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Reportage dans un Iran qui élit son nouveau président en plein marasme économique

Dans le grand bazar de Téhéran. [RTS - Cédric Guigon]
L'Iran élit aujourd'hui son nouveau président / La Matinale / 3 min. / le 18 juin 2021
Vendredi, 60 millions d'électrices et d'électeurs iraniens ont été appelés à se prononcer sur le nom de leur futur président. Asphyxié par les sanctions, le pays est marqué par une crise économique profonde qui mine la population. La RTS s'est rendue sur place pour retranscrire les craintes, les attentes et les espoirs d'un peuple toujours fier mais à bout de souffle.

Dans le Grand Bazar de Téhéran, les conversations sont toujours vives et les débats animés. A la vue d'un journaliste étranger, les attitudes divergent. Certains veulent profiter de l'occasion pour décrire leur situation alors que d'autres jugent qu'il faut à tout prix défendre l'image du pays et ne pas donner de grain à moudre aux médias internationaux.

"L'économie est presque paralysée, je vends des sous-vêtements pour femmes et pour hommes, je suis marchand au bazar et je ne mange plus que du pain sec et regarde comment je suis habillé", explique un vieil homme avant d'être interrompu par un passant: "C'est un étranger, tu ne devrais pas lui parler comme ça".

Dans le grand bazar de Téhéran. [RTS - Cédric Guigon]
Dans le grand bazar de Téhéran. [RTS - Cédric Guigon]

S'en suit une discussion de sourds, le ton monte et la fracture semble consommée: - "C'est un étranger, je lui dis la vérité", rétorque le marchand. "Dis au journaliste qu'on vit une très bonne situation. L'inflation est partout dans le monde et c'est normal qu'il y en ait chez nous aussi. Il y a des gens qui s'en sortent et d'autres pas dans notre pays. Mais vous, les marchands du bazar, vous avez une bonne situation. Alors pourquoi tu vends les faiblesses du pays aux étrangers?", objecte le passant.

La discussion se poursuit et s'envenime, les insultes pleuvent. Le marasme économique se confronte à la fierté nationale comme souvent en Iran, pays coupé du concert des nations depuis des décennies.

Une économie frappée d'hyperinflation

En sortant de l'accord sur le nucléaire iranien en 2018, Donald Trump a remis en place de lourdes sanctions économiques. La nature extraterritoriale du droit américain a forcé les autres entreprises étrangères à suivre les règles de la Maison Blanche, par peur de perdre le marché américain.

Actuellement, seules certaines entités chinoises ou russes se permettent de contourner le régime de sanctions de Washington. Une réalité qui n'a pas suffi à empêcher le pays de plonger dans la crise, peut-être la plus grave depuis la révolution de 1979.

Le pays connaît une inflation galopante (+41%) et le chômage se situe officiellement autour des 11%, mais de nombreux spécialistes estiment qu'il est nettement sous-évalué. La pandémie de coronavirus a par ailleurs et sans surprise aggravé la crise.

La population dénonce bien sûr les sanctions américaines, mais elle n'hésite pas aussi à pointer du doigt les manquements et la corruption des élites et du gouvernement, qui s'est même permis d'augmenter les taxes sur le carburant, une décision très impopulaire.

Dans ces conditions délétères, les Iraniens et les Iraniennes devraient massivement bouder le scrutin présidentiel, surtout que les jeux semblent déjà être faits, avec l’ultraconservateur Ebrahim Raïssi en grandissime favori. Selon les sondages, plus de 60% des électeurs s'abstiendraient.

"Je n'irai pas voter"

Dans la capitale, cette élection ne semble en effet pas susciter l'enthousiasme. De l'indifférence à la colère, les Iraniens des classes populaires doutent qu'une victoire d'un tel ou d'un tel transformera l'avenir du pays. Parfois, les tabous sautent et l'on hésite plus alors à demander une refonte complète du système politique.

Des femmes patientent avant d'entrer dans un local de vote. [RTS - Cédric Guigon]
Des femmes patientent avant d'entrer dans un local de vote. [RTS - Cédric Guigon]

"Je n'irai pas voter! Car pour rester en place, le gouvernement doit soudoyer le régime, dont il dépend totalement. Il ne sait peut-être même pas ce que les gens vivent dans les quartiers pauvres du sud de Téhéran. On n'a donc pas besoin d'un nouveau gouvernement pour avoir du changement. Il faut changer le régime, changer les lois, changer le constitution qui n'a pas bougé depuis 40 ans", explique une femme désabusée au micro de la RTS.

"C'est une manière de protester, parce qu'ils sont tous du même bord politique. Nous n'avons pas de candidat qui peut se battre pour nos intérêts", abonde une étudiante en faculté d'économie à l'Université de Téhéran. "On a besoin de quelqu'un qui restructure notre économie, qui nous aide, parce que nous sommes en grand danger. On a besoin d'un président fort, quelqu'un qui puisse vraiment nous aider. On ne fait pas confiance à ces candidats. La confiance est rompue".

>> Revoir le reportage du 12h30 qui revient sur le début des votes en Iran :

Les urnes d'un local de vote pour femmes dans une école de Téhéran. [RTS - Cédric Guigon]RTS - Cédric Guigon
Le scrutin présidentiel est ouvert en Iran / Le 12h30 / 4 min. / le 18 juin 2021

Ebrahim Raïssi, le retour de la ligne dure?

Pourtant, malgré les problèmes et l'abstention, cette élection a bien lieu et la victoire semble déjà acquise pour Ebrahim Raïssi. Au cours de sa sélection, le Conseil des Gardiens de la Révolution n'a retenu que 7 candidats sur 600, auxquels se sont ajoutés trois désistements cette semaine.

Parmi les quatre candidats restants, Ebrahim Raïssi apparaît comme le seul postulant crédible à la présidence. Chef de l'autorité judiciaire, religieux descendant de Mahomet et, surtout, soutenu par le régime, l'originaire de Mechhed, la deuxième plus grande ville du pays, a toutes les cartes en mains pour remporter aisément cette élection.

>> Revoir également le reportage du 12h45 :

Iran: élections présidentielles dominées par les ultraconservateurs.
Iran: élections présidentielles dominées par les ultraconservateurs. / 12h45 / 1 min. / le 18 juin 2021

Dans les rues de Téhéran, on ne voit que ses affiches. Pourtant, il reste néanmoins difficile de trouver ses partisans, qui résident le plus souvent hors de la capitale. Il faut aller dans son quartier général pour entendre des éloges, notamment de la part de son chef de campagne, qui a accordé un entretien à la RTS.

Des grandes affiches devant le QG d'Ebrahim Raïssi. [RTS - Cédric Guigon]
Des grandes affiches devant le QG d'Ebrahim Raïssi. [RTS - Cédric Guigon]

"Ebrahim Raïssi est un homme pur. Il veut résoudre la crise économique, développer le logement et le mariages des jeunes, si Dieu le veut", détaille-t-il. Et d'ajouter, concernant les sanctions américaines: "Les sanctions n'ont pas d'effets sur l'Iran. L'Iran est auto-suffisant. Malheureusement, le gouvernement de Rohani n'a pas agi dans le sens de la population, mais plutôt avec les puissances occidentales. Avec plus de pouvoir et plus de puissance, l'Iran viendra s'asseoir à la table des négociations".

Hassan Rohani ne pouvant plus se présenter, l'Iran semble donc se diriger à nouveau avec Ebrahim Raïssi vers un présidence plus dure. Les rumeurs de la capitale prédisent même que le futur homme fort du pays pourrait devenir à terme le nouveau Guide Suprême, au moment où l'âge et la santé de l'ayatollah Khamenei inquiètent de plus en plus.

>> Le décryptage de Forum sur le favori Ebrahim Raïssi :

L'Iran élit son président; l'ultraconservateur Raïssi grand favori
L'Iran élit son président; l'ultraconservateur Raïssi grand favori / Forum / 3 min. / le 18 juin 2021

Tristan Hertig

Sujets radio et envoyé spécial à Téhéran: Cédric Guigon

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