Depuis la révolution de 1979, le système politique iranien est bicéphale. D'un côté, il y a le gouvernement, avec ses ministres et son président élu par le peuple. De l'autre, ou plutôt au-dessus, il y a le régime, les gardiens de la Révolution et surtout le guide suprême, l'ayatollah Khamenei.
Ces derniers peuvent écarter à leur convenance toute candidature jugée problématique. Au cours de la dernière élection, le Conseil des Gardiens n'a ainsi retenu que sept candidats sur 600, auxquels se sont ensuite ajoutés trois désistements. Résultat, Ebrahim Raïssi a été élu très facilement.
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Mahmoud Ahmadinejad a fait une nouvelle fois les frais de cette politique en ne pouvant pas se présenter à la présidence. Pourtant, l'ex-leader sulfureux garde une influence non-négligeable dans les cercles de pouvoir. En témoignent les propos critiques qu'il a partagés au micro de la RTS.
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"Je m'érige en défenseur des lois de la Constitution"
Quand la RTS a rencontré Mahmoud Ahmadinedjad dans une maison sécurisée au nord de Téhéran, celui-ci semble être une homme apaisé, accueillant et presque souriant, loin de l'image de l'individu populiste, répressif et fermement opposé à l'Occident qu'il donnait lorsqu'il était au pouvoir.
A 64 ans, celui qui a été président de la République islamique de 2005 à 2013 semble être en campagne de réhabilitation et son besoin de communiquer est palpable. Il a publiquement dit qu'il n'irait pas voter et n'hésite pas à pointer les incohérences du système politique.
"Je m'érige en défenseur des lois de la Constitution. Ce que je constate, c'est que le peuple n'a pas obtenu une élection libre. C'est pourquoi je me suis engagé à défendre le peuple en vertu des lois constitutionnelles et à remettre ces élections sur la voie légale", explique-t-il.
Et d'ajouter: "La situation politique a énormément évolué depuis mon dernier mandat. Aujourd'hui, la population n'est pas satisfaite, elle a l'impression d'avoir été laissée de côté et de ne plus pouvoir participer à la vie politique du pays."
"Notre politique internationale a été négligée"
Cette déconnexion entre le peuple et les élites s'est traduite par un taux d'abstention record lors de l'élection. Pourtant, le problème numéro un des Iraniens et des Iraniennes reste la crise économique qui frappe de plein fouet le pays.
Pour Mahmoud Ahmadinejad, cette situation est bien sûr le fruit des sanctions américaines, mais pas seulement. Celui qui fut aussi le maire de Téhéran critique ouvertement les manquements du gouvernement actuel, tout en faisant attention à ne pas trop s'éloigner de la nouvelle ligne officielle.
"Bien sûr, les sanctions ont eu un effet. Mais il est important de relever que nous avons oublié de développer nos propres capacités et c'est pour ça que notre économie a été laissée à l'abandon (...) J'ajoute que notre politique internationale a été négligée. Il y a environ 200 pays dans le monde. Nombre d'entre eux sont prêts à coopérer avec l'Iran. Le pays ne s'est focalisé que sur les Etats-Unis, un contrat qui s'est soldé par un échec (...) Bien sûr, le problème avec les Etats-Unis doit être réglé mais pourquoi rester aveugle au potentiel d'autres pays?"
Mahmoud Amhadinejad vend l'image d'un Iran puissant et autosuffisant qui doit renforcer ses alliances, notamment avec la Chine et la Russie: "L'Iran est un pays immensément riche. Nous possédons d'incroyables ressources naturelles, qui doivent servir et enrichir une population importante. Mais la centralisation du pouvoir ne permet pas à ces richesses d'atteindre la population. Dès lors que la centralisation sera éradiquée, tout sera réglé", détaille-t-il.
"Un contrat ne peut être annulé par une seule des parties"
Quand on parle d'Iran, difficile d'échapper à la question du nucléaire. A l'heure où Washington et Téhéran négocient à Vienne pour tenter de lever les sanctions imposées en 2018 par l'administration Trump, la voix de Mahmoud Ahmadinejad porte, car c'est lui-même qui avait oeuvré au développement du programme nucléaire iranien.
D'après lui, l'Iran ne doit pas céder de manière aveugle aux demandes américaines sur la non profilération. Il en appelle au respect de l'accord qui avait été signé sous la présidence Obama. "Est-ce qu'on peut vraiment rompre unilatéralement un accord? Un contrat ne peut pas être annulé par une seule des parties. Si c'est un contrat au sens juridique du terme, lorsqu'une des parties le rompt, elle doit être punie. Et quand Trump l'a fait, qui a été puni ? L'Iran ou les Etats-Unis? Selon les standards internationaux, nous ne devrions pas signer ce type de contrat, il n'est pas équitable. En revanche, tout accord qui bénéfice aux deux parties et qui leur donne des droits et des devoirs doit être considéré."
Et de conclure sur cette thématique: "Tout ce qui est prévu par le Traité doit être respecté car nous devons éradiquer la bombe atomique de ce monde. C'est contre les droits humains. Personne ne doit l'avoir et nous sommes prêts à aider le monde à nous débarrasser de cette menace."
Un homme assagi ou stratégie de communication?
L'entretien accordé par l'ancien président iranien est en cela saisissant. Connu en Occident pour ses dérapages, ses diatribes, son pouvoir répressif, l'homme prêche désormais pour l'amitié plutôt que l'hostilité et pour la paix entre les peuples. Difficile alors de savoir s'il s'est réellement assagi ou s'il cherche tout simplement à rentrer dans un futur costume de présidentiable.
Questionné sur les violations commises pendant ses mandats, de la fraude lors de sa deuxième élection à ses positions parfois très dures contre le droit des femmes ou de la communauté LGBT, Mahmoud Ahmadinejad réfute tout en bloc.
Il nie la fraude, accuse la propagande occidentale ou encore des erreurs de traduction commises à l'époque quand il avait été questionné sur la présence d'homosexuels en Iran. Concernant les femmes, il rappelle qu'il a été le premier président à choisir une femme comme ministre, en omettant que cette dernière avait par la suite été licenciée sur un désaccord et qu'il avait cherché durant ses deux mandats à imposer un modèle familial très traditionnaliste: la femme au foyer et l'homme dans la vie publique.
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Lorsque le discours devient confus, et même ambigu, son conseiller en communication intervient. L'entretien se termine par une photo et un dernier mot: "Je suis venu en Suisse et j'ai rencontré le président. C'était très paisible et très beau. Saluez tout le monde de ma part."
Accueilli par Hans-Rudolf Merz en 2009 pour une conférence de l'ONU contre le racisme, la venue de Mahmoud Ahmadinejad à Genève avait provoqué une vive polémique.
Envoyé spécial en Iran: Cédric Guigon
Adaptation web: Tristan Hertig