu sais, tout cela est faux, j’ai inventé cette histoire, il n’y a rien de vrai , je le remercierai quand même."
Les Documentaires RTS, Franck Sarfati
"L’important c’est d’avoir un rêve, un rêve puissant"
Allan Tschopp aura 70 ans à la fin de l'année et on lui en donne 15 de moins. Pour le Valaisan, ancien candidat aux élections communales, il n'y a pas de doute. Sa forme actuelle et sa qualité de vie, ils les doit aux enseignements de Raël.
Installé à Miège dans une maison qu'il a retapée durant dix ans, il fait partie du mouvement raëlien depuis 1977 déjà. Avant cela, il se cherchait un peu. Les quatre années passées à l'Ecole des Missions pour préparer une vie de missionnaire en Afrique ne l'ont pas convaincu, bien au contraire.
Sa recherche spirituelle l'a ensuite mené des Témoins de Jéhovah au bouddhisme en passant par les mouvances hippies. Puis, en une nuit, c'est la révélation. Il lit le premier ouvrage de Raël Le Livre qui dit la vérité et explique ainsi sa conversion: "J’ai lu une explication rationnelle sur l’origine de l’humanité. Le créateur de la vie sur Terre n’était pas un dieu immatériel mais des scientifiques bien plus avancés que les nôtres, les Elohims."
Selon les enseignements de Raël, le seul objectif des humains devrait être de vivre heureux. Alors, bonheur atteint? "Oui, j’ai eu une vie extraordinaire. J’ai pu connaître grâce au mouvement des gens venant de partout, j’ai toujours eu de belles compagnes, trouvé un bon boulot, bien gagné ma vie. J’ai été gâté."
Et si Raël avait tout inventé? Si les Elohims n'atterrissaient jamais dans l'ambassade que les Raëliens ont construite pour les accueillir? Là encore, Allan Tschopp ne doute pas: "En 2007, Raël est resté presque une année à la maison, c’est donc quelqu'un que je connais bien car j’ai vécu avec lui. Je ne peux pas voir un escroc dans cet homme. Il est possible que les Elohims ne viennent finalement pas. Mais l’important c’est d’avoir un rêve, un rêve puissant. Tant qu’on est dans le rêve, on vit heureux."